Qui était Mary Parker Follet ?

Photo : Wikipedia

Aujourd’hui, j’avais envie de vous parler d’une personnalité peu connue des sciences sociales, mais dont les travaux sur la démocratie et l’éducation sont très intéressants : MARY PARKER FOLLETT, une philosophe, travailleuse sociale, spécialiste du management, née aux Etats-Unis en 1868 et décédée en 1933. Elle fut consultante également pour le Président Theodore Roosevelt.

Mary Follett a construit une approche sociale assez avant-gardiste pour l’époque, basée sur les relations sociales. Ainsi, par exemple, en management, elle fut parmi les premiers et premières à aborder les organisations comme des réseaux de groupes plutôt que comme des structures hiérarchiques.

Moi, ce qui m’intéresse le plus dans ses travaux, c’est son approche de la démocratie construite sur les groupes sociaux. Pour elle, la démocratie ne peut fonctionner que si les individus s’organisent en groupes locaux.

A partir de 1908, Mary Follett a cherché à surmonter l’apathie civique par l’engagement dans des groupes (églises, associations professionnelles, associations locales, groupes de jeunes, etc.). Elle a également essayé de créer un cadre local permettant d’intégrer ces groupes. Elle-même s’est engagée dans de nombreux projets communautaires et associatifs. Tout ça est rassemblé dans l’ouvrage “The New State”, publié en 1918. Sous-titre : “L’organisation en groupes, la solution au gouvernement populaire”.

Aborder la démocratie non pas par ses institutions, mais par les relations sociales entre individus, au sein de groupes composant la société, ça me semble être très pertinent. Ça l’était à l’époque. Ça l’est encore plus aujourd’hui.

Par exemple, elle rejette avec beaucoup de justesse les théories organicistes de la société (la vision de la société comme un organisme), qui font un retour aujourd’hui dans les dérives technocratiques que sont la sociocratie et l’holacratie. Je suis 100% d’accord avec elle lorsqu’elle dit que la démocratie est incompatible avec la théorie de la société comme un organisme.

Ce qui est très intéressant aussi, c’est qu’elle articule sa théorie de la démocratie (proche d’un Tocqueville, par exemple, sans qu’elle ne le cite) avec une théorie de l’éducation. Selon elle, être un démocrate, c’est apprendre à vivre avec les autres. L’apprentissage de la vie en société est donc fondamental pour elle, et ça passe évidemment par l’école.

L’appendice du livre “The New State” a comme titre “Training for the New Democracy”. Selon elle, la citoyenneté ne s’apprend pas dans des cours sur les gouvernements, mais dans la pratique, dans l’associatif local, dans l’engagement civique, et surtout à l’école par la collaboration. Follett met beaucoup l’accent sur les travaux de groupe à l’école. Pas seulement à des fins pédagogiques, mais également à des fins démocratiques. Et je trouve ça très intéressant, surtout en considérant que ça a été écrit il y a plus de 100 ans !

Si les sujets de la démocratie participative, construite par le bas, par le local, ainsi que le sujet des pédagogies participatives vous intéressent, je vous conseille de jeter un coup d’œil sur les travaux de Mary Parker Follett. Ses ouvrages sont, pour la plupart, libres de droit et disponibles en ligne (mais à ma connaissance, pas traduits en français).

Il faut creuser le lien entre sentiment de solitude et montée des populismes…

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On ne peut pas constamment faire le constat, inquiétant, de la montée des populismes, sans essayer de comprendre quelles sont les conditions sociales de ce phénomène.

On se satisfait parfois un peu vite, me semble-t-il, de l’explication par “la crise de la démocratie” ou “crise du politique”, ou encore par le “fossé” entre les élus, les élues, et la population. Tout cela n’est-il pas le même problème, qui aurait ses causes dans des conditions sociales spécifiques ?

Une hypothèse que je trouve très intéressante est celle qui lie l’attrait pour les mouvements populistes et extrémistes, en particulier d’extrême-droite, et le sentiment de solitude dans nos sociétés contemporaines.

Le phénomène n’est pas nouveau : des études avaient montré qu’en 1992, en France, Jean-Marie Le Pen avait été largement plébiscité par celles et ceux qui se sentaient les plus seuls. Selon l’économiste Noreena Hertz, autrice de “The Lonely Century : How Isolation Imperils our Future”, les populismes sont majoritairement le fruit de la solitude. Si l’on compare les électeurs et électrices du PVV (Pays-Bas), de Trump ou de Matteo Salvini, aux partisans et partisanes d’autres partis, on voit que les premiers passent davantage de temps seuls, et ont moins d’amis et d’amies.

Une étude réalisée auprès de jeunes qui ont été embrigadés dans des organisations violentes extrémistes a montré que le sentiment d’être isolés et seuls avaient joué un rôle dans leur radicalisation. Et cela de manière identique parmi des suprémacistes blancs et des islamistes (Brown, 2021). Ca rejoint le sentiment d’être seul et abandonné qui était au cœur de mon analyse de la radicalisation islamiste et d’extrême-droite, parue dans la revue “Ceci n’est pas une crise” (2017).

Une étude parue dans “Political Psychology” a observé qu’une faible appartenance sociale est associée, en Europe, à une probabilité accrue de voter pour des partis populistes, en particulier d’extrême-droite (Langenkamp & Bienstam, 2022).

Et les mouvements populistes sont les premiers à l’avoir bien compris : Steve Bannon, aux Etats-Unis, travaillait, avant d’être le conseiller Trump, dans le secteur des jeux en ligne : il y avait découvert ce public particulier d’hommes, majoritairement blancs, sans racines, sans beaucoup de liens sociaux “réels” (au sens de non virtuels). Et lorsqu’en 2012, il a repris le média suprémaciste et complotiste Breitbart News, c’était bien dans l’idée de convertir ces joueurs socialement isolés en partisans de ses théories complotistes d’extrême-droite. En Europe, Bannon a rencontré, et aurait conseillé, Marine Le Pen, et serait, en Belgique, proche de Michael Modrikamen, président du “Parti populaire”, un parti populiste d’extrême-droite.

Mais quelles sont les raisons de ce lien entre sentiment de solitude et attrait pour les extrêmes ?

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Javier Milei, le succès des démagogues d’extrême-droite

Dès l’Antiquité, Aristote avait prévenu : “les démocraties changent principalement du fait de l’audace des démagogues” (1304a).

Sur fond d’un retour en force de Trump aux Etats-unis — auquel on le compare souvent — Javier Milei vient de gagner les élections présidentielles argentines, avec toutes les stratégies classiques de la démagogie d’extrême-droite : posture anti-système, disqualification généralisée de la classe politique, anti-intellectualisme, anti-parlementarisme, attaques contre les institutions, ultra-simplifications, etc.

L’audace des démagogues, dont parlait Aristote, c’était de s’assurer la confiance du peuple en s’appuyant sur une haine de la classe dirigeante, des riches, des notables. Le “démagogue” est étymologiquement “celui qui guide le peuple”. Au temps d’Aristote, ils étaient les leaders des partis populaires. Et selon lui, c’est parmi leurs rangs que sortait la grande majorité des tyrans (1305a).

Et tout se passe comme si nous rentrions à nouveau dans une époque où se montrer “anti-système”, jusqu’à l’extrême, était une stratégie payante dans le jeu politique. Dans un contexte de crise de la démocratie, il s’agit de sur-jouer cette posture anti-establishment. Le “système” — peu importe ce que recouvre ce terme — est l’ennemi. Et avec lui, toutes celles et ceux qui le représentent : la classe politique, le monde intellectuel, les représentants et représentantes de l’Etat. D’où les postures complotistes : les démagogues vont toujours s’imposer en dénonçant un complot organisé par cet ennemi généralisé contre “nous”, le peuple, les “petites gens”, les “sans pouvoirs”, etc. Et Javier Milei coche bien les cases du covidosepticisme ou du climatosepticisme.

Pierre-André Taguieff avait bien décrit, en 1984, la rhétorique démagogique qu’il identifiait, à l’époque, dans le national-populisme des partis d’extrême-droite. Ainsi, par exemple, la “thématique de la restauration épuratrice” : il s’agit de dénoncer une “décadence généralisée” pour s’imposer comme celui ou celle qui va faire le ménage, et restaurer la grandeur perdue. C’est le “Make America Great Again” de Trump. Et c’est Milei qui dit, lors du discours le soir de sa victoire : “L’Argentine va reconquérir la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre dans le monde“. En Europe, ce sont tous les discours sur la décadence de l’Occident, des valeurs chrétiennes (souvent fantasmées, et mal maîtrisées, comme chez certains YouTubeurs d’extrême-droite), de la masculinité, etc.

En Argentine, l’inflation à 140% permet à Javier Milei de s’associer la colère du peuple. Et de proposer des solutions simplificatrices (couper les dépenses de l’Etat, dollarisation de l’économie, etc.), dans un langage qui sur-joue la simplification, la franchise, le franc-parler (jusqu’au recours constant à l’insulte chez Milei) pour s’opposer au langage professionnel ou intellectuel, toujours soupçonné d’être trompeur.

Il faut plus que jamais le rappeler : la démagogie est un SIMULACRE de démocratie. Ca n’amène pas plus de démocratie; ça a, au contraire, toujours été le chemin que prend la tyrannie pour s’imposer.

Face aux tentations démagogiques, il faut rappeler les bases de la démocratie : un peuple ne peut être un “demos” qui exerce son pouvoir (“kratos”) de s’autogouverner, qu’à conditions d’avoir des institutions qui lui permettent de délibérer (des assemblées communales aux parlements nationaux), des institutions qui lui permettent d’être toutes et tous éduqués (l’enseignent avait beaucoup d’importance pour les inventeurs de la démocratie, et l’Ecole est au centre du modèle républicain, par exemple), et des institutions qui amènent du contenu, de la connaissance, dans les débats : la presse, les universités, les académies, etc.

Et de même, le démocratie se construit sur des liens sociaux qui fondent un tissu social, avec des valeurs partagées, des liens de fraternité — d’ “amitié civile” disaient les anciens —, de solidarité. Ce “liant” est nécessaire aux sociétés démocratiques. Au coeur de la démocratie, il y a l’idée du “bien commun”, de l’intérêt collectif. On ne construit pas une démocratie sur le chacun pour soi, le plus fort l’emporte, ou la guerre du tous contre tous, qu’on retrouve dans la rhétorique anarcho-capitaliste et paléolibertarienne d’un Javier Milei.

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Image : ABC News https://abcnews.go.com/International/wireStory/lion-wig-warrior-javier-milei-argentinas-president-elect-105024905

Aristote, “Les Politiques”, trad. Pierre Pellegrin, Paris : Flammarion, 2015.

Taguieff, P.-A. (1984) “La rhétorique du national-populisme. Les règles élémentaires de la propagande xénophobe”, Mots, n°9, octobre, pp. 113-139.

Faut-il se venger sur tout un peuple qui nous a agressés ou juste punir les responsables ? — Un débat, à Athènes, en 427 av. J.-C.

Je remets le cadre historique… On est dans le contexte des guerres du Péloponnèse : les Mytiléniens, peuple de la ville de Mytilène, sur l’île de Lesbos, s’allient aux Lacédémoniens pour se rebeller contre Athènes, dont ils dépendaient.

Avec eux, ils font une incursion en Attique (où se trouve Athènes) et ravagent tout sur leur passage (sur un territoire qui avait déjà été saccagé lors de précédentes invasions !). Puis, les Mytiléniens rentrent chez eux. Sur place, le peuple menace de se retourner contre ses dirigeants (des oligarques) et de revenir sous la tutelle d’Athènes. Mais les Athéniens mettent vite la ville à siège, et Mytilène capitule.

La question est alors : que faire de ce peuple qui a agressé Athènes ? Et le débat est tendu à l’Ecclesia (l’assemblée des citoyens d’Athènes). En fait, on en a gardé la mémoire grâce à Thucydide, qui l’a relaté en détails, parce que — fait intéressant — une première décision avait été prise : mettre à mort tous les hommes mytiléniens, réduire en esclavage femmes et enfants, et raser la ville, en guise de vengeance et de punition. Mais le soir même de la décision, les modérés ne sont pas satisfaits et arrivent à provoquer une remise en délibération de la décision, le lendemain.

C’est de ce deuxième débat dont nous avons la trace. Et deux opinions s’opposent.

La première est celle de Cléon, homme politique athénien, considéré comme un des successeurs de Périclès. Mais surtout perçu comme un démagogue, violent, populiste. Aristophane, dans sa comédie “Les Cavaliers”, le décrit comme une brute ridicule, sans scrupules, jouant avec les émotions et les préjugés du peuple.

Cléon défend la vengeance généralisée et la mise à mort de tout le peuple mytilénien. Et il s’adresse au peuple en l’incitant à ne pas se laisser avoir par les “belles paroles” des “esprits supérieurs” : ceux-ci sont perçus comme trop faibles, trop mous, face à l’ennemi. “Les concessions que la pitié vous fait accorder [à l’ennemi] sont là autant de marques de faiblesse”, dit-il (Livre III, chap. XXXVII).

Selon lui, ces belles paroles ne vont qu’amener la chute de la Cité. On retrouve là les traits de l’anti-intellectualisme toujours très présent, à l’heure actuelle, dans les discours populistes. Ainsi que l’idée selon laquelle les démocraties sont des régimes trop faibles, des régimes “de faibles”. Cléon harangue le peuple à rejeter les esprits supérieurs qui les dominent et les empêchent de se venger.

Il ne veut pas perdre de temps, car “la colère de la victime contre l’offenseur s’émousse à la longue“, il faut selon lui que la riposte soit immédiate ! Et pour s’assurer que le peuple le suive, Cléon tente de le convaincre que l’outrage nécessite une vengeance totale : “je vais vous montrer que les Mytiléniens vous ont infligé le pire outrage qu’un État ait jamais reçu (…) Qu’ont-ils cherché sinon, avec la complicité de nos pires ennemis [les Lacédémoniens], à nous détruire ?” (Livre III, chap. XXXIX).

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Dans les “Confessions” de J.-J. Rousseau

“Dieu nous a faits trop faibles pour sortir du gouffre, parce qu’Il nous a faits assez forts pour ne pas y tomber.”

Une réflexion très sage, très puissante, dans les “Confessions” (Livre I : 1712-1719) du philosophe Jean-Jacques Rousseau. Il explique : la plupart des hommes se plaignent de manquer de force quand il est déjà trop tard pour en user. Nous cédons à des tentations légères dont nous méprisons le danger… et nous tombons dans des situations périlleuses, dont nous ne pouvons plus nous tirer sans des efforts héroïques qui nous effraient.

C’est très puissant comme réflexion, je trouve.

Maintenir une rigueur, une discipline de vie, au quotidien, sera toujours plus facile que devoir se sortir d’une situation d’obésité ou de tout autre trouble de santé. Avoir 30 ou 40 kg à perdre est certainement faisable, mais revient à se sortir d’un gouffre au prix d’un effort considérable, ce qui peut effrayer; là où il aurait été plus facile de refuser, au quotidien, toutes les tentations qui amènent à ce gouffre.

Même chose pour se sortir d’une addiction (c’est tellement vrai !), ou se remettre au sport après des années de sédentarité.

C’est quelque chose dont je suis convaincu en matière de santé ou de condition physique : les régimes arrivent toujours trop tard. La clé est la discipline au quotidien. En matière de coaching, on devrait consacrer beaucoup plus de temps et d’énergie à expliquer comment ne pas prendre de la masse grasse, plutôt qu’à expliquer comment en perdre.

Je pense que c’est précisément l’optique du CrossFit, et c’est ça qui m’a plu dès le début. C’est aussi l’optique que j’essaie d’adopter, chaque mois, dans la revue Néo Santé, avec mes articles sur le modèle paléo (pour celles et ceux qui suivent régulièrement) 🙂

… Et puis, au-delà de la santé, dans tous les domaines, je pense tout autant qu’éviter le gouffre par la discipline quotidienne vaut mieux que de redoubler d’effort pour en sortir.

N’hésitez pas à partager si ça vous parle ! 😉

(Source : Edition de 1869, parue chez Gennequin Fils, Paris, p. 37).

“Use it or Loose It”. Et l’intelligence artificielle. Une brève réflexion.

J’ai beaucoup de mal à comprendre l’engouement pour l’intelligence artificielle. En quoi est-ce que déléguer certaines compétences intellectuelles à des machines peut être une bonne idée ?

Pour m’expliquer, je vais partir des compétences physiques : depuis la révolution industrielle, et plus encore avec l’accès en masse à des technologiques domestiques dès l’après-guerre, et puis la technologie informatique et connectée des dernières décennies, l’immense majorité de nos tâches physiques peut être faite par des machines.

A peu de choses près, il suffit de pousser sur un bouton ou de cliquer sur un icône pour se chauffer, se nourrir, nettoyer sa vaisselle, laver ses habits, se déplacer, etc. Beaucoup de gens vivent avec un robot qui tond leur pelouse, des plats préparés qui se réchauffent au micro-ondes, un lave-linge, un séchoir. Peut-être ont-ils une trottinette électrique pour se déplacer sur les trottoirs. Plus besoin de couper du bois, de jardiner, d’élaguer. Plus rien à porter, à déplacer. Leur travail implique une chaise, une table, un ordinateur. Leurs meubles sont préfabriqués : le montage n’a nécessité ni outils, ni dextérité, ni force physique. Et on pourrait multiplier comme ça les exemples.

Résultat : toutes les études montrent une diminution inquiétante des compétences physiques. Et cela, en plus de toutes les études qui montrent une augmentation du surpoids, de l’obésité, de l’hypertension, du diabète de type II, etc.

La grande illusion derrière tout cela, ça a été que, libérés des basses tâches physiques du quotidien, nous allions pouvoir nous émanciper, et consacrer notre temps à des activités plus saines, plus épanouissantes, plus à la hauteur de nos immenses capacités humaines. Et c’est vrai que si, libérés de ces heures consacrées à la production de nourriture, de bois pour se chauffer, au lavage des habits à la main, aux longs déplacements à pied, etc., nous nous étions toutes et tous mis à la gymnastique, à la danse, à l’haltérophilie, au yoga, à l’alpinisme mais aussi à la peinture, à la littérature, à la musique, aux mathématiques, à la philosophie, etc., les progrès pour l’humanité auraient été immenses.

Et c’est vrai aussi que l’émancipation a été réelle pour les femmes, qui étaient davantage que les hommes assignées aux tâches domestiques quotidiennes. Et je ne vais pas, d’autre part, être nostalgique d’une période où une part de la populations se tuait dans les mines, ou s’abimait le corps courbé dans les champs.

… Mais force est de constater que les tâches physique du quotidien ont davantage été remplacées par Netflix, Tik Tok et le sofa, que par des activités physiques saines. Et si on n’utilise pas certaines capacités de notre corps, on les perd. “Use it or loose it”.

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Sport et athlètes transgenres

” ‘Les garçons courent plus vite’ parce qu’on leur répète cela depuis qu’ils sont petits”… VRAI OU FAUX ? Ca ressemble à ce qu’on appelle un sociologisme et je vais essayer de l’expliquer.

Pour situer le contexte, il s’agit ici de la réaction d’une députée bruxelloise écologiste, Margaux de Ré, à la volonté de la Ministre des Sports, Valérie Glatigny, de saisir la Ligue francophone d’athlétisme, par rapport à la participation d’athlètes transgenres aux compétitions. Cela fait suite à la décision de la Fédération internationale d’athlétisme de bannir les athlètes transgenres des compétitions féminines.

Pour bien comprendre les termes du débat, il faut évidemment distinguer le “sexe”, c’est-à-dire les différences anatomiques — en particulier les organes génitaux avec lesquels on naît —, et le “genre”, qui est, pourrait-on dire, le “sexe social”, c’est-à-dire l’ensemble des représentations partagées dans une société sur ce qu’est être “un homme” et ce qu’est être “une femme”.

Pour faire simple, partout sur la planète et à toutes les époques, des êtres humains sont nés avec des vagins, et d’autres êtres humains avec des pénis (et il est vrai qu’une toute petite minorité présente à la naissance des organes génitaux qui ne correspondent pas à cette binarité). Par contre, la manière dont il convient de se comporter en tant qu’homme et en tant que femme connaît toute une palette de variantes selon les époques et les localisations. Ca, c’est le genre.

S’intéresser aux inégalités sociales entre les hommes et les femmes, c’est s’intéresser au genre, c’est-à-dire à toutes ces représentations qui font que l’homme est dominant. Et quoi qu’on en dise, il l’est toujours. Le rapport de force est toujours, actuellement, en faveur de l’homme, j’ai plein de stats là-dessus, mais ce n’est pas le sujet.

Et les différences biologiques, elles, sont souvent utilisées pour justifier cette domination, pour la rendre “naturelle” : n’est-ce pas “naturel” qu’il y ait davantage d’hommes leaders d’entreprises ou de nations, puisqu’ils sont plus forts, plus grands, plus résistants, plus vigoureux, plus combatifs, etc. ? Le sociologue répondra que non, ce n’est pas “naturel”, c’est une construction sociale, en d’autres mots une “organisation de la société”, qui est justifiée par des caractéristiques anatomiques.

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Le 49.3 expliqué aux non-Français…

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Mais qu’est-ce que c’est que cette bizarrerie politique qu’est le 49.3 ? Je vais essayer de l’expliquer pour les non-Français, parce que c’est vraiment une spécificité française… mais les Français peuvent lire aussi ! 😉

Dans les faits, il s’agit de l’article 49 alinéa 3, de la Constitution française. Cet article permet au gouvernement français de faire adopter un texte de loi, sans qu’il ne soit voté par l’Assemblée. Mais ce faisant, il engage sa responsabilité, puisque l’Assemblée peut déposer une motion de censure. Si celle-ci est votée par une majorité, le gouvernement est contraint de démissionner.

Pour rappel, le fait que les lois soient le fruit d’un débat, d’une délibération et d’un vote d’un parlement est un des fondements de la démocratie. Tout comme la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire entre les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires. L’élaboration des lois relève du pouvoir législatif, donc du parlement. Dans un système parlementaire classique, le gouvernement est par ailleurs responsable devant le parlement.

Mais la France a toujours eu un rapport… disons… “compliqué” avec son parlementarisme. Bien que quand on pense à la séparation des pouvoirs, on pense à un Français, Montesquieu (1689-1755), la Révolution française de 1789 n’a pas adopté le régime parlementaire. Nulle trace d’une séparation des pouvoirs, comme on l’entend aujourd’hui, dans les constitutions rédigées entre 1791 et 1804. Les révolutionnaires français rechignaient à imiter les Anglais et leur Constitution. En réalité — et cela peut paraître surprenant aujourd’hui — il faudra attendre la Restauration de la Monarchie et la Charte de 1814, sous Louis XVIII, pour trouver en France l’élaboration d’un régime parlementaire, cette fois-ci inspiré des Anglais. Cette Charte de 1814 restera comme une des plus libérales de l’époque, et influencera les constitutions de nombreux pays européens, dont en partie la Belgique et sa constitution de 1831. A la même époque, en 1830, la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe Ier) renforce encore la lente apparition du parlementarisme en France.

C’est que durant tout une partie du XIXe siècle, le libéralisme politique se confond avec le constitutionnalisme parlementaire (Rousselier, 2002 : 629). Le parlementarisme apparait effectivement comme le meilleur garant des libertés publiques.

Mais le parlementarisme a aussi été, en France, une grande source d’instabilité durant les IIIe et IV Républiques (Audouy, 2016 : 1). Des majorités changeantes dans l’hémicycle, au gré des manigances politiques, renversaient et refaisaient les gouvernements. Durant la IIIe République (de 1871, après la chute de Napoléon III, à la proclamation du Régime de Vichy, en 1940), la France a compté 104 gouvernements ! Durant la IVe République (1947-1958), 24 gouvernements se sont succédé…

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Climat, démocratie et participation. Pour rebondir sur une chronique de Marius Gilbert

Si vous n’avez pas lu la chronique récente de Marius Gilbert, intitulée “Après l’orage : les trois piliers du changement“, et parue dans Le Soir, je vous conseille vivement d’y jeter un coup d’œil. L’épidémiologiste y défend un modèle triangulaire, associant experts, décideurs publics, et citoyens. Lors de la pandémie, ce modèle a, par moments, fait défaut. Les décideurs politiques étant tantôt tentés de ménager l’opinion publique, quitte à faire fi de l’avis des scientifiques ; tantôt contraints de prendre des mesures, validées par le corps scientifique, mais mal comprises par l’opinion publique.

Le parallèle que fait Marius Gilbert avec la question climatique a tout son sens : comment faire travailler ensemble experts, pouvoir politique et citoyens ? C’était d’ailleurs l’objectif premier des “Nuits climatiques” organisées place Schuman, fin 2022, et dans le cadre desquelles j’avais rencontré Marius Gilbert, qui en était un des organisateurs : faire débattre scientifiques, citoyens et représentants de la société civile, des grands enjeux liés au changement climatique.

Je rejoins évidemment tout à fait ce modèle triangulaire. Celles et ceux avec qui j’ai déjà travaillé sur des dispositifs participatifs, au niveau local, savent que je répète souvent que l’enjeu principal de la participation est de mettre autour de la table trois formes d’expertise : 1) l’expertise politico-institutionnelle, 2) l’expertise technique, 3) l’expertise d’usage, c’est-à-dire, pour cette dernière, l’expertise des citoyens et citoyennes, de celles et ceux qui possèdent une connaissance légitime parce qu’ils sont usagers d’un lieu, d’un service public, d’une institution.

La souveraineté du débat

Il est important de comprendre que ce n’est pas quelque chose de nouveau. Loin d’être une innovation en matière de démocratie, ce pari de l’intelligence collective est au fondement de la démocratie. Et l’exemple de la pandémie est intéressant. Certains, certaines, diront toujours que les décisions politiques sont aujourd’hui plus “techniques” que celles de nos ancêtres athéniens. Et il est évident qu’ils n’avaient pas à discuter des dangers de la 5G ou de la fiscalité en matière de panneaux photovoltaïques. Mais les pandémies, ils connaissaient !

En fait, la tristement célèbre peste d’Athènes (de – 430 à – 426 av. J.C) a été contemporaine de certains des plus grands moments de la démocratie athénienne. On est effectivement en pleine Guerre du Péloponnèse. Thucydide relate d’ailleurs dans son “Histoire de la Guerre du Péloponnèse” (Livre II) comment le grand stratège et orateur, Périclès — qui périra, peu après, de cette peste — se défend devant l’assemblée des citoyens qui lui reprochent les malheurs de la guerre additionnés à ceux de la pandémie. Périclès les exhorte à réfléchir à l’intérêt public, et leur rappelle que les décisions ont été prises collectivement, c’est-à-dire avec eux. C’est la même année que Périclès prononcera sa fameuse oraison funèbre, en l’honneur des soldats athéniens morts au combat. Il y décrira ce qui distingue la démocratie athénienne des autres régimes politiques, d’une manière si illustre qu’elle reste une référence aujourd’hui : le pari de l’intelligence collective, la félicité du peuple, l’importance du débat avant l’action, etc.

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Enquête Noir Jaune Blues : des résultats très inquiétants !

Est-il déjà trop tard ? Les résultat de l’enquête “Noir-Jaune-Blues” sont extrêmement inquiétants : 69% des belges ne croient plus dans le modèle parlementaire et souhaitent remettre leur destin dans les mains d’un “vrai chef” ! 

Il y a une différence fondamentale entre le fait de penser que nous ne sommes pas dans un système assez démocratique (et donc demander davantage de démocratie) ET ne plus croire dans la démocratie, ses valeurs et ses institutions. 

  • 69% des Belges pensent qu’ “Un bon système de gouvernement serait d’être dirigé par une personnalité forte qui comprend vraiment le peuple et qui ne doive pas nécessairement en référer à un parlement ou à des élections“.
  • 57% des Belges pensent que “Rien ne devrait faire obstacle à un vrai chef que le peuple aurait choisi car il sera la voix du peuple.
  • 59 % des Belges pensent que “Pour permettre à un vrai chef élu d’effectuer des changements en profondeur, il ne faut en aucun cas qu’il soit gêné dans son action par des gens non élus c’est-à-dire des juges, des journalistes, des fonctionnaires, des lanceurs d’alerte, des activistes de tous types, des intellectuels critiques, etc.

Et je ne peux pas m’empêcher de penser qu’au-delà des mandataires actuels qui ont eux-mêmes et elles-mêmes, en partie, discrédité la démocratie à coups de magouilles, corruptions et compagnie, la cause vient aussi de ces mouvements “soi-disant-citoyens” qui défendent un modèle sans citoyenneté : un modèle de démocratie directe, par référendums, ou des modèles technocratiques (management public par des experts, sociocratie, holacratie, etc.). Et je citerais aussi ces mouvements d’écologie radicale qui ne cessent de répéter que la démocratie n’est pas apte face à l’urgence climatique.

Tout cela a amené une véritable sape de la démocratie. Et je ne peux pas m’empêcher de penser, non plus, que cela a été rendu possible par un manque de connaissance politique. Une des priorités actuelles, au moins aussi urgente que l’éducation aux enjeux climatiques, est l’éducation à la démocratie. 

Il faut rappeler que cette espèce de “rencontre” entre “UN peuple” et “UN homme”, souhaitée par 57% des Belges, est un mythe gaulliste, d’inspiration bonapartiste, défendu par tous les leaders d’extrême-droite. Le dernier à avoir défendu ce mythe avec vigueur est Eric Zemmour en France, j’en parlais dans cette carte blanche…

(On se gargarise parfois en Belgique francophone de ne pas avoir de parti d’extrême-droite fort, mais les idées d’extrême-droite sont bien présentes…). 

Il faut rappeler l’importance d’un “Parlement” : c’est l’institution garante de la souveraineté du peuple. C’est ce pouvoir législatif, cette capacité de faire des lois ensemble, qui permet de “faire société”. C’est une erreur de penser que s’en remettre à un chef permettra de refaire société. “Tous derrière un chef”, c’est, à terme, la voie vers la violence et la guerre civile.

Il faut rappeler que le parlement, mais aussi tous les corps intermédiaires qui constituent la société civile, c’est au fondement de la démocratie. Cette société civile est garante du pluralisme de la société : une presse libre, des associations, des corporations, des syndicats, des universités, etc. 59% des belges ne perçoivent plus l’importance de ces corps intermédiaires. 

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