Préserver le groupe de réunion en réunion. La réponse de Thomas Hobbes

— Est-ce qu’on fixe la date de la prochaine réunion à la fin de celle-ci ? Ou est-ce qu’on se fait un doodle ?” … Vous la connaissez cette question ? 😉

Comme vous le savez, je pense qu’on trouve dans les auteurs classiques ayant écrit sur la démocratie, des choses plus profondes, mais aussi plus pratiques, pour qui veut développer un projet citoyen et participatif, que dans beaucoup d’analyses actuelles (dont les niaiseries, souvent destructrices à moyen terme pour les groupes, comme la “sociocratie” ou l’”holacratie” — beaucoup de projets citoyens en ayant pris conscience à leurs dépens).

Un exemple : en 1642, Thomas Hobbes, fondateur de la philosophie politique moderne, dans son célèbre “Le citoyen” (“De Cive”), explique qu’il y a 2 choses qui établissent une démocratie : 1) la pluralité des voix — ça, ça parait évident… Et 2) l’”indiction perpétuelle des assemblées” !

“Indiction” ? Qu’est-ce que c’est ? De “indictio”, l’annonce en latin : l’”indiction” est la convocation d’une assemblée à un jour dit.

Mais quel est le rapport ? 🤔

Hobbes, vous le savez, est surtout connu pour sa théorisation du passage de l’état de nature à l’état civil, c’est-à-dire, le passage de l’état de guerre permanente, du tous contre tous (on connaît Hobbes pour la formule “l’homme est un loup pour l’homme”) au contrat social, avec une autorité qui met fin à la guerre (le fameux “Léviathan”).

Comme Aristote et bien d’autres, Hobbes considère que le “dêmos” est “le peuple réuni en assemblée”. Un peuple devient un peuple souverain, par ses assemblées. Mais alors, que passe-t-il à la fin d’une assemblée ? Il est primordial pour lui de fixer la date et le lieu de la prochaine assemblée, parce que si on ne le fait pas, le risque est que chacun, chacune, reparte de son côté et que le peuple constitué se dissolve.

Et ça, on le connaît toutes et tous, non ? Une première réunion, puis on tarde à fixer la réunion suivante, le doodle ne donne rien, la moitié de l’assemblée n’y répond pas… et puis on ne se revoit plus…

Mais pour Hobbes qui voit dans l’assemblée la constitution du peuple souverain d’une ville, d’un Etat, cette dissolution, c’est le retour à l’état de nature, à la guerre perpétuelle (des factions du peuple pourraient se constituer en se voyant à des moments différents et dans des lieux différents). Sans date annoncée pour une prochaine assemblée, le peuple n’est plus “souverain”. Le contrat social n’est plus. Bref, à l’échelle d’une société, c’est la fin de la société.

Alors, vous savez ce qu’il vous reste à faire à la fin de la prochaine réunion ? 👉 🖊 📅 😉

Pour celles et ceux que ça intéresse, voici la version exacte des mots de Thomas Hobbes :

“En l’assemblée dont nous parlons, chacun a droit de donner son suffrage, par conséquent elle est une juste démocratie, suivant la définition qui en a été mise au premier article de ce chapitre. Mais, si l’assemblée se dissout, et si l’on se sépare avant que de désigner le temps et le lieu où se fera une nouvelle convocation, on tombe dans l’anarchie, et on retourne à l’état auquel on était avant qu’on se fût assemblé, c’est-à-dire à l’état de guerre perpétuelle de tous contre tous. Le peuple donc ne garde point la puissance souveraine, si ce n’est tandis qu’il convient du temps et du lieu, auquel tous ceux qui voudront, se pourront trouver derechef à une nouvelle assemblée; car, si cela n’est déterminé, les particuliers ne sauraient se rencontrer et ils se diviseraient en diverses factions. D’ailleurs, le peuple ne constituerait plus cette personne publique dont je parlais tantôt; mais il deviendrait une multitude confuse, à qui on ne pourrait attribuer aucun droit ni aucune action. Il y a donc deux choses qui établissent une démocratie, l’indiction perpétuelle des assemblées, d’où se forme cette personne publique que j’ai nommée le peuple et la pluralité des voix, d’où se tire la puissance souveraine.”

La version anglaise 🇬🇧 (Hobbes était anglais mais écrivait en latin) parle bien de “dêmos” :

“and then it is no longer demos, the People, but a dissolute multitude, to whom we can neither attribute any Action, or Right”.

Source : “Le citoyen” [titre complet originel “Rudiments philosophiques concernant le gouvernement et la société”], chapitre 2, VI, § 5. Édition de 1647, traduction en 1649 par S. de Sorbière.

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