Enquête Noir Jaune Blues : des résultats très inquiétants !

Est-il déjà trop tard ? Les résultat de l’enquête “Noir-Jaune-Blues” sont extrêmement inquiétants : 69% des belges ne croient plus dans le modèle parlementaire et souhaitent remettre leur destin dans les mains d’un “vrai chef” ! 

Il y a une différence fondamentale entre le fait de penser que nous ne sommes pas dans un système assez démocratique (et donc demander davantage de démocratie) ET ne plus croire dans la démocratie, ses valeurs et ses institutions. 

  • 69% des Belges pensent qu’ “Un bon système de gouvernement serait d’être dirigé par une personnalité forte qui comprend vraiment le peuple et qui ne doive pas nécessairement en référer à un parlement ou à des élections“.
  • 57% des Belges pensent que “Rien ne devrait faire obstacle à un vrai chef que le peuple aurait choisi car il sera la voix du peuple.
  • 59 % des Belges pensent que “Pour permettre à un vrai chef élu d’effectuer des changements en profondeur, il ne faut en aucun cas qu’il soit gêné dans son action par des gens non élus c’est-à-dire des juges, des journalistes, des fonctionnaires, des lanceurs d’alerte, des activistes de tous types, des intellectuels critiques, etc.

Et je ne peux pas m’empêcher de penser qu’au-delà des mandataires actuels qui ont eux-mêmes et elles-mêmes, en partie, discrédité la démocratie à coups de magouilles, corruptions et compagnie, la cause vient aussi de ces mouvements “soi-disant-citoyens” qui défendent un modèle sans citoyenneté : un modèle de démocratie directe, par référendums, ou des modèles technocratiques (management public par des experts, sociocratie, holacratie, etc.). Et je citerais aussi ces mouvements d’écologie radicale qui ne cessent de répéter que la démocratie n’est pas apte face à l’urgence climatique.

Tout cela a amené une véritable sape de la démocratie. Et je ne peux pas m’empêcher de penser, non plus, que cela a été rendu possible par un manque de connaissance politique. Une des priorités actuelles, au moins aussi urgente que l’éducation aux enjeux climatiques, est l’éducation à la démocratie. 

Il faut rappeler que cette espèce de “rencontre” entre “UN peuple” et “UN homme”, souhaitée par 57% des Belges, est un mythe gaulliste, d’inspiration bonapartiste, défendu par tous les leaders d’extrême-droite. Le dernier à avoir défendu ce mythe avec vigueur est Eric Zemmour en France, j’en parlais dans cette carte blanche…

(On se gargarise parfois en Belgique francophone de ne pas avoir de parti d’extrême-droite fort, mais les idées d’extrême-droite sont bien présentes…). 

Il faut rappeler l’importance d’un “Parlement” : c’est l’institution garante de la souveraineté du peuple. C’est ce pouvoir législatif, cette capacité de faire des lois ensemble, qui permet de “faire société”. C’est une erreur de penser que s’en remettre à un chef permettra de refaire société. “Tous derrière un chef”, c’est, à terme, la voie vers la violence et la guerre civile.

Il faut rappeler que le parlement, mais aussi tous les corps intermédiaires qui constituent la société civile, c’est au fondement de la démocratie. Cette société civile est garante du pluralisme de la société : une presse libre, des associations, des corporations, des syndicats, des universités, etc. 59% des belges ne perçoivent plus l’importance de ces corps intermédiaires. 

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Qu’est-ce que la “démocratie libérale” ?

Suite à mon post précédent (le top 3 de mes lectures de 2022), il m’a été demandé en privé ce que j’entendais par “démocratie libérale”. Alors voici les 3 éléments de base d’un régime politique démocrate libéral, tel que celui que je défends.

Voyez ces 3 éléments comme les 3 “macronutriments” 🍗🥦🥑🍽 de l’assiette démocrate libérale, pour celles et ceux à qui cette analogie parle… 😉

1) C’est un régime “constitutionnel-pluraliste”. L’expression a surtout été employée par Raymond Aron. Cela signifie que l’on est dans un “État de droit”, qu’aucune personne, aucun pouvoir, n’est au-dessus de la loi, et que l’ensemble des pouvoirs est régi par une Constitution. Au sein de ce régime, il y a un pluralisme d’idées politiques portées par des partis, des mouvements, des personnes, en concurrence non-violente, pour l’accès au pouvoir. Un régime constitutionnel-pluraliste est l’opposé d’un régime autoritaire.

2) Il y a des limites au pouvoir de l’État. Cela ne signifie pas du tout qu’il ne doit pas y avoir d’État, mais simplement qu’il y a une frontière au-delà de laquelle l’État “se refuse”, en quelque sorte, d’intervenir. C’est l’idée que l’être humain a des droits “naturels” inaliénables. Au-delà d’une certaine limite, l’État laisse à l’individu sa liberté, son autonomie, sa capacité créatrice. Exemple : l’État se refuse de dicter la croyance religieuse, chaque individu a le droit de croire — ou ne pas croire — en tel ou tel Dieu ; c’est aussi dans ce cadre que l’on retrouve la liberté de penser, de s’exprimer, de s’associer, d’entreprendre, etc. Cela laisse donc toute une place à ce qu’on appelle la “société civile”. On retrouve ici des concepts comme celui de propriété, mais aussi celui de “commun” au sens d’Elinor Ostrom, ou d’auto-organisation. Dans un tel régime, l’État n’est pas “total”, une démocratie libérale s’oppose donc aussi à un régime totalitaire.

3) Les limites de l’État sont fixées démocratiquement. Cela découle directement du 2ème point : c’est en assemblées législatives, dans lesquelles tout citoyen, toute citoyenne, a un droit égal de participer (directement ou indirectement) que ces limites sont constamment discutées et rediscutées. Pour reprendre l’exemple précédent : chacun, chacune, a le droit de croire ou ne pas croire en tel ou tel Dieu, mais collectivement, l’ensemble des citoyens et citoyennes peuvent fixer des limites à certaines pratiques religieuses, comme l’abattage rituel, l’excision, etc. Autre exemple : il peut être décidé démocratiquement de mettre une limite à la liberté d’expression, en matière de propos xénophobes, négationnistes, etc. Ou encore : le droit de propriété peut avoir une limite, décidée collectivement, s’il s’agit de ressources naturelles. C’est ici que l’on retrouve l’idée du “Contrat social” de Rousseau. Et c’est toujours par le débat et la délibération en assemblées, potentiellement ouvertes à tout citoyen et toute citoyenne, que ces limites pourront être fixées. La démocratie libérale s’oppose donc à toute forme d’aristocratie ou d’oligarchie, y compris dans leurs formes modernes comme la technocratie.

Tout cela peut être affiné à l’infini, mais je m’étais donné le défi de le faire en moins d’une page A4 😉

Dans un monde où certains pays glissent vers des régimes illibéraux, voire autoritaires, où de plus en plus de personnes commencent à douter de la capacité de la démocratie à faire face aux enjeux actuels, glissant petit à petit vers des formes de radicalisme (souvent totalitaire) ou des formes de technocratie (sociocratie, management public, etc.), je souhaite vraiment défendre la démocratie libérale, cette pensée politique peut-être “la moins sexy du monde”, la plus modeste, mais je pense aussi, celle dont on a le plus besoin à l’heure actuelle…

Au plaisir d’en discuter, d’en débattre, avec toute personne intéressée ! 🙂

Mon TOP 3 des livres lus en 2022 !

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La fin de l’année, c’est toujours un peu le moment des bilans, des classements, etc. J’avais envie de partager les 3 livres qui m’ont le plus marqué en 2022.

Et quand je dis qu’ils m’ont marqué, je veux dire que ce sont les 3 livres sur lesquels j’ai vraiment passé beaucoup de temps (lecture, notes, recherche des références, etc.), et qui, j’ai l’impression, m’ont fait faire de réels bonds en avant dans ces sujets qui m’intéressent

1) “L’invention de la politique”, de Moses I. Finley. Historien anglais, Finley (1912-1986) était un des plus grands spécialistes de l’Antiquité. En particulier, il a beaucoup travaillé sur le démocratie antique. Ce livre m’a vraiment fait prendre conscience des conditions sociales et culturelles d’émergence de la politique en Grèce. C’est une des sources importantes de ma conférence sur le “terreau” de la démocratie, donnée au Festival Maintenant en septembre, et à Genappe en décembre.

2) L’ “Essai sur les libertés” de Raymond Aron. Trois conférences données à l’Université de Californie en 1963 compilées dans un livre passionnant. Qu’est-ce que j’aurais aimé assister aux cours de Raymond Aron (1905-1983) ! Je pense que c’est un des meilleurs ouvrages pour comprendre les ressorts de la démocratie libérale. On y trouve une comparaison magistrale entre Tocqueville et Marx (Aron est certainement un des plus grands lecteurs de ces deux auteurs). Et la manière dont Aron s’oppose à Hayek est tout aussi fascinante. Cet Essai sur les libertés permet de comprendre la place “DES” libertés en démocratie.

3) “The Sleeping Sovereign. The Invention of Modern Democracy” de Richard Tuck. En tant qu’historien des idées politiques, Richard Tuck fait la généalogie d’une distinction fondamentale en démocratie : celle entre “souveraineté” et “gouvernement”. Qui est “souverain” et qui “gouverne” ? Cette généalogie, qu’il fait remonter à Jean Bodin (16è siècle) et ramène jusqu’aux premières constitutions américaines, en passant par Hobbes et Rousseau, est passionnante ! C’est d’une grande érudition ! Et ça m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses sur l’importance de la constitution en démocratie…

👉👉👉 Ces 3 livres vont plus qu’alimenter mes réflexions à l’avenir, ça c’est certain.
Je suis en particulier convaincu qu’il faut défendre la démocratie libérale, face à toutes les tentatives plus autoritaires, plus totalitaires. Un peu partout, dans le monde, mais aujourd’hui en Europe également, on voit apparaître des remises en question des acquis de la démocratie, et des reculs en matière de libertés civiques et de droits sociaux.

Des gouvernements au pouvoir exécutif fort relèguent les assemblées législatives, siège de la souveraineté du peuple, au second plan. Des régimes illibéraux (pour reprendre la célèbre formule de Fareed Zakaria*) restreignent les libertés civiques (liberté d’expression, liberté de la presse, liberté d’association, etc.) ainsi que les droits de certaines minorités, souvent en instrumentalisant la Justice.

En 2023, c’est vraiment ces fondements de la démocratie libérale que j’ai envie de défendre. Si ça vous parle également (en Belgique, en France, pourquoi pas ailleurs ?), faites-moi signe ! 😉

Et par la même occasion, je vous souhaite, en 2023, énormément de lectures intéressantes ! On ne lit jamais assez ! En particulier, mon conseil serait : lisez des vieux livres, qui ont traversé les époques, ce sont les plus intéressantes !! 👍😉

*Zakaria, F. 1997. “The Rise of Illiberal Democracy”, Foreign Affairs, Vol. 76, No. 6 (Nov. – Dec.), pp. 22-43.

D’abord être moins dépendant de l’État…

Je suis pour le moins d’État possible. 

Mais contrairement aux partis libéraux et libertariens, je ne pense pas qu’une telle démarche puisse débuter par la revendication politique d’une diminution de l’État. On ne peut pas, à mon sens, revendiquer une diminution du pouvoir de l’État sur les individus sans s’assurer d’abord que ces individus aient repris du pouvoir sur tous les éléments de leur vie. 

À bien des égards, et pour bon nombre de personnes, l’État joue le rôle d’une bouée de sauvetage. On ne peut pas retirer la bouée sans s’assurer qu’un maximum de monde sache nager. 

Il faut qu’on soit moins dépendant de l’État, pour pouvoir demander moins d’État. 

C’est en cela que la notion d’empowement est à la base de tout ce que je peux écrire et revendiquer au niveau politique.

Il faut qu’un maximum de monde reprenne du pouvoir d’agir sur son alimentation, sur sa santé, sur son corps. Nous devrions toutes et tous être capables de nous nourrir en cultivant et en élevant une partie de ce que nous mangeons. Nous devrions toutes et tous être capables de faire ce qu’il faut pour être en bonne santé. 

Il faut qu’un maximum de monde soit capable de se créer ses propres moyens de subsistances, de développer son activité, de vivre de ses propres projets. Ce n’est pas seulement qu’il faut moins d’État pour favoriser l’entrepreneuriat, il faut aussi que de moins en moins de monde dépende de l’État pour son emploi et pour ses conditions de travail, pour pouvoir demander moins d’emprise de l’État sur le travail. Il faut qu’un maximum de monde soit capable de se créer des conditions de travail favorables pour ne pas avoir besoin que l’État assure ces conditions favorables. 

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New Books (3)

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Nouvelle commande arrivée ce matin. Je serais assez heureux d’avoir votre avis sur ces différents ouvrages/auteurs, si vous les avez lus…

Comité invisible. 2007. L’insurrection qui vient. Paris : La Fabrique Editions.

Comité invisible. 2014. A nos amis. Paris : La Fabrique Editions.

Hazan, E., & Kamo. 2013. Premières mesures révolutionnaires. Paris : La Fabrique Editions.

Astruc, L. 2012. (R)évolutions. Pour une politique en actes. Actes Sud.

Dardot, P. & Laval, C. 2010. La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale. Paris : La Découverte.

Rifkin, J. 2014. La nouvelle société du coût marginal zéro. L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Les Editions qui libèrent.

Tous ces ouvrages ont, à mon sens, un lien avec ce que j’écris sur l’Empowerment ou la société de l’anti-délégation, mais ce sera à confirmer avec leur lecture…