Responsabilité individuelle et responsabilité collective en temps de pandémie

Est parue hier dans Le Vif, une carte blanche, signée par 760 citoyens et citoyennes, et intitulée “Vacciné.e.s ou non : et si on écoutait l’autre ?“. On m’avait proposé de rejoindre les signataires, mais après réflexion, je ne l’ai pas signée.

Comme cette carte blanche appelle au débat et à l’écoute de l’autre, je voudrais expliquer ici mes raisons. Cela explique aussi pourquoi je défends à la fois la vaccination et le fait de renforcer ses défenses immunitaires naturellement, par un mode de vie sain (si vous me suivez, vous savez de quoi il s’agit).

Je pense qu’il y a, dans ce texte, une confusion entre la responsabilité individuelle et la responsabilité collective, confusion que je retrouve souvent dans les mouvements “de gauche”, et qui constitue d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je ne suis pas de gauche.

Voici donc l’occasion pour moi de partager ici ma conception du lien entre responsabilité individuelle et responsabilité collective.

Tout choix doit impliquer une symétrie, sous la forme d’une responsabilité quant à ce choix. Si mon choix est individuel, ma responsabilité l’est aussi. Autrement dit, en principe, je ne peux pas faire porter la responsabilité de mon choix individuel sur le collectif.

Néanmoins — et heureusement — nous avons décidé collectivement, dans nos sociétés modernes et (relativement) démocratiques, d’assumer collectivement les mauvais choix individuels de certains et certaines. Les hôpitaux soignent ainsi les poumons des personnes qui ont fumé toute leur vie. Et c’est évidemment une très bonne chose : on peut juger une société humaine à sa volonté de ne laisser mourir aucune personne, quels que soient les choix que cette personne a fait. Ce n’est pas la même chose de la déresponsabiliser des conséquences de ses choix.

Ainsi, il est légitime, à mon sens, de décider collectivement d’interdire l’achat de cigarettes aux moins de 18 ans, d’obliger les fumeurs et fumeuses à sortir fumer dehors, d’interdire la publicité pour les marques de tabac, de fixer un prix prohibitif pour les paquets de cigarettes, etc.

C’est un bon exemple d’équilibre entre responsabilité individuelle et responsabilité collective : les personnes qui fument sont limitées dans leur liberté, et doivent assumer la conséquence individuelle de ne pas pouvoir fumer dans certains lieux, de payer un prix qui grève leur budget, etc., et, en contrepartie, par obligation morale, la société assume le fait de prendre soin de ces personnes une fois que le tabac aura fait son effet — inévitable — sur leur santé.

De même, je pense qu’il est légitime de décider collectivement de restreindre l’accès à certains lieux à celles et ceux qui ont fait le choix libre de ne pas se vacciner — choix dont les études successives confirment, l’une après l’autre, qu’il augmente la probabilité de développer des formes graves —, tout en continuant à les soigner indépendamment de ce choix individuel.

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Pas besoin d’être religieux pour lire la bible…

C’est quelque chose que je pense très sérieusement. Il y a des textes dans la Bible qui n’ont rien à envier à des textes de philo ou de développement personnel. Je citerais “Les Proverbes”, “L’Ecclésiaste”, “La Sagesse”, ou “L’Ecclésiastique”… et puis les Épitres aux Romains et aux Corinthiens, très similaires aux textes stoïciens (Paul était un contemporain de Sénèque).

Il y a beaucoup de sagesse pratique dans ces textes.

Quelles que soient vos croyances, jetez-y un coup d’oeil.

Et je rajouterais une chose : on peut difficilement aimer l’Humain et tout ce qui concerne le livre, les textes, etc., sans s’intéresser à un texte qui a traversé 2000 ans d’histoire et qui l’a autant marquée.

Pour info, Zach Homol est un Coach américain dont j’aime bien suivre le contenu sur les réseaux sociaux…

D’abord être moins dépendant de l’État…

Je suis pour le moins d’État possible. 

Mais contrairement aux partis libéraux et libertariens, je ne pense pas qu’une telle démarche puisse débuter par la revendication politique d’une diminution de l’État. On ne peut pas, à mon sens, revendiquer une diminution du pouvoir de l’État sur les individus sans s’assurer d’abord que ces individus aient repris du pouvoir sur tous les éléments de leur vie. 

À bien des égards, et pour bon nombre de personnes, l’État joue le rôle d’une bouée de sauvetage. On ne peut pas retirer la bouée sans s’assurer qu’un maximum de monde sache nager. 

Il faut qu’on soit moins dépendant de l’État, pour pouvoir demander moins d’État. 

C’est en cela que la notion d’empowement est à la base de tout ce que je peux écrire et revendiquer au niveau politique.

Il faut qu’un maximum de monde reprenne du pouvoir d’agir sur son alimentation, sur sa santé, sur son corps. Nous devrions toutes et tous être capables de nous nourrir en cultivant et en élevant une partie de ce que nous mangeons. Nous devrions toutes et tous être capables de faire ce qu’il faut pour être en bonne santé. 

Il faut qu’un maximum de monde soit capable de se créer ses propres moyens de subsistances, de développer son activité, de vivre de ses propres projets. Ce n’est pas seulement qu’il faut moins d’État pour favoriser l’entrepreneuriat, il faut aussi que de moins en moins de monde dépende de l’État pour son emploi et pour ses conditions de travail, pour pouvoir demander moins d’emprise de l’État sur le travail. Il faut qu’un maximum de monde soit capable de se créer des conditions de travail favorables pour ne pas avoir besoin que l’État assure ces conditions favorables. 

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Coronavirus : C’est à la manière dont seront sanctionnées les erreurs politiques que nous pourrons juger nos démocraties.

En France, comme en Belgique, comme un peu partout dans le monde, cette pandémie de Covid-19 a révélé, plus que jamais, la faillite de celles et ceux qui nous dirigent. 

Dès le mois de janvier, des experts ont tenté de les avertir du danger de cette épidémie, de la nécessité de couper toute liaison aérienne avec la région chinoise concernée, de préparer nos services hospitaliers, etc. Mais ils n’ont pas écouté. 

Résultats : une épidémie muée en pandémie mondiale, des milliers de morts, une économie mondiale à l’arrêt, des populations confinées à domicile. 

Et il faut bien comprendre une chose : un des points essentiels de la démocratie, c’est que les dirigeants ne peuvent pas faire n’importe quoi en toute impunité. Ca, c’est le propre de la dictature ou de la tyrannie. 

Un dictateur peut se permettre de mettre en danger son peuple, d’affamer sa population, voire même d’en massacrer une bonne partie, sans craindre de ne pas être réélu… parce que, précisément, c’est une dictature ! 

La démocratie, ça doit être exactement l’inverse de cela ! Le pouvoir, en démocratie, doit être quelque chose de toujours très précaire. De très risqué, même ! Risqué, parce que quand on a une fonction, en démocratie, on a des comptes à rendre constamment face à la population. Ca implique donc de très grandes responsabilités. On est RESPONSABLE des décisions qu’on prend devant le peuple, généralement représenté par une assemblée. 

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Coronavirus : Et si nous *décidions* de prendre ça comme une alerte quant à notre mode de vie ?

Je ne veux pas du tout tomber dans cette idée qu’avec le coronavirus, la Nature nous « enverrait » un message. Je ne pense pas que « la Nature » puisse avoir une intention, un dessein, une volonté. Ce serait faire ce qu’on appelle du « finalisme », et ce n’est pas mon truc. 

Par contre, je pense qu’on peut *décider* de prendre un événement comme un message, une alerte, un avertissement. Un peu comme quelqu’un qui n’aurait pas une vie très saine, et qui ferait un petit accident cardio-vasculaire ou qui développerait, assez jeune, du diabète. Est-ce son corps qui le prévient qu’il doit changer de comportement avant qu’il ne soit trop tard ? Je ne pense pas que notre corps puisse développer une telle intention, indépendante de notre propre Raison. Par contre, je crois qu’on peut rationnellement décider de prendre cela comme un avertissement… ou au contraire, décider de s’en foutre et de continuer comme avant. 

Cet exemple est assez facile à comprendre. Et c’est au final assez proche de la « téléologie transcendantale » de Kant (telle que je la comprends). En deux mots, nous devons moralement et cognitivement « supposer » que la nature a une volonté, pour d’une part agir, et d’autre part, comprendre cette nature.

Tout ça pour dire que les premières études qui arrivent déjà sur le Covid-19 ne peuvent que faire réfléchir… et agir.  

1) 99% des personnes décédées en Italie souffraient déjà de problèmes de santé, avant de contracter le coronavirus. Et parmi ces facteurs de co-morbidités, 73,8% des personnes décédées souffraient d’hypertension, 33,9% de diabète et 30,1% de maladies coronariennes (pour citer les principales causes). 

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Coronavirus : Si on ne *sur-réagit* pas individuellement, on met tout le collectif en danger.

C’est vraiment triste de voir à quel point les dirigeants et les médias n’ont pas pris la mesure de la situation à temps. Ce matin, je relisais la note publiée par Nassim Nicholas Taleb, Joseph Norman et Yaneer Bar-Yam, le 26 janvier : « Systemic Risk of Pandemic via Novel Pathogens – Coronavirus: A Note ». Moi-même, je la relayais le 1er février. 

Voici ce qu’on pouvait trouver dans cette brève note :

1) Quand on en sait peut sur un nouvel agent pathogène, il faut être extrêmement prudent. 

2) Dans ce genre de phénomènes (« extreme fat-tailed process »), les taux de contagion et de mortalité sont généralement sous-estimés. 

3) Tant qu’on ne sait pas à quel point des personnes peuvent être contagieuses sans avoir de symptômes, des mesures comme des tests de température dans les aéroports, par exemple, ne serviront pas à grand chose. Les incertitudes rendent généralement les choses plus compliquées que prévu, pas plus faciles. 

4) Réduire drastiquement les contacts entre personnes, grâce à des frontières collectives et des changements de comportement, et de l’auto-contrôle communautaire, sont des mesures essentielles à prendre.

5) Réduire la mobilité et les échanges aura un coût à court terme, mais ne pas le faire sera catastrophique.

6) Hélas, certains seront fatalistes et diront qu’on ne peut rien faire…

Au moment où ils ont publié cette note, on était à +/- 4000 personnes infectées et une centaine de décès, dans le monde, mais essentiellement en Chine. Et pourtant, durant plus d’un mois, on nous a dit que fermer les frontières était exagéré, que c’était du repli sur soi, que ce n’était qu’« une grippe », etc., et combien de médias n’ont pas fait de sujets sur « la parano » ambiante, combien de journalistes n’ont pas comparé le nombre de décès dus au coronavirus avec le nombre de tués sur la route ou décès pour cause de diabète… 

Combien de vies auraient été épargnées si on avait écouté celles et ceux qui savent, plutôt que celles et ceux qui « croient savoir »…

Hier, 15 mars, deux des auteurs du précédent article ont publié : « Ethics of Precaution:Individual and Systemic Risk ». Je conseille à tout le monde d’en prendre connaissance au plus vite. L’idée est simple : 

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Twitter : les perles de la “police de la pensée”

Un débat anime actuellement le petit monde de Twitter (en Belgique) : une chroniqueuse-journaliste “aurait” été virée de la chaîne de télévision RTL-TVi suite à des propos politiques. Honnêtement, personne n’en sait rien, la chaîne a démenti toute pression politique, et tout cela ressemble fort au siècle dernier, quand “la politique” se limitait à ce qu’il se passait dans les partis et sur les plateaux de télévision.

Mais le débat agite Twitter et ça permet de récolter quelques perles de la “police de la pensée”, comme ci-dessus…

Alors, en fait, OUI, la liberté d’expression protège aussi le mensonge (et encore plus la propagande évidemment !). Les seules limites à la liberté d’expression sont l’incitation à la haine raciale, à la discrimination et la violence, ainsi que la diffamation (c’est-à-dire porter préjudice à quelqu’un en l’accusant d’un fait sans en avoir la preuve).

A l’exception de ces cas-là, on a le droit de tout dire, même des choses fausses, même des conneries, même des mensonges. L’inverse serait compliqué : ça impliquerait qu’on puisse déterminer ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est intelligent et ce qui est très con. Par exemple, quelqu’un a le droit de dire que la terre est plate. C’est con, c’est faux… c’est un mensonge. Mais il a le droit de le dire.

En France, dans un arrêt du 10 avril 2013, la Cour de cassation a rappelé que “la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi, et que les propos reproduits, fussent-ils mensongers, n’entrent dans aucun de ces cas”. La Cour de cassation a effectivement estimé que condamner quelqu’un pour “mensonge” constituait une violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Bref, c’est immoral de mentir, mais la liberté d’expression le permet.

Déjà Kant, qui n’était pas chaud-chaud d’admettre le mensonge, vu que ça allait à l’encontre de la “vertu”, accordait quand même que le mensonge était acceptable tant qu’il ne portait pas atteinte à autrui (ce qui rejoint bien l’idée de “diffamation”).

On pourrait également citer John Stuart Mill qui expliquait admirablement bien que c’est précisément la liberté d’expression qui permet l’émergence de la vérité. Ce n’est pas que la liberté d’expression empêche le mensonge, c’est que l’absence de liberté d’expression empêche la vérité.

Mon conseil : je me méfie toujours le plus des gens qui veulent en empêcher d’autres d’exprimer leurs opinions. Je suis convaincu (et je reprends cette idée à Nassim Nicholas Taleb) que la meilleure manière de reconnaître un fasciste (qu’il soit de gauche, de droite, du centre, ou d’en face) est sa propension à vouloir limiter la liberté d’expression des autres… Méfiez-vous de toutes celles et ceux qui veulent en faire taire d’autres.

Il n’y a pas de meilleur indicateur que quelqu’un est un vrai démocrate que sa propension à accepter que d’autres expriment des avis totalement contraires aux siens.

Sagesse pratique ET collective dans la morale précolombienne

A propos de l’article : “Life on the slippery Earth“, de Sebastian Purcell, assistant professeur de philosophie à SUNY-Cortland (New York)

J’ai souvent parlé d’éthique, de politique, d’organisation sociale, en Grèce antique, et à Rome, avec Platon, Aristote, Cicéron, etc. Mais il y a d’autres civilisations qui ont eu le temps, elles-aussi, de réfléchir à leur organisation, comme la civilisation aztèque par exemple.

C’est intéressant de voir à la fois ce qu’on retrouve de similaire entre la morale antique et la morale précolombienne, et ce qui les distingue. Dans les deux cas, on retrouve une idée de la “sagesse pratique”, de la prudence, comme la Phronèsis d’Aristote (dont j’ai parlé ici, à propos de Cicéron). Mais chez les Aztèques, cette sagesse est avant tout “collective” ou sociale. En fait, toute leur morale est collective et non pas individuelle (comme chez Platon ou Aristote).

Chez les Aztèques, la sagesse pratique se pratique en groupe. Et dans le processus décisionnel, on donne davantage de poids à ceux qui avaient le plus d’expérience pratique.

C’est que les Aztèques considéraient que la Terre [tlalticpac] était une genre de terrain glissant. Autrement dit, que l’on soit vertueux ou pas, on risquait toujours de glisser (comprenez de faire une erreur, de tomber dans le vice, etc.).

Pour néanmoins évoluer dans ce monde glissant, il fallait “enraciner” sa vie sur des valeurs comme la modération, la justice, la prudence et le courage. On est très proche des Stoïcens (Sénèque, Marc Aurèle, etc.). Et les actions vertueuses étaient celles “du juste milieu”. On retrouve d’ailleurs tout un apprentissage à la modération, en particulier pour ceux qui prétendaient à la noblesse : pratique du jeûne, habitude au froid, travail dur, etc…

Avec ces vertus morales, la sagesse est quelque chose qui s’apprend tout au long de la vie, et on apprend à compter sur les autres. Pour prendre une image, c’est comme si les autres étaient là pour vous aider à remonter lorsque vous étiez tombé dans la boue.

Prenez un exemple pratique : vous n’arrivez pas à vous empêcher d’acheter et de manger des sucreries. Si vous demandez à votre partenaire de faire les courses et de ne plus acheter aucune sucrerie, ça devient un processus collectif, et grâce à l’autre, vous n’avez plus aucune sucrerie à manger chez vous. Et on sait que dans ce genre d’exemple, la dimension collective fonctionne très bien (et en ça, du coup, les réseaux sociaux peuvent vraiment être une aide pour quelqu’un qui veut perdre du poids par exemple, mais là, je rajoute, les Aztèques n’en parlaient pas) 

Et c’est pour cela que les plus âgés avaient plus de poids dans les décisions : parce qu’ils avaient eu tout au long de leur vie, davantage d’occasions de glisser et d’être retenus par les autres. C’est un mélange d'”effet Lindy” et de #SkinInTheGame de Nassim Nicholas Taleb. Seuls le temps et les essais et erreurs nous apprennent ce qui est bon…

Tout cela a été retranscrit par un moine franciscain au 17ème siècle, Bernardino de Sahagùn, dans le Codex de Florence. Et c’est assez fascinant.

Lien vers l’article : https://aeon.co/essays/aztec-moral-philosophy-didnt-expect-anyone-to-be-a-saint