“Il faut commencer par cesser d’être professeur pour pouvoir l’être” – Hommage à Jean-Pierre Vernant

Vernant

Le blog “Alchimie du Collège, de Mara Goyet, enseignante en Histoire-géo, en France, publie un extrait très intéressant de Jean-Pierre Vernant, à propos de la relation professeur-élève, qui rejoint assez bien mon article de 2010 “Dois-je accepter mes élèves sur Facebook ? Ou comment devenir un prof 2.0 ?“… 

Jean-Pierre Vernant est un historien et anthropologue français. Il a enseigné dans les lycées, et a été professeur au Collège de France. C’est également une grande figure de la Résistance française.

Vernant2« Un professeur fait du théâtre quand il arrive dans une classe. Mais il y a différentes manières de s’y prendre. On peut taper sur la table et faire sentir toute la distance qui sépare les élèves du professeur. On peut aussi jouer le jeu inverse, et c’est ce que je faisais quand j’enseignais au lycée : non seulement en tutoyant les élèves, mais en s’efforçant d’abolir, jusque dans sa tenue vestimentaire et son vocabulaire, tout indice d’une autorité conférée par une hiérarchie sociale. Evidemment, le professeur sait bien, quelle que soit la stratégie qu’il adopte, que ce n’est pas la même chose d’être élève et d’être professeur. Celui qui est sur le banc et celui qui est derrière le bureau n’ont pas le même statut. La stratégie de la non-distance peut être très adroite ou, au contraire, amener celui qui l’emploie à la catastrophe. Mais s’il y recourt plutôt qu’à une autre, ce n’est pas par pure stratégie. C’est parce qu’elle correspond à l’idée qu’il se fait du rapport entre maître et élève, de ce qu’est un groupe. Si on entre dans le jeu de l’abolition de la hiérarchie, ce n’est pas simplement de l’habileté, c’est aussi une esthétique, et une éthique de la relation sociale.

Il faut commencer par cesser d’être professeur pour pouvoir l’être. Cela signifie obligatoirement – à mon avis c’est une idée grecque- que toute relation sociale, avec une classe comme avec le groupe dans lequel on s’est engagé dans la Résistance, implique un ciment qui est l’amitié. Cet élément fondamental est le sentiment d’une complicité, d’une communauté essentielle sur les choses les plus importantes. Dans le rapport du professeur avec ses élèves, c’est le fait de partager une certaine idée de ce que doit être quelqu’un, d’avoir en commun une certaine forme de sensibilité, d’accueil à autrui, de s’accorder sur l’idée qu’être autre signifie aussi être semblable. »

SOURCE : Jean-Pierre Vernant, “Tisser l’amitié”, in Entre mythe et politique, Le Seuil, 1996

A mon sens, il y a 3 types de professeurs : ceux qui ont de l’autorité, ceux qui n’arrivent pas à en avoir, et ceux qui refusent de fonder leur enseignement sur une forme d’autorité de statut.

Par rapport à ma pratique en tant qu’enseignant, il y deux éléments de cet extrait dans lesquels je me reconnais particulièrement bien :

  • L’abolition de tout indice d’une autorité conférée par la hiérarchie sociale (via le vocabulaire et la tenue vestimentaire);
  • L’abolition de la hiérarchie comme éthique de la relation sociale.

Comment est-ce que je comprends cette phrase : “Il faut commencer par cesser d’être professeur pour pouvoir l’être” ? 

Les meilleurs profs sont, à mon sens, celles et ceux qui ne se prennent pas pour des “Professeurs”, mais qui veulent SIMPLEMENT et PLUS QUE TOUT, ENSEIGNER quelque chose à leurs élèves, conférant tout son sens à l’étymologie du mot “Professeur” : “celui qui enseigne“…

2 Replies to ““Il faut commencer par cesser d’être professeur pour pouvoir l’être” – Hommage à Jean-Pierre Vernant”

  1. J’ai découvert votre blog via les articles sur le crossfit.
    Je suis enseignante (en mathématiques) et quel plaisir de lire cet article !
    Le sport m’a permis de me retrouver à nouveau en situation d’apprenant et cela ameliore mon enseignement !
    Je me retrouve dans le côté théatral du professeur 😉
    Au plaisir de vous relire .
    Anne-Catherine

    • Merci pour ce commentaire, Anne-Catherine ! Heureux que mes textes vous plaisent. N’hésitez pas à réagir régulièrement !

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