Javier Milei, le succès des démagogues d’extrême-droite

Dès l’Antiquité, Aristote avait prévenu : “les démocraties changent principalement du fait de l’audace des démagogues” (1304a).

Sur fond d’un retour en force de Trump aux Etats-unis — auquel on le compare souvent — Javier Milei vient de gagner les élections présidentielles argentines, avec toutes les stratégies classiques de la démagogie d’extrême-droite : posture anti-système, disqualification généralisée de la classe politique, anti-intellectualisme, anti-parlementarisme, attaques contre les institutions, ultra-simplifications, etc.

L’audace des démagogues, dont parlait Aristote, c’était de s’assurer la confiance du peuple en s’appuyant sur une haine de la classe dirigeante, des riches, des notables. Le “démagogue” est étymologiquement “celui qui guide le peuple”. Au temps d’Aristote, ils étaient les leaders des partis populaires. Et selon lui, c’est parmi leurs rangs que sortait la grande majorité des tyrans (1305a).

Et tout se passe comme si nous rentrions à nouveau dans une époque où se montrer “anti-système”, jusqu’à l’extrême, était une stratégie payante dans le jeu politique. Dans un contexte de crise de la démocratie, il s’agit de sur-jouer cette posture anti-establishment. Le “système” — peu importe ce que recouvre ce terme — est l’ennemi. Et avec lui, toutes celles et ceux qui le représentent : la classe politique, le monde intellectuel, les représentants et représentantes de l’Etat. D’où les postures complotistes : les démagogues vont toujours s’imposer en dénonçant un complot organisé par cet ennemi généralisé contre “nous”, le peuple, les “petites gens”, les “sans pouvoirs”, etc. Et Javier Milei coche bien les cases du covidosepticisme ou du climatosepticisme.

Pierre-André Taguieff avait bien décrit, en 1984, la rhétorique démagogique qu’il identifiait, à l’époque, dans le national-populisme des partis d’extrême-droite. Ainsi, par exemple, la “thématique de la restauration épuratrice” : il s’agit de dénoncer une “décadence généralisée” pour s’imposer comme celui ou celle qui va faire le ménage, et restaurer la grandeur perdue. C’est le “Make America Great Again” de Trump. Et c’est Milei qui dit, lors du discours le soir de sa victoire : “L’Argentine va reconquérir la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre dans le monde“. En Europe, ce sont tous les discours sur la décadence de l’Occident, des valeurs chrétiennes (souvent fantasmées, et mal maîtrisées, comme chez certains YouTubeurs d’extrême-droite), de la masculinité, etc.

En Argentine, l’inflation à 140% permet à Javier Milei de s’associer la colère du peuple. Et de proposer des solutions simplificatrices (couper les dépenses de l’Etat, dollarisation de l’économie, etc.), dans un langage qui sur-joue la simplification, la franchise, le franc-parler (jusqu’au recours constant à l’insulte chez Milei) pour s’opposer au langage professionnel ou intellectuel, toujours soupçonné d’être trompeur.

Il faut plus que jamais le rappeler : la démagogie est un SIMULACRE de démocratie. Ca n’amène pas plus de démocratie; ça a, au contraire, toujours été le chemin que prend la tyrannie pour s’imposer.

Face aux tentations démagogiques, il faut rappeler les bases de la démocratie : un peuple ne peut être un “demos” qui exerce son pouvoir (“kratos”) de s’autogouverner, qu’à conditions d’avoir des institutions qui lui permettent de délibérer (des assemblées communales aux parlements nationaux), des institutions qui lui permettent d’être toutes et tous éduqués (l’enseignent avait beaucoup d’importance pour les inventeurs de la démocratie, et l’Ecole est au centre du modèle républicain, par exemple), et des institutions qui amènent du contenu, de la connaissance, dans les débats : la presse, les universités, les académies, etc.

Et de même, le démocratie se construit sur des liens sociaux qui fondent un tissu social, avec des valeurs partagées, des liens de fraternité — d’ “amitié civile” disaient les anciens —, de solidarité. Ce “liant” est nécessaire aux sociétés démocratiques. Au coeur de la démocratie, il y a l’idée du “bien commun”, de l’intérêt collectif. On ne construit pas une démocratie sur le chacun pour soi, le plus fort l’emporte, ou la guerre du tous contre tous, qu’on retrouve dans la rhétorique anarcho-capitaliste et paléolibertarienne d’un Javier Milei.

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Image : ABC News https://abcnews.go.com/International/wireStory/lion-wig-warrior-javier-milei-argentinas-president-elect-105024905

Aristote, “Les Politiques”, trad. Pierre Pellegrin, Paris : Flammarion, 2015.

Taguieff, P.-A. (1984) “La rhétorique du national-populisme. Les règles élémentaires de la propagande xénophobe”, Mots, n°9, octobre, pp. 113-139.

Faut-il se venger sur tout un peuple qui nous a agressés ou juste punir les responsables ? — Un débat, à Athènes, en 427 av. J.-C.

Je remets le cadre historique… On est dans le contexte des guerres du Péloponnèse : les Mytiléniens, peuple de la ville de Mytilène, sur l’île de Lesbos, s’allient aux Lacédémoniens pour se rebeller contre Athènes, dont ils dépendaient.

Avec eux, ils font une incursion en Attique (où se trouve Athènes) et ravagent tout sur leur passage (sur un territoire qui avait déjà été saccagé lors de précédentes invasions !). Puis, les Mytiléniens rentrent chez eux. Sur place, le peuple menace de se retourner contre ses dirigeants (des oligarques) et de revenir sous la tutelle d’Athènes. Mais les Athéniens mettent vite la ville à siège, et Mytilène capitule.

La question est alors : que faire de ce peuple qui a agressé Athènes ? Et le débat est tendu à l’Ecclesia (l’assemblée des citoyens d’Athènes). En fait, on en a gardé la mémoire grâce à Thucydide, qui l’a relaté en détails, parce que — fait intéressant — une première décision avait été prise : mettre à mort tous les hommes mytiléniens, réduire en esclavage femmes et enfants, et raser la ville, en guise de vengeance et de punition. Mais le soir même de la décision, les modérés ne sont pas satisfaits et arrivent à provoquer une remise en délibération de la décision, le lendemain.

C’est de ce deuxième débat dont nous avons la trace. Et deux opinions s’opposent.

La première est celle de Cléon, homme politique athénien, considéré comme un des successeurs de Périclès. Mais surtout perçu comme un démagogue, violent, populiste. Aristophane, dans sa comédie “Les Cavaliers”, le décrit comme une brute ridicule, sans scrupules, jouant avec les émotions et les préjugés du peuple.

Cléon défend la vengeance généralisée et la mise à mort de tout le peuple mytilénien. Et il s’adresse au peuple en l’incitant à ne pas se laisser avoir par les “belles paroles” des “esprits supérieurs” : ceux-ci sont perçus comme trop faibles, trop mous, face à l’ennemi. “Les concessions que la pitié vous fait accorder [à l’ennemi] sont là autant de marques de faiblesse”, dit-il (Livre III, chap. XXXVII).

Selon lui, ces belles paroles ne vont qu’amener la chute de la Cité. On retrouve là les traits de l’anti-intellectualisme toujours très présent, à l’heure actuelle, dans les discours populistes. Ainsi que l’idée selon laquelle les démocraties sont des régimes trop faibles, des régimes “de faibles”. Cléon harangue le peuple à rejeter les esprits supérieurs qui les dominent et les empêchent de se venger.

Il ne veut pas perdre de temps, car “la colère de la victime contre l’offenseur s’émousse à la longue“, il faut selon lui que la riposte soit immédiate ! Et pour s’assurer que le peuple le suive, Cléon tente de le convaincre que l’outrage nécessite une vengeance totale : “je vais vous montrer que les Mytiléniens vous ont infligé le pire outrage qu’un État ait jamais reçu (…) Qu’ont-ils cherché sinon, avec la complicité de nos pires ennemis [les Lacédémoniens], à nous détruire ?” (Livre III, chap. XXXIX).

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Le 49.3 expliqué aux non-Français…

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Mais qu’est-ce que c’est que cette bizarrerie politique qu’est le 49.3 ? Je vais essayer de l’expliquer pour les non-Français, parce que c’est vraiment une spécificité française… mais les Français peuvent lire aussi ! 😉

Dans les faits, il s’agit de l’article 49 alinéa 3, de la Constitution française. Cet article permet au gouvernement français de faire adopter un texte de loi, sans qu’il ne soit voté par l’Assemblée. Mais ce faisant, il engage sa responsabilité, puisque l’Assemblée peut déposer une motion de censure. Si celle-ci est votée par une majorité, le gouvernement est contraint de démissionner.

Pour rappel, le fait que les lois soient le fruit d’un débat, d’une délibération et d’un vote d’un parlement est un des fondements de la démocratie. Tout comme la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire entre les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires. L’élaboration des lois relève du pouvoir législatif, donc du parlement. Dans un système parlementaire classique, le gouvernement est par ailleurs responsable devant le parlement.

Mais la France a toujours eu un rapport… disons… “compliqué” avec son parlementarisme. Bien que quand on pense à la séparation des pouvoirs, on pense à un Français, Montesquieu (1689-1755), la Révolution française de 1789 n’a pas adopté le régime parlementaire. Nulle trace d’une séparation des pouvoirs, comme on l’entend aujourd’hui, dans les constitutions rédigées entre 1791 et 1804. Les révolutionnaires français rechignaient à imiter les Anglais et leur Constitution. En réalité — et cela peut paraître surprenant aujourd’hui — il faudra attendre la Restauration de la Monarchie et la Charte de 1814, sous Louis XVIII, pour trouver en France l’élaboration d’un régime parlementaire, cette fois-ci inspiré des Anglais. Cette Charte de 1814 restera comme une des plus libérales de l’époque, et influencera les constitutions de nombreux pays européens, dont en partie la Belgique et sa constitution de 1831. A la même époque, en 1830, la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe Ier) renforce encore la lente apparition du parlementarisme en France.

C’est que durant tout une partie du XIXe siècle, le libéralisme politique se confond avec le constitutionnalisme parlementaire (Rousselier, 2002 : 629). Le parlementarisme apparait effectivement comme le meilleur garant des libertés publiques.

Mais le parlementarisme a aussi été, en France, une grande source d’instabilité durant les IIIe et IV Républiques (Audouy, 2016 : 1). Des majorités changeantes dans l’hémicycle, au gré des manigances politiques, renversaient et refaisaient les gouvernements. Durant la IIIe République (de 1871, après la chute de Napoléon III, à la proclamation du Régime de Vichy, en 1940), la France a compté 104 gouvernements ! Durant la IVe République (1947-1958), 24 gouvernements se sont succédé…

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Climat, démocratie et participation. Pour rebondir sur une chronique de Marius Gilbert

Si vous n’avez pas lu la chronique récente de Marius Gilbert, intitulée “Après l’orage : les trois piliers du changement“, et parue dans Le Soir, je vous conseille vivement d’y jeter un coup d’œil. L’épidémiologiste y défend un modèle triangulaire, associant experts, décideurs publics, et citoyens. Lors de la pandémie, ce modèle a, par moments, fait défaut. Les décideurs politiques étant tantôt tentés de ménager l’opinion publique, quitte à faire fi de l’avis des scientifiques ; tantôt contraints de prendre des mesures, validées par le corps scientifique, mais mal comprises par l’opinion publique.

Le parallèle que fait Marius Gilbert avec la question climatique a tout son sens : comment faire travailler ensemble experts, pouvoir politique et citoyens ? C’était d’ailleurs l’objectif premier des “Nuits climatiques” organisées place Schuman, fin 2022, et dans le cadre desquelles j’avais rencontré Marius Gilbert, qui en était un des organisateurs : faire débattre scientifiques, citoyens et représentants de la société civile, des grands enjeux liés au changement climatique.

Je rejoins évidemment tout à fait ce modèle triangulaire. Celles et ceux avec qui j’ai déjà travaillé sur des dispositifs participatifs, au niveau local, savent que je répète souvent que l’enjeu principal de la participation est de mettre autour de la table trois formes d’expertise : 1) l’expertise politico-institutionnelle, 2) l’expertise technique, 3) l’expertise d’usage, c’est-à-dire, pour cette dernière, l’expertise des citoyens et citoyennes, de celles et ceux qui possèdent une connaissance légitime parce qu’ils sont usagers d’un lieu, d’un service public, d’une institution.

La souveraineté du débat

Il est important de comprendre que ce n’est pas quelque chose de nouveau. Loin d’être une innovation en matière de démocratie, ce pari de l’intelligence collective est au fondement de la démocratie. Et l’exemple de la pandémie est intéressant. Certains, certaines, diront toujours que les décisions politiques sont aujourd’hui plus “techniques” que celles de nos ancêtres athéniens. Et il est évident qu’ils n’avaient pas à discuter des dangers de la 5G ou de la fiscalité en matière de panneaux photovoltaïques. Mais les pandémies, ils connaissaient !

En fait, la tristement célèbre peste d’Athènes (de – 430 à – 426 av. J.C) a été contemporaine de certains des plus grands moments de la démocratie athénienne. On est effectivement en pleine Guerre du Péloponnèse. Thucydide relate d’ailleurs dans son “Histoire de la Guerre du Péloponnèse” (Livre II) comment le grand stratège et orateur, Périclès — qui périra, peu après, de cette peste — se défend devant l’assemblée des citoyens qui lui reprochent les malheurs de la guerre additionnés à ceux de la pandémie. Périclès les exhorte à réfléchir à l’intérêt public, et leur rappelle que les décisions ont été prises collectivement, c’est-à-dire avec eux. C’est la même année que Périclès prononcera sa fameuse oraison funèbre, en l’honneur des soldats athéniens morts au combat. Il y décrira ce qui distingue la démocratie athénienne des autres régimes politiques, d’une manière si illustre qu’elle reste une référence aujourd’hui : le pari de l’intelligence collective, la félicité du peuple, l’importance du débat avant l’action, etc.

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Enquête Noir Jaune Blues : des résultats très inquiétants !

Est-il déjà trop tard ? Les résultat de l’enquête “Noir-Jaune-Blues” sont extrêmement inquiétants : 69% des belges ne croient plus dans le modèle parlementaire et souhaitent remettre leur destin dans les mains d’un “vrai chef” ! 

Il y a une différence fondamentale entre le fait de penser que nous ne sommes pas dans un système assez démocratique (et donc demander davantage de démocratie) ET ne plus croire dans la démocratie, ses valeurs et ses institutions. 

  • 69% des Belges pensent qu’ “Un bon système de gouvernement serait d’être dirigé par une personnalité forte qui comprend vraiment le peuple et qui ne doive pas nécessairement en référer à un parlement ou à des élections“.
  • 57% des Belges pensent que “Rien ne devrait faire obstacle à un vrai chef que le peuple aurait choisi car il sera la voix du peuple.
  • 59 % des Belges pensent que “Pour permettre à un vrai chef élu d’effectuer des changements en profondeur, il ne faut en aucun cas qu’il soit gêné dans son action par des gens non élus c’est-à-dire des juges, des journalistes, des fonctionnaires, des lanceurs d’alerte, des activistes de tous types, des intellectuels critiques, etc.

Et je ne peux pas m’empêcher de penser qu’au-delà des mandataires actuels qui ont eux-mêmes et elles-mêmes, en partie, discrédité la démocratie à coups de magouilles, corruptions et compagnie, la cause vient aussi de ces mouvements “soi-disant-citoyens” qui défendent un modèle sans citoyenneté : un modèle de démocratie directe, par référendums, ou des modèles technocratiques (management public par des experts, sociocratie, holacratie, etc.). Et je citerais aussi ces mouvements d’écologie radicale qui ne cessent de répéter que la démocratie n’est pas apte face à l’urgence climatique.

Tout cela a amené une véritable sape de la démocratie. Et je ne peux pas m’empêcher de penser, non plus, que cela a été rendu possible par un manque de connaissance politique. Une des priorités actuelles, au moins aussi urgente que l’éducation aux enjeux climatiques, est l’éducation à la démocratie. 

Il faut rappeler que cette espèce de “rencontre” entre “UN peuple” et “UN homme”, souhaitée par 57% des Belges, est un mythe gaulliste, d’inspiration bonapartiste, défendu par tous les leaders d’extrême-droite. Le dernier à avoir défendu ce mythe avec vigueur est Eric Zemmour en France, j’en parlais dans cette carte blanche…

(On se gargarise parfois en Belgique francophone de ne pas avoir de parti d’extrême-droite fort, mais les idées d’extrême-droite sont bien présentes…). 

Il faut rappeler l’importance d’un “Parlement” : c’est l’institution garante de la souveraineté du peuple. C’est ce pouvoir législatif, cette capacité de faire des lois ensemble, qui permet de “faire société”. C’est une erreur de penser que s’en remettre à un chef permettra de refaire société. “Tous derrière un chef”, c’est, à terme, la voie vers la violence et la guerre civile.

Il faut rappeler que le parlement, mais aussi tous les corps intermédiaires qui constituent la société civile, c’est au fondement de la démocratie. Cette société civile est garante du pluralisme de la société : une presse libre, des associations, des corporations, des syndicats, des universités, etc. 59% des belges ne perçoivent plus l’importance de ces corps intermédiaires. 

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Impossible ici ?

Si le fascisme se présentait à nouveau aux portes du pouvoir, est-ce qu’on le reconnaîtrait ? Ou est-ce qu’on penserait que ce serait “impossible ici” (et maintenant) ?

C’est le pitch de ce livre, qui est incroyable… surtout lorsque l’on sait qu’il a été écrit en… 1935 !!!! 😳😳 Sinclair Lewis écrit une dystopie racontant l’arrivée au pouvoir d’un fasciste aux Etats-Unis, à la fin des années ’30. Et ce qu’il écrit est d’une lucidité extraordinaire, avec le recul historique que nous avons aujourd’hui ! Imaginez qu’il écrit cela seulement 2 ans après qu’Hitler (auquel il fait plusieurs fois référence) ait été nommé Chancelier.

Il faut dire que Sinclair Lewis est l’époux de Dorothy Thompson, une des plus grandes journalistes américaines, qui avait décroché en 1931 l’interview d’Adolphe Hitler, avant de se voir expulsée d’Allemagne.

A partir des événements arrivés en Allemagne en ’33 (incendie du Reichstag, premiers autodafés, proclamation du parti unique), des lois fascistes de ’25 et ’26 en Italie (censure de la presse, assassinat des opposants, instauration de la police secrète, etc.), probablement aussi de la prise de pouvoir de Staline sur l’appareil politique bolchévique, Sinclair Lewis décrit, dans cette fiction futuriste, des événements, des atrocités, qui auront réellement lieu dans les régimes fascistes, nazis et communistes européens les années qui suivront !

C’est vraiment impressionnant ! C’est fascinant à lire. Je l’ai lu d’une traite. Je vous le conseille vivement !

Surtout, l’idée centrale, c’est que la population n’a pas vu venir ce fascisme, parce qu’elle a pensé que c’était “impossible ici” (en anglais, le titre est “It Can’t Happen Here”). Dans les premiers chapitres, l’auteur fait le récit de cette naïveté : on se dit que ce candidat “n’est pas si mal”, “pas aussi fasciste qu’on le dit”, etc. Et chaque catégorie sociale (patronat, travailleurs, intellectuels, etc.) y trouve son compte.

Voici une petite compilation que j’ai faite des caractéristiques du régime fasciste pas-si-fictif que décrit Sinclair Lewis. Voyez ça comme autant de “red flags” 🚩🚩🚩 , de signaux, de ce à quoi ressemble toujours le fascisme.

Pour se faire élire :

  • L’anti-intellectualisme
  • La valorisation des valeurs guerrières (l’idée qu’”une bonne guerre…”)
  • L’idée d’une société malade, décadente, qu’il faut soigner par un électrochoc.
  • La tentation d’une partie de l’establishment de se dire “ça, on n’a jamais essayé”, “ça ne peut pas être pire que ce qu’on a actuellement au pouvoir”…
  • L’attente d’un homme providentiel
  • La rencontre “d’un homme et d’un peuple”
  • L’idée que la dictature d’une petite oligarchie serait mieux qu’une démocratie de masse
  • La démagogie
  • La désignation de boucs émissaires (les étrangers, les Noirs, les Juifs)
  • L’anti-parlementarisme
  • L’anti-libéralisme

Une fois élu :

  • Tous les pouvoirs dans l’exécutif
  • Des foules violentes, partisanes du Chef (Lewis décrit des foules déchaînées qui prennent le Capitole !!?!)
  • La suppression du parlement et de la Cour suprême
  • La fin de l’Etat de droit
  • La proclamation de l’état de siège
  • L’arrestation des opposants
  • La mise sous tutelle de la presse
  • La mise sous tutelle de l’éducation, des universités. L’arrêt des études humanitaires (sciences humaines, etc.)
  • Les autodafés, le “nettoyage” des bibliothèques
  • L’interdiction d’association
  • La constitution d’une milice armée, permanente, violente, avec les pleins pouvoirs
  • La fin de l’habeas corpus (le droit fondamental à disposer de son corps, à ne pas être arrêté arbitrairement)
  • La nationalisation de l’industrie
  • Le travail forcé
  • La criminalisation des chômeurs
  • La création de camps de concentration pour les opposants. La déshumanisation de ceux-ci. Leur exécution sommaire
  • L’espionnage généralisé (tout le monde peut être dénoncé par tout le monde)
  • L’instauration d’un régime de la terreur. La vie dans la peur
  • Des manigances, trahisons, au sommet de l’Etat. L’élimination des proches qui contestent.

Si vous le lisez, dites-moi ce que vous en avez pensé ! 😉


Sinclair Lewis (1885-1951) a été le premier Américain à recevoir le prix Nobel de littérature (en 1931).
🌐 Sinclair Lewis : https://en.wikipedia.org/wiki/Sinclair_Lewis
🌐 Dorothy Thompson : https://en.wikipedia.org/wiki/Dorothy_Thompson

Qu’est-ce que la “démocratie libérale” ?

Suite à mon post précédent (le top 3 de mes lectures de 2022), il m’a été demandé en privé ce que j’entendais par “démocratie libérale”. Alors voici les 3 éléments de base d’un régime politique démocrate libéral, tel que celui que je défends.

Voyez ces 3 éléments comme les 3 “macronutriments” 🍗🥦🥑🍽 de l’assiette démocrate libérale, pour celles et ceux à qui cette analogie parle… 😉

1) C’est un régime “constitutionnel-pluraliste”. L’expression a surtout été employée par Raymond Aron. Cela signifie que l’on est dans un “État de droit”, qu’aucune personne, aucun pouvoir, n’est au-dessus de la loi, et que l’ensemble des pouvoirs est régi par une Constitution. Au sein de ce régime, il y a un pluralisme d’idées politiques portées par des partis, des mouvements, des personnes, en concurrence non-violente, pour l’accès au pouvoir. Un régime constitutionnel-pluraliste est l’opposé d’un régime autoritaire.

2) Il y a des limites au pouvoir de l’État. Cela ne signifie pas du tout qu’il ne doit pas y avoir d’État, mais simplement qu’il y a une frontière au-delà de laquelle l’État “se refuse”, en quelque sorte, d’intervenir. C’est l’idée que l’être humain a des droits “naturels” inaliénables. Au-delà d’une certaine limite, l’État laisse à l’individu sa liberté, son autonomie, sa capacité créatrice. Exemple : l’État se refuse de dicter la croyance religieuse, chaque individu a le droit de croire — ou ne pas croire — en tel ou tel Dieu ; c’est aussi dans ce cadre que l’on retrouve la liberté de penser, de s’exprimer, de s’associer, d’entreprendre, etc. Cela laisse donc toute une place à ce qu’on appelle la “société civile”. On retrouve ici des concepts comme celui de propriété, mais aussi celui de “commun” au sens d’Elinor Ostrom, ou d’auto-organisation. Dans un tel régime, l’État n’est pas “total”, une démocratie libérale s’oppose donc aussi à un régime totalitaire.

3) Les limites de l’État sont fixées démocratiquement. Cela découle directement du 2ème point : c’est en assemblées législatives, dans lesquelles tout citoyen, toute citoyenne, a un droit égal de participer (directement ou indirectement) que ces limites sont constamment discutées et rediscutées. Pour reprendre l’exemple précédent : chacun, chacune, a le droit de croire ou ne pas croire en tel ou tel Dieu, mais collectivement, l’ensemble des citoyens et citoyennes peuvent fixer des limites à certaines pratiques religieuses, comme l’abattage rituel, l’excision, etc. Autre exemple : il peut être décidé démocratiquement de mettre une limite à la liberté d’expression, en matière de propos xénophobes, négationnistes, etc. Ou encore : le droit de propriété peut avoir une limite, décidée collectivement, s’il s’agit de ressources naturelles. C’est ici que l’on retrouve l’idée du “Contrat social” de Rousseau. Et c’est toujours par le débat et la délibération en assemblées, potentiellement ouvertes à tout citoyen et toute citoyenne, que ces limites pourront être fixées. La démocratie libérale s’oppose donc à toute forme d’aristocratie ou d’oligarchie, y compris dans leurs formes modernes comme la technocratie.

Tout cela peut être affiné à l’infini, mais je m’étais donné le défi de le faire en moins d’une page A4 😉

Dans un monde où certains pays glissent vers des régimes illibéraux, voire autoritaires, où de plus en plus de personnes commencent à douter de la capacité de la démocratie à faire face aux enjeux actuels, glissant petit à petit vers des formes de radicalisme (souvent totalitaire) ou des formes de technocratie (sociocratie, management public, etc.), je souhaite vraiment défendre la démocratie libérale, cette pensée politique peut-être “la moins sexy du monde”, la plus modeste, mais je pense aussi, celle dont on a le plus besoin à l’heure actuelle…

Au plaisir d’en discuter, d’en débattre, avec toute personne intéressée ! 🙂

Mon TOP 3 des livres lus en 2022 !

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La fin de l’année, c’est toujours un peu le moment des bilans, des classements, etc. J’avais envie de partager les 3 livres qui m’ont le plus marqué en 2022.

Et quand je dis qu’ils m’ont marqué, je veux dire que ce sont les 3 livres sur lesquels j’ai vraiment passé beaucoup de temps (lecture, notes, recherche des références, etc.), et qui, j’ai l’impression, m’ont fait faire de réels bonds en avant dans ces sujets qui m’intéressent

1) “L’invention de la politique”, de Moses I. Finley. Historien anglais, Finley (1912-1986) était un des plus grands spécialistes de l’Antiquité. En particulier, il a beaucoup travaillé sur le démocratie antique. Ce livre m’a vraiment fait prendre conscience des conditions sociales et culturelles d’émergence de la politique en Grèce. C’est une des sources importantes de ma conférence sur le “terreau” de la démocratie, donnée au Festival Maintenant en septembre, et à Genappe en décembre.

2) L’ “Essai sur les libertés” de Raymond Aron. Trois conférences données à l’Université de Californie en 1963 compilées dans un livre passionnant. Qu’est-ce que j’aurais aimé assister aux cours de Raymond Aron (1905-1983) ! Je pense que c’est un des meilleurs ouvrages pour comprendre les ressorts de la démocratie libérale. On y trouve une comparaison magistrale entre Tocqueville et Marx (Aron est certainement un des plus grands lecteurs de ces deux auteurs). Et la manière dont Aron s’oppose à Hayek est tout aussi fascinante. Cet Essai sur les libertés permet de comprendre la place “DES” libertés en démocratie.

3) “The Sleeping Sovereign. The Invention of Modern Democracy” de Richard Tuck. En tant qu’historien des idées politiques, Richard Tuck fait la généalogie d’une distinction fondamentale en démocratie : celle entre “souveraineté” et “gouvernement”. Qui est “souverain” et qui “gouverne” ? Cette généalogie, qu’il fait remonter à Jean Bodin (16è siècle) et ramène jusqu’aux premières constitutions américaines, en passant par Hobbes et Rousseau, est passionnante ! C’est d’une grande érudition ! Et ça m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses sur l’importance de la constitution en démocratie…

👉👉👉 Ces 3 livres vont plus qu’alimenter mes réflexions à l’avenir, ça c’est certain.
Je suis en particulier convaincu qu’il faut défendre la démocratie libérale, face à toutes les tentatives plus autoritaires, plus totalitaires. Un peu partout, dans le monde, mais aujourd’hui en Europe également, on voit apparaître des remises en question des acquis de la démocratie, et des reculs en matière de libertés civiques et de droits sociaux.

Des gouvernements au pouvoir exécutif fort relèguent les assemblées législatives, siège de la souveraineté du peuple, au second plan. Des régimes illibéraux (pour reprendre la célèbre formule de Fareed Zakaria*) restreignent les libertés civiques (liberté d’expression, liberté de la presse, liberté d’association, etc.) ainsi que les droits de certaines minorités, souvent en instrumentalisant la Justice.

En 2023, c’est vraiment ces fondements de la démocratie libérale que j’ai envie de défendre. Si ça vous parle également (en Belgique, en France, pourquoi pas ailleurs ?), faites-moi signe ! 😉

Et par la même occasion, je vous souhaite, en 2023, énormément de lectures intéressantes ! On ne lit jamais assez ! En particulier, mon conseil serait : lisez des vieux livres, qui ont traversé les époques, ce sont les plus intéressantes !! 👍😉

*Zakaria, F. 1997. “The Rise of Illiberal Democracy”, Foreign Affairs, Vol. 76, No. 6 (Nov. – Dec.), pp. 22-43.

Conférence sur la participation citoyenne – Genappe, 28.10.2021

Les citoyens et citoyennes sont de plus en plus souvent invités à participer aux décisions qui les concernent, en particulier au niveau local. Ateliers urbains, assemblées locales, commissions citoyennes, les dispositifs participatifs sont multiples.

Avec ma société, Innovons SCS, je me suis spécialisé dans la mise en place de tels dispositifs, souvent pour des collectivités locales, dans le cadre d’opérations de rénovation urbaine, de revitalisations de quartiers, de plans climat, de budgets participatifs, etc.

Je propose de partager mes expériences, et de proposer une réflexion sur quelques concepts au coeur de ces dispositifs, comme l’intelligence collective, la prise de parole, la démocratie délibérative, la décision par consentement, etc. 

Je suis par ailleurs convaincu que ces concepts sont utiles, dès qu’un groupe humain doit prendre une décision “en commun”, que l’on soit à l’échelle d’une commune, d’une coopérative, ou d’un projet citoyen. 

Au plaisir de vous voir lors de cette soirée du 28 octobre à Genappe !

Inscription obligatoire (selon le nombre, les règles sanitaires pourront être différentes !), via ce formulaire : https://forms.gle/d3yASL2grEk1W5229

Parution “Zemmour et l’éternelle ombre des Bonaparte” dans la Libre Belgique

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La Libre m’a ouvert ses pages “Débats” aujourd’hui, pour publier “Zemmour et l’éternelle ombre des Bonaparte” (p. 40-41).

  • Je suis convaincu que les idées portées par Éric Zemmour représentent un danger pour la démocratie.
  • Je préfère “en faire trop avec Zemmour” que pas assez…
  • Je trouve trop simplistes les analyses qui n’y voient qu’un exemple de plus de la montée de l’extrême-droite ou des idées identitaires. 
  • Le discours d’Éric Zemmour s’inscrit bien davantage dans un modèle français, bonapartiste, qui, a bien des égards, a préfiguré certains éléments majeurs des totalitarismes du XXe siècle. 

Quelques infos encore

J’en profite pour prolonger un peu son contenu avec quelques réflexions : 

1) Je ne fais aucune prévision. Je n’ai aucune idée de l’issue des élections présidentielles françaises. L’histoire comporte aussi des exemples de Bonapartistes qui ont fait des flops, comme le « boulangisme », du nom du Général Boulanger (1837-1891), qui a espéré renversé la IIIe République… mais qui a fini en exil (en Belgique d’ailleurs), où il s’est donné la mort. 

Cela dit, peut-on parler de « flop » ? Certains historiens voient dans le boulangisme une première synthèse entre nationalisme et socialisme. Et on sait ce que cette synthèse a produit durant le siècle suivant.

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