Brève réflexion : Twitter, espace public et liberté d’expression

Ces derniers jours, le bannissement de Trump des réseaux sociaux a soulevé de nombreux débats. Je n’ai pas réponses ou d’avis tranché. Mais ces débats renvoient à des questions qui m’intéressent beaucoup, depuis mes tout débuts en sociologie : l’espace public, les médias, les réseaux sociaux, la démocratie, la liberté d’expression, etc. Et j’ai l’impression que la place actuelle des réseaux sociaux doit nous amener à repenser certaines choses. 

Je mets ici en vrac toutes les questions que je me pose. Ainsi que quelques liens pour aller plus loin. Je fais le pari qu’on pourra créer des débats intéressants ici, sur cette page. Si ça vous intéresse, prenez n’importe laquelle de ces questions, et allez-ci, débattons ! 😉 

1) J’ai l’impression que la question n’est pas de savoir s’il y a certains propos à restreindre/interdire (appels à la haine, racisme, etc., qui sont des délits), mais QUI décide des propos à restreindre/interdire. 

=> C’est aussi ce que dit François Ruffin (et il s’est mis une grande partie de ses sympathisants à dos en disant cela) : les réseaux sociaux ont un tel pouvoir sur l’expression publique, qu’un bannissement comme celui du Président des Etats-unis doit être une décision démocratique, c’est-à-dire émanent d’une assemblée démocratique (et donc pas l’unique décision de sociétés privées).

=> Et c’est exactement ce que disait Popper dans son fameux “paradoxe de la tolérance” : pour défendre la tolérance, il faut pouvoir — en dernier recours — être intolérant avec l’intolérance, quitte à punir l’intolérant (au même titre que d’autres crimes). Mais c’est évidemment le rôle du gouvernement de faire cela. 

(Le court texte de Popper, et le texte de Platon sur lequel il se base, mériteraient tous deux une analyse beaucoup plus longue tellement ils sont intéressants et pertinents par rapport à l’actualité).

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Twitter : les perles de la “police de la pensée”

Un débat anime actuellement le petit monde de Twitter (en Belgique) : une chroniqueuse-journaliste “aurait” été virée de la chaîne de télévision RTL-TVi suite à des propos politiques. Honnêtement, personne n’en sait rien, la chaîne a démenti toute pression politique, et tout cela ressemble fort au siècle dernier, quand “la politique” se limitait à ce qu’il se passait dans les partis et sur les plateaux de télévision.

Mais le débat agite Twitter et ça permet de récolter quelques perles de la “police de la pensée”, comme ci-dessus…

Alors, en fait, OUI, la liberté d’expression protège aussi le mensonge (et encore plus la propagande évidemment !). Les seules limites à la liberté d’expression sont l’incitation à la haine raciale, à la discrimination et la violence, ainsi que la diffamation (c’est-à-dire porter préjudice à quelqu’un en l’accusant d’un fait sans en avoir la preuve).

A l’exception de ces cas-là, on a le droit de tout dire, même des choses fausses, même des conneries, même des mensonges. L’inverse serait compliqué : ça impliquerait qu’on puisse déterminer ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est intelligent et ce qui est très con. Par exemple, quelqu’un a le droit de dire que la terre est plate. C’est con, c’est faux… c’est un mensonge. Mais il a le droit de le dire.

En France, dans un arrêt du 10 avril 2013, la Cour de cassation a rappelé que “la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi, et que les propos reproduits, fussent-ils mensongers, n’entrent dans aucun de ces cas”. La Cour de cassation a effectivement estimé que condamner quelqu’un pour “mensonge” constituait une violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Bref, c’est immoral de mentir, mais la liberté d’expression le permet.

Déjà Kant, qui n’était pas chaud-chaud d’admettre le mensonge, vu que ça allait à l’encontre de la “vertu”, accordait quand même que le mensonge était acceptable tant qu’il ne portait pas atteinte à autrui (ce qui rejoint bien l’idée de “diffamation”).

On pourrait également citer John Stuart Mill qui expliquait admirablement bien que c’est précisément la liberté d’expression qui permet l’émergence de la vérité. Ce n’est pas que la liberté d’expression empêche le mensonge, c’est que l’absence de liberté d’expression empêche la vérité.

Mon conseil : je me méfie toujours le plus des gens qui veulent en empêcher d’autres d’exprimer leurs opinions. Je suis convaincu (et je reprends cette idée à Nassim Nicholas Taleb) que la meilleure manière de reconnaître un fasciste (qu’il soit de gauche, de droite, du centre, ou d’en face) est sa propension à vouloir limiter la liberté d’expression des autres… Méfiez-vous de toutes celles et ceux qui veulent en faire taire d’autres.

Il n’y a pas de meilleur indicateur que quelqu’un est un vrai démocrate que sa propension à accepter que d’autres expriment des avis totalement contraires aux siens.

Pourquoi ne pas segmenter ses contacts sur les réseaux sociaux ?

Il y a plus de deux ans, j’écrivais un article intitulé “Dois-je accepter mes élèves sur Facebook ? Ou comment devenir un prof 2.0 ?“, qui reste à l’heure actuelle, l’article le plus lu sur ce blog… Cet article m’a également valu de répondre à plusieurs interviews et d’intervenir lors de quelques conférences.

J’y proposais une utilisation des réseaux sociaux, dans laquelle on ne cloisonne pas les différentes parts de son identité. On se présente avec un seul profil, proposant une “image composée mais unique“. Parce que vous n’êtes jamais seulement un prof, ou un amateur de tel style musical, ou le pratiquant de tel sport, etc. Vous êtes tout cela à la fois !

Concrètement, à destination des professeurs, je proposais d’essayer de ne pas créer, par exemple, un profil Facebook réservé à leur identité de prof, et un autre (ou des autres) profil(s) regroupant tout ce qui fait qui ils sont également : leurs goûts artistiques, leurs passions, leurs rêves de voyage, leur vie de parents, leurs engagements citoyens, etc. Un profil unique, mais composé – s’il reste matrisé -, est à mon sens beaucoup plus enrichissant.

POURQUOI ? Parce que si, vous, vous êtes complexes, vos contacts le sont tout autant.

Si l’on segmente ses différents groupes d’appartenance, on a tendance à restreindre chaque contact à une part de son identité, et on ne partage des infos professionnelles qu’à ses collègues, des infos sportives à ses amis de club de sport, des infos musicales à ses amis qu’on catalogue comme amateurs de ce style musical, etc.

L’expérience de n’avoir jamais segmenté m’a montré que la richesse des échanges est dans ces moments inattendus où les gens qu’on connaît (ou croyait connaître) se révèlent sur des sujets qu’on n’attendait pas. Si je prends mes propres réseaux, mes collègues sociologues ou enseignants peuvent effectivement être intéressés par (c-à-d “liker“, commenter, etc.) un article que je partage à propos de l’alimentation paléo ou du CrossFit. Et mes collègues sportifs et les gens que j’entraine peuvent tout à fait être intéressés par une publication que je partage en matière de société, de politique ou de communication. Après tout, les premiers peuvent tout autant être concernés par leur corps et leur santé et les seconds sont aussi des citoyens, qui ont leurs propres opinions sur la chose sociale…

Et les uns comme les autres peuvent apprécier un morceau musical que je partage sur Spotify, une vidéo de Skate sur Youtube, ou un tatouage “épinglé” sur Pinterest

Tout ce partage d’articles, photos, vidéos, entre groupes d’appartenance, n’aurait pas été possible si j’avais segmenté ces groupes et n’avais publié que des infos de sociologie pour mes collègues sociologues, etc…. vous avez compris le principe ! (Je pense d’ailleurs que c’est en cela que Google Plus ne décolle pas : cette richesse des échanges est perdue à cause des “cercles”).

Alors, faites sauter les segmentations (groupes, listes, cercles, restrictions) dans vos contacts, et présentez tout ce qui compose votre identité avec d’autres, tout aussi complexes et composés que vous !

Campagne politique et réseaux sociaux

Le hasard des découvertes sur les réseaux sociaux fait que je découvre aujourd’hui, à la fois le groupe Facebook “Communales / Provinciales 2012 : le meilleur du pire“, recensant les pires photos et vidéos de celles et ceux qui se présentent aux prochaines élections en Belgique, et, de l’autre côté, ce Tweet et cette photo d’Obama, répondant aux critiques qui lui étaient adressées. 

Le jour. La nuit. Au niveau de l’utilisation des réseaux sociaux et de la gestion de l’image. Et on comprend qu’Obama soit décrit comme le “premier Président ‘Digital’ au monde“. Fast Company publie un article intéressant sur les points forts de la campagne digitale de l’équipe d’Obama :

  1. Un travail d’équipe, au sein duquel il faut compter la présence de Michelle Obama sur Twitter (1,5 millions de “followers”).
  2. La volonté de toucher les “Influencers” et les “Early adopters”. Alors que Romney “achète” des “Trending Topics” sur Twitter, l’équipe d’Obama arrive à faire en sorte que les propos d’Obama deviennent, de manière organique, un “Trending Topic”. Plus naturel…
  3. Une bonne utilisation des photos, dont celle ci-dessus est un excellent exemple : c’est classe, un peu taquin, très hip-hop dans l’attitude,  et on comprend le message en une seconde, “Ce siège n’est pas à prendre“, face à ceux qui disaient qu’ils n’occupaient pas son poste de Président… Une photo vaut 1000 mots. Selon une étude, 44% des répondants rentreront plus facilement en relation avec une marque si celle-ci poste des photos…
  4. La perception de la campagne digitale comme un marathon, c’est-à-dire sur le long terme. Même durant les moments creux de la campagne, Obama produit beaucoup plus de Tweets et de blog posts que Romney. L’équipe d’Obama a bien compris qu’une manière de créer la dynamique est d’amener les citoyens à s’engager dans des conversations.
  5. Une compréhension claire que l’Internet est maintenant mobile. Et c’est peut-être ce qui a le plus changé depuis la dernière campagne, où ni les tablettes, ni les smartphones n’avaient le poids actuel.

Ce n’est pas simplement de la communication politique, c’est du Personal Branding. Et on ne construit pas son image médiatique et digitale en une affiche, ou une vidéo. C’est une somme de publications sur les réseaux sociaux, qui sont autant d’interactions avec des électeurs (ou des consommateurs… ou des élèves dans d’autres situations).

Elections 2012 : Quels partis utiliseront efficacement les réseaux sociaux ?

Genappe, 2012… ou 1972 ?

Pour les élections communales et provinciales de 2012, en Belgique, quels partis utiliseront efficacement les réseaux sociaux ? Quels candidats seront capables de retenir l’attention de l’électeur grâce aux réseaux sociaux ? Et quels candidats feront une campagne digne des années ’90… voire même des années ’70 ? 

Alors que les réseaux sociaux et tous les moyens technologiques actuels permettent une interaction permanente, que ce soit entre les internautes, entre une marque et ses consommateurs… ou entre un parti et ses électeurs, beaucoup de partis et de candidats restent dans une stratégie de communication unilatérale, digne des années ’70. Le message est “Voici qui je suis. Votez pour moi”. L’affiche électorale est le symbole même de communication à sens unique, et un peu intrusive sur les murs de nos rues…

Le problème est que beaucoup de candidats et de partis utilisent les réseaux sociaux de la même manière. Comme si un “mur” Facebook était juste un mur de plus où poster sa photo (“Votez pour moi”). Unilatéral et intrusif.

J’appellerais cette stratégie du “marketing orienté candidat“. Le message tourne uniquement autour du candidat, et non de l’électeur. Ce dernier est seulement perçu comme récepteur passif du message. Aucune interaction.

Pourtant les réseaux sociaux sont avant tout un lieu de conversations, de discussions, d’échanges. Les marques qui ont le plus de succès dans leur stratégie médiatique sont celles qui, aujourd’hui, sont capables d’engager les consommateurs dans des interactions sur Facebook, Twitter ou toute autre plateforme internet.

J’appellerais cette stratégie du “marketing orienté électeur“. Par les réseaux sociaux, les candidats interagissent et discutent avec les électeurs potentiels, suscitent des débats et les invitent à prendre part à la campagne. De cette manière, l’interaction peut être enrichissante pour l’électeur potentiel. Et surtout les partis peuvent être à l’écoute des électeurs et de leurs préoccupations. Bilatéral et beaucoup moins intrusif. De la démocratie plus participative en somme.

Mais pour l’instant, je n’ai vu que TRES peu de candidats adopter cette stratégie “orientée électeur”. La plupart continuent à poster leurs photos électorales sur le net et à faire du “Votez pour moi“…

Les candidats pourraient, au contraire, utiliser les réseaux sociaux pour :

  • poser des questions aux citoyens et susciter des débats.
  • poster des informations utiles aux citoyens, que ceux-ci pourraient partager à leur tour.
  • créer des communautés de discussions sur des enjeux spécifiques.
  • détecter de quoi parlent les électeurs sur Twitter ou Facebook par exemple, et participer aux discussions.
  • définir qui sont les “influencers“, et sur quels sujets, à l’aide de Klout.com par exemple.

L’enjeu est important : le parti qui adoptera une telle stratégie de communication sur les réseaux sociaux sera celui qui touchera le plus les jeunes… 😉

CV / Bibliographie en Vidéo

[vimeo 28368474]

C’est risqué, c’est sûr : faire un CV vidéo, c’est risquer de faire un buzz sur le net, en étant tout à fait ridicule. Mais deux choses :

  • Ce n’est pas vraiment un CV, mais plutôt une mise en forme animée de ma bibliographie
  • Ce n’est pas vraiment une vidéo, mais plutôt une animation, un slideshare

Donc, je teste l’intérêt de produire une bibliographie sous forme de vidéo, comme une carte de visite, à envoyer à de futurs employeurs/partenaires potentiels.

Je l’ai mis sur Vimeo, parce que c’est ce qui me semblait le plus classe. Mais je l’ai également posté sur Dailymotion et sur Youtube, avec mes vidéos de “Sport is Everywhere“.

Il me semble que la vidéo circule plus facilement sur les réseaux sociaux (en particulier Facebook et Google+) qu’une bibliographie traditionnelle.

Une chose que je remarque, il n’y a pratiquement pas de lieux où poster ce genre de choses sur le net…

N’hésitez pas à communiquer si vous avez vous-même essayé ce genre de CV/bibliographie Vidéo, si ça a bien marché, etc. Et puis, je serais heureux d’avoir votre avis sur le mien 😉

Comment susciter l’intérêt des élèves grâce aux TICE ?

Ce samedi, j’étais au “Troisième rendez-vous Ecoles et Nouvelles technologies“, au Centre de compétence Technofutur de Gosselies (Belgique), pour parler de l’utilisation des nouvelles technologies dans l’éducation.

C’était un atelier très sympa, avec des participants intéressés et ouverts, ce qui a permis des échanges très intéressants.

Ci-dessous la présentation de l’atelier, et – puisque ça m’a été demandé – le slideshow… Au plaisir d’en discuter avec toute personne intéressée…

TITRE : Comment favoriser l’intérêt des élèves grâce aux moyens technologiques ?

L’un des enjeux fondamentaux de la situation d’enseignement est la capacité de l’enseignant à intéresser l’élève à sa matière, à capter son attention. Et pour ce faire, les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont un moyen privilégié.

L’objectif de cet atelier est de présenter quelques possibilités d’utilisation des TIC dans un cadre éducatif, très concrètement. Et d’en débattre. Nous verrons comment, dans la pratique, intégrer au maximum la dimension “multimedia” dans un cours, grâce à l’utilisation d’internet (blog de cours, facebook), de la vidéo, etc. Ces échanges devraient susciter des questions qui se posent dans beaucoup d’écoles (faut-il accepter ses élèves sur facebook ? Peut-on utiliser Wikipedia, etc. ?) L’accent sera mis non pas sur des projets spécifiquement en rapport avec les TIC, mais plutôt sur leur utilisation au quotidien dans la situation d’apprentissage, en particulier pour des élèves du secondaire, et dans le domaine des sciences humaines, de l’histoire, de l’éducation à la citoyenneté, etc.

[slideshare id=7338411&doc=prsentationticgosseliesonline-110321155726-phpapp01]

Dois-je accepter mes élèves sur Facebook ? Ou comment devenir un prof 2.0 ?

Temps de lecture : 7 à 10 minutes

De nombreux enseignants, surtout parmi les plus jeunes, ont un compte Facebook. Coup classique : les élèves ont fait leur petite recherche et envoient une demande pour être « ami » sur Facebook. Comment réagir ? Doit-on accepter ? Et que cela nous apprend-il sur le monde actuel ?

Premièrement, il faut tout de suite relativiser la notion d’ « ami ». En aucun cas, les 300 « amis » que l’on a sur Facebook ne sont réellement des amis au sens où on l’entendrait hors de Facebook. La preuve, la plupart des gens ont, dans leur liste d’ « amis Facebook », de la famille, des anciennes connaissances d’école, etc. L’argument « je ne peux pas être ami avec mes élèves » n’a donc pas réellement de sens dans le cas de Facebook. Ce qu’ils vous demandent, c’est d’être connectés sur un réseau social.

J’ai actuellement 74 élèves et anciens élèves dans mes amis Facebook, ce qui représente plus ou moins un quart de ma liste d’ « amis ». Le reste de ces amis sont de la famille, des « vrais » amis, des collègues, des anciennes connaissances, des contacts professionnels, etc. Ai-je eu des problèmes ? Aucun. Au contraire, c’est un réel atout pour l’enseignement. Pourquoi ? Parce que ça m’a forcé à ne pas segmenter les différentes aspects de ma vie.

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