Il faut creuser le lien entre sentiment de solitude et montée des populismes…

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On ne peut pas constamment faire le constat, inquiétant, de la montée des populismes, sans essayer de comprendre quelles sont les conditions sociales de ce phénomène.

On se satisfait parfois un peu vite, me semble-t-il, de l’explication par “la crise de la démocratie” ou “crise du politique”, ou encore par le “fossé” entre les élus, les élues, et la population. Tout cela n’est-il pas le même problème, qui aurait ses causes dans des conditions sociales spécifiques ?

Une hypothèse que je trouve très intéressante est celle qui lie l’attrait pour les mouvements populistes et extrémistes, en particulier d’extrême-droite, et le sentiment de solitude dans nos sociétés contemporaines.

Le phénomène n’est pas nouveau : des études avaient montré qu’en 1992, en France, Jean-Marie Le Pen avait été largement plébiscité par celles et ceux qui se sentaient les plus seuls. Selon l’économiste Noreena Hertz, autrice de “The Lonely Century : How Isolation Imperils our Future”, les populismes sont majoritairement le fruit de la solitude. Si l’on compare les électeurs et électrices du PVV (Pays-Bas), de Trump ou de Matteo Salvini, aux partisans et partisanes d’autres partis, on voit que les premiers passent davantage de temps seuls, et ont moins d’amis et d’amies.

Une étude réalisée auprès de jeunes qui ont été embrigadés dans des organisations violentes extrémistes a montré que le sentiment d’être isolés et seuls avaient joué un rôle dans leur radicalisation. Et cela de manière identique parmi des suprémacistes blancs et des islamistes (Brown, 2021). Ca rejoint le sentiment d’être seul et abandonné qui était au cœur de mon analyse de la radicalisation islamiste et d’extrême-droite, parue dans la revue “Ceci n’est pas une crise” (2017).

Une étude parue dans “Political Psychology” a observé qu’une faible appartenance sociale est associée, en Europe, à une probabilité accrue de voter pour des partis populistes, en particulier d’extrême-droite (Langenkamp & Bienstam, 2022).

Et les mouvements populistes sont les premiers à l’avoir bien compris : Steve Bannon, aux Etats-Unis, travaillait, avant d’être le conseiller Trump, dans le secteur des jeux en ligne : il y avait découvert ce public particulier d’hommes, majoritairement blancs, sans racines, sans beaucoup de liens sociaux “réels” (au sens de non virtuels). Et lorsqu’en 2012, il a repris le média suprémaciste et complotiste Breitbart News, c’était bien dans l’idée de convertir ces joueurs socialement isolés en partisans de ses théories complotistes d’extrême-droite. En Europe, Bannon a rencontré, et aurait conseillé, Marine Le Pen, et serait, en Belgique, proche de Michael Modrikamen, président du “Parti populaire”, un parti populiste d’extrême-droite.

Mais quelles sont les raisons de ce lien entre sentiment de solitude et attrait pour les extrêmes ?

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