Javier Milei, le succès des démagogues d’extrême-droite

Dès l’Antiquité, Aristote avait prévenu : “les démocraties changent principalement du fait de l’audace des démagogues” (1304a).

Sur fond d’un retour en force de Trump aux Etats-unis — auquel on le compare souvent — Javier Milei vient de gagner les élections présidentielles argentines, avec toutes les stratégies classiques de la démagogie d’extrême-droite : posture anti-système, disqualification généralisée de la classe politique, anti-intellectualisme, anti-parlementarisme, attaques contre les institutions, ultra-simplifications, etc.

L’audace des démagogues, dont parlait Aristote, c’était de s’assurer la confiance du peuple en s’appuyant sur une haine de la classe dirigeante, des riches, des notables. Le “démagogue” est étymologiquement “celui qui guide le peuple”. Au temps d’Aristote, ils étaient les leaders des partis populaires. Et selon lui, c’est parmi leurs rangs que sortait la grande majorité des tyrans (1305a).

Et tout se passe comme si nous rentrions à nouveau dans une époque où se montrer “anti-système”, jusqu’à l’extrême, était une stratégie payante dans le jeu politique. Dans un contexte de crise de la démocratie, il s’agit de sur-jouer cette posture anti-establishment. Le “système” — peu importe ce que recouvre ce terme — est l’ennemi. Et avec lui, toutes celles et ceux qui le représentent : la classe politique, le monde intellectuel, les représentants et représentantes de l’Etat. D’où les postures complotistes : les démagogues vont toujours s’imposer en dénonçant un complot organisé par cet ennemi généralisé contre “nous”, le peuple, les “petites gens”, les “sans pouvoirs”, etc. Et Javier Milei coche bien les cases du covidosepticisme ou du climatosepticisme.

Pierre-André Taguieff avait bien décrit, en 1984, la rhétorique démagogique qu’il identifiait, à l’époque, dans le national-populisme des partis d’extrême-droite. Ainsi, par exemple, la “thématique de la restauration épuratrice” : il s’agit de dénoncer une “décadence généralisée” pour s’imposer comme celui ou celle qui va faire le ménage, et restaurer la grandeur perdue. C’est le “Make America Great Again” de Trump. Et c’est Milei qui dit, lors du discours le soir de sa victoire : “L’Argentine va reconquérir la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre dans le monde“. En Europe, ce sont tous les discours sur la décadence de l’Occident, des valeurs chrétiennes (souvent fantasmées, et mal maîtrisées, comme chez certains YouTubeurs d’extrême-droite), de la masculinité, etc.

En Argentine, l’inflation à 140% permet à Javier Milei de s’associer la colère du peuple. Et de proposer des solutions simplificatrices (couper les dépenses de l’Etat, dollarisation de l’économie, etc.), dans un langage qui sur-joue la simplification, la franchise, le franc-parler (jusqu’au recours constant à l’insulte chez Milei) pour s’opposer au langage professionnel ou intellectuel, toujours soupçonné d’être trompeur.

Il faut plus que jamais le rappeler : la démagogie est un SIMULACRE de démocratie. Ca n’amène pas plus de démocratie; ça a, au contraire, toujours été le chemin que prend la tyrannie pour s’imposer.

Face aux tentations démagogiques, il faut rappeler les bases de la démocratie : un peuple ne peut être un “demos” qui exerce son pouvoir (“kratos”) de s’autogouverner, qu’à conditions d’avoir des institutions qui lui permettent de délibérer (des assemblées communales aux parlements nationaux), des institutions qui lui permettent d’être toutes et tous éduqués (l’enseignent avait beaucoup d’importance pour les inventeurs de la démocratie, et l’Ecole est au centre du modèle républicain, par exemple), et des institutions qui amènent du contenu, de la connaissance, dans les débats : la presse, les universités, les académies, etc.

Et de même, le démocratie se construit sur des liens sociaux qui fondent un tissu social, avec des valeurs partagées, des liens de fraternité — d’ “amitié civile” disaient les anciens —, de solidarité. Ce “liant” est nécessaire aux sociétés démocratiques. Au coeur de la démocratie, il y a l’idée du “bien commun”, de l’intérêt collectif. On ne construit pas une démocratie sur le chacun pour soi, le plus fort l’emporte, ou la guerre du tous contre tous, qu’on retrouve dans la rhétorique anarcho-capitaliste et paléolibertarienne d’un Javier Milei.

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Image : ABC News https://abcnews.go.com/International/wireStory/lion-wig-warrior-javier-milei-argentinas-president-elect-105024905

Aristote, “Les Politiques”, trad. Pierre Pellegrin, Paris : Flammarion, 2015.

Taguieff, P.-A. (1984) “La rhétorique du national-populisme. Les règles élémentaires de la propagande xénophobe”, Mots, n°9, octobre, pp. 113-139.