Sport et athlètes transgenres

” ‘Les garçons courent plus vite’ parce qu’on leur répète cela depuis qu’ils sont petits”… VRAI OU FAUX ? Ca ressemble à ce qu’on appelle un sociologisme et je vais essayer de l’expliquer.

Pour situer le contexte, il s’agit ici de la réaction d’une députée bruxelloise écologiste, Margaux de Ré, à la volonté de la Ministre des Sports, Valérie Glatigny, de saisir la Ligue francophone d’athlétisme, par rapport à la participation d’athlètes transgenres aux compétitions. Cela fait suite à la décision de la Fédération internationale d’athlétisme de bannir les athlètes transgenres des compétitions féminines.

Pour bien comprendre les termes du débat, il faut évidemment distinguer le “sexe”, c’est-à-dire les différences anatomiques — en particulier les organes génitaux avec lesquels on naît —, et le “genre”, qui est, pourrait-on dire, le “sexe social”, c’est-à-dire l’ensemble des représentations partagées dans une société sur ce qu’est être “un homme” et ce qu’est être “une femme”.

Pour faire simple, partout sur la planète et à toutes les époques, des êtres humains sont nés avec des vagins, et d’autres êtres humains avec des pénis (et il est vrai qu’une toute petite minorité présente à la naissance des organes génitaux qui ne correspondent pas à cette binarité). Par contre, la manière dont il convient de se comporter en tant qu’homme et en tant que femme connaît toute une palette de variantes selon les époques et les localisations. Ca, c’est le genre.

S’intéresser aux inégalités sociales entre les hommes et les femmes, c’est s’intéresser au genre, c’est-à-dire à toutes ces représentations qui font que l’homme est dominant. Et quoi qu’on en dise, il l’est toujours. Le rapport de force est toujours, actuellement, en faveur de l’homme, j’ai plein de stats là-dessus, mais ce n’est pas le sujet.

Et les différences biologiques, elles, sont souvent utilisées pour justifier cette domination, pour la rendre “naturelle” : n’est-ce pas “naturel” qu’il y ait davantage d’hommes leaders d’entreprises ou de nations, puisqu’ils sont plus forts, plus grands, plus résistants, plus vigoureux, plus combatifs, etc. ? Le sociologue répondra que non, ce n’est pas “naturel”, c’est une construction sociale, en d’autres mots une “organisation de la société”, qui est justifiée par des caractéristiques anatomiques.

Continue reading Sport et athlètes transgenres

PARUTION : “La culture pour tous”, Journal de Genappe, déc. 2021, p. 4

Essayez d’imaginer à quoi ressemble la personne qui va régulièrement au théâtre ou au musée, ou se rend à des expositions et des spectacles d’art. Vous avez l’image en tête ?

Il est fort à parier que vous avez pensé à une personne ni trop jeune, ni trop âgée ; une personne plutôt diplômée, et relativement aisée ; qui maîtrise la langue ; qui n’a probablement pas d’handicap mental ; et qui a baigné, depuis son enfance, dans un environnement social orienté vers ces pratiques culturelles.

L’image n’est pas fausse, mais elle ne représente au final qu’une petite minorité de la population. Qu’en est-il de tous les autres ?

Ces “autres”, ce sont les “non-publics”, comme on les appelait dans les années ‘70, lorsqu’on a commencé à vouloir, sérieusement, démocratiser l’accès à la Culture. Aujourd’hui, on parle des “publics éloignés”, probablement un peu par euphémisme, mais aussi pour signifier que ce ne sont pas des publics “oubliés” de la Culture, mais plutôt des publics plus difficiles à atteindre : les ados, les personnes âgées isolées, les personnes précarisées, les personnes qui ne maîtrisent pas la langue, les personnes nouvellement arrivées en Belgique. Parfois, simplement, des personnes qui se sentent éloignées d’une Culture paraissant trop scolaire, et qui ont l’impression de ne pas en maîtriser les codes…

Alors, comment réduire cette distance symbolique ? C’est un des enjeux des centres culturels ! Et c’est à cette question que j’ai essayé de répondre dans cet article, paru dans le Journal de Genappe, en présentant les activités du Centre culturel de Genappe qui s’adressent, en particulier, aux publics éloignés…

Bonne lecture ! Et au plaisir d’avoir votre point de vue sur la question ! 😉

“La culture pour tous”, Journal de Genappe, décembre 2021, p. 4.

Analyse critique des médias contre complotisme

J’étais heureux de lire la carte blanche de Jean-François Raskin, sociologue des médias, à propos du documentaire « Ceci n’est pas un complot », dans La Libre Belgique.

Heureux parce que Raskin rappelle l’intérêt d’une analyse critique du travail journalistique, en particulier en rapport avec la pandémie. Et l’outil approprié pour cela est, je pense, la sociologie des médias. C’est l’objet de cette publication : montrer à quoi pourrait ressembler une approche sociologique du traitement journalistique de la crise sanitaire, en présentant quelques concepts clés de la discipline (ainsi que les références pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin).

Le documentaire « Ceci n’est pas un complot » est critiquable en ceci qu’il pose des questions sans y répondre. Et c’est évidemment un ressort important des logiques complotistes. L’absence de réponse à la question laisse supposer, soit que cette réponse est tellement évidente qu’il ne sert à rien de l’expliciter (et que seul celui qui ne veut pas voir la réalité ne la voit pas), soit qu’elle relève de quelque chose qui est “indicible”, qu’on n’est pas “autorisé” à dire. Dans tous les cas, on retrouve cela dans les logiques complotistes.

Mais en aucun cas, cela ne signifie que les questions posées soient inutiles ou déplacées. C’est la manière dont on les pose, et les réponses qu’on apporte, qui vont déterminer que l’on soit dans le champ des sciences sociales… ou dans celui du complotisme.

Une précision encore avant de commencer : ce que je dis là ne laisse rien présager quant aux intentions de l’auteur du documentaire, Bernard Crutzen, que je ne connais pas. Je pense tout à fait qu’on peut produire quelque chose (texte, film, etc.) qui fait le jeu des théories complotistes sans avoir l’intention de le faire.

Je renverrais vers l’ouvrage “Les enfants de Shylock ou l’antisémitisme sur scène” (Meyer-Plantureux, 2005), qui montre par exemple que les dramaturgies françaises de l’avant-guerre étaient très souvent antisémites, malgré que leurs auteurs étaient souvent d’origine juive et appartenaient aux milieux politiques progressistes. Ils n’étaient peut-être pas “personnellement” antisémites, mais leur dramaturgie l’était (Dayan, 2005).

Les « routines » journalistiques

Une première approche intéressante serait de partir des “routines” journalistiques, c’est-à-dire toutes ces pratiques quotidiennes qui permettent aux journalistes de produire, chaque jour, de l’information.

Continue reading Analyse critique des médias contre complotisme

Ma carte blanche sur les politiques identitaires

Ma carte blanche sur les discours identitaires paraît aujourd’hui dans La Libre !

Lien : https://www.lalibre.be/debats/opinions/le-racialisme-inquiete-6005b9fc9978e227df9a25b4

[Résumé] : Il y a une dizaine d’années, lorsque j’enseignais les sciences sociales à Anderlecht, je faisais appel aux travaux de sociologues comme Beaud, Pialloux, Mucchielli ou Mauger pour analyser, avec les élèves, des phénomènes sociaux comme les violences urbaines (par exemple les émeutes de 2005 en France, ou des émeutes survenues à Anderlecht). Ca permettait de répondre, par la sociologie, aux propos racistes et islamophobes des Finkielkraut, Zemmour, etc. : les dimensions ethniques et religieuses n’expliquent pas aussi bien les comportements que les variables sociales : la pauvreté, les inégalités, le sentiment d’exclusion, etc.

Aujourd’hui, faire cela, c’est s’exposer à se faire traiter de raciste par un courant identitaire nouveau. C’est ce qui est arrivé à Stéphane Beaud dans Le Monde diplomatique. Les arguments qu’on pouvait opposer, il y a 10 ans, aux “identitaires de droite” nous exposent aujourd’hui aux invectives des “identitaires de gauche”. C’est, je crois, quelque chose qui doit inquiéter toute personne qui veut lutter contre le racisme, les inégalités et la domination, avec les outils des sciences sociales.

A lire dans La Libre Belgique, 19 janvier 2021, p. 33.

Je n’avais pas la place pour mettre quelques références, si cela vous intéresse. Les voici :

  • Beaud, S., &, Pialoux, M. 2002. Sur la genèse sociale des “émeutes urbaines”, Sociétés contemporaines, 1-2, n°45-46, pp. 215-243.
  • Beaud, S., Confavreux, J., & Lindgaard, J. (Sous la direction de), 2008. “La France invisible”, Paris : La Découverte.
  • Mucchielli, L. 2003. “Délinquance et immigration en France : un regard sociologique”. Criminologie, vol. 36, n°2, pp.27-55.
  • Mucchielli, L. 2003. “Délinquance et immigration : le sociologue face au sens commun”. Hommes et migrations, n°1241, pp. 20-31.
  • Mucchielli, L. 2005. Le scandale des “tournantes”. Dérives médiatiques, contre-enquête sociologique, Paris : La Découverte.
  • Mauger, G., 2006. Les Bandes, le milieu et la bohème populaire. Etudes de sociologie de la déviance des jeunes des classes populaires, Paris : Editions Belin.

Manque de confiance en politique et partis radicaux

Cette enquête ULB, VUB, KUL, illustre parfaitement ce que j’ai récemment expliqué ici 👉 “Brève réflexion sur la croyance en politique” .

Moins on a confiance dans le système politique (moins on “croit” dans le système politique), moins on va voter pour celles et ceux qui “représentent” ce système politique, c’est-à-dire les partis “traditionnels”.

L’enquête montre que la confiance dans la politique chute encore depuis 2014 et 2009. Et que celles et ceux qui ont le moins confiance dans la politique ont le plus voté pour les extrêmes : Vlaams Belang en Flandre et PTB en Wallonie.

Sur une échelle de 0 à 10, la confiance dans les partis politiques et dans les politiciens et politiciennes ne dépasse pas le score de 3 en Wallonie. Et ce n’est guère mieux en Flandre (entre 3 et 4).

Tableau : https://press.vub.ac.be/gebrek-aan-vertrouwen-in-politiek-en-ideologie-bepalen-proteststem

Tout le problème, c’est que si les partis traditionnels ne cessent de répéter ” la démocratie, c’est NOUS”, le changement qu’attendent de plus en plus de gens aura toutes les chances d’être beaucoup moins porté par des idéaux démocratiques. C’est ce qu’on voit dans l’enquête : les électeurs et électrices du PTB et du VB sont les moins satisfaits vis-à-vis de la démocratie. Et ça rejoint assez bien ce qu’il se passe ailleurs : Hongrie, Italie, Brésil, etc…

 Il faut donc construire une réelle alternative, radicalement différente de ce qui se fait actuellement (et qui n’arrive plus à susciter de confiance), mais fondée sur des idéaux et des mécanismes démocratiques.

👉 Et ça passera par davantage de rotation au pouvoir, par une réflexion sur la bonne échelle territoriale, une priorité donnée au niveau local, davantage de pouvoir aux assemblées, moins de bureaucratie, plus de participation, etc.

📄 Un document d’une trentaine de pages, en néerlandais, reprend les principales observations de cette enquête (avec les chiffres, etc.) : téléchargeable ici !

📰 Article Vrt.be (photo de couverture) : https://www.vrt.be/…/le-manque-de-confiance-dans-la-politi…/

Brève réflexion : partis populistes / partis traditionnels : trop vite ou trop lent ?

Je pense qu’il y a une différence entre les partis dits “populistes” et les partis “traditionnels”, qui n’est pas souvent abordée : c’est la RAPIDITÉ avec laquelle les partis “populistes” passent à l’action v/s la LENTEUR des partis “traditionnels”.

Un bon exemple à propos de l’enseignement : on apprend aujourd’hui, en Belgique, que le Pacte d’excellence, ce pacte pour la rénovation de l’enseignement, est finalement reporté à la prochaine législature (2019), durant laquelle la Ministre Marie-Martine SCHYNS (CDH – Centre Démocrate Humaniste) qui a porté ce pacte n’est pas assurée d’être toujours au pouvoir, et encore moins ministre de l’éducation. (article : https://goo.gl/GN5Bi2)

Pour rappel, les travaux autour de ce pacte d’excellence ont débuté en 2015. La seule mise en place d’une nouvelle grille-horaire dans l’enseignement primaire est prévue pour 2020. C’est 2024 pour l’enseignement secondaire. La fin du processus de réforme est prévu pour 2028.

13 ans de travaux ! Les parents qui ont été convié à participer (puisque le pacte d’excellence prévoyait une dimension participative) ont toutes les chances de n’avoir plus aucun enfant dans l’enseignement lorsque le fruit de leurs travaux seront mis en oeuvre.

Il est intéressant de comparer avec la Pologne️ qui connaît actuellement une réforme de son enseignement : une modification complète de la structure des études qui passe d’un système avec 6 ans en Primaires, puis 3 ans en “Junior High School”, et 3 ans en “High School”, à un système avec 8 ans en Primaires, puis 4 ans en “High School”.

… Tout ça en 10 mois ! 10 MOIS !

Cette réforme est portée par le parti “Droit et Justice”, des frères Kaczynski, au pouvoir depuis 2015. Un parti classé comme conservateur, euro-sceptique, de “droite populiste”. Par là, ce parti a répondu à la demande de son électorat de revenir à un système que la Pologne connaissait avant 2009. (article : https://goo.gl/fdxcus) Continue reading Brève réflexion : partis populistes / partis traditionnels : trop vite ou trop lent ?

Qui a encore la “vocation de la politique” aujourd’hui ? 

Parmi toutes les choses extrêmement intéressantes que Max Weber a écrites, il y a le dernier paragraphe de “La vocation d’homme politique”*, écrit en 1919. Il conclut ce texte, qui est une conférence comme ceci :

“La politique consiste en un effort tenace et énergique pour tarauder des planches de bois dur. Cet effort exige à la fois de la passion et du coup d’oeil. Il est parfaitement exact de dire, et toute l’expérience historique le confirme, que l’on n’aurait jamais pu atteindre le possible si dans le monde on ne s’était pas toujours et sans cesse attaqué à l’impossible. Mais l’homme qui est capable de faire un pareil effort doit être un chef, et non pas seulement un chef, mais encore un héros, dans le sens le plus simple du mot. Et même ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre sont obligés de s’armer de la force d’âme qui leur permettra de surmonter le naufrage de tous leurs espoirs. Mais il faut qu’ils s’arment dès à présent, sinon ils ne seront même pas capables de venir à bout de ce qu’il est possible de faire aujourd’hui. Celui qui est convaincu qu’il ne s’effondrera pas si le monde, jugé de son point de vue, est trop stupide ou trop mesquin pour mériter ce qu’il prétend lui offrir, et qui reste néanmoins capable de dire “quand même !”, celui-là seul a la “vocation” de la politique”.

  • Qui a encore la “vocation de la politique” aujourd’hui ? 
  • Qui est encore capable de dire : #Nevermind “Je le fais quand même !”, même si le monde est trop stupide pour le comprendre ? 
  • Qui est encore prêt à s’attaquer à l’impossible ?

100 ans après, les mots de Max Weber peuvent trouver, je pense, une résonance dans les enjeux actuels…

* Texte publié dans “Le savant et le politique”, 1959, pp. 200-201.

“… Said no one ever !”. Personne ne dit jamais ça.

 

Et si on essayait de décrire la situation actuelle, en partir de ce que (presque) personne ne dit jamais ?

Exemple 1 : (Presque) personne ne dit “J’adore mon boulot ! Je m’y vois encore bien dans 10 ans !”, ou “Mon boulot est épanouissant, j’y trouve vraiment du sens, je suis fier de ce que je fais !”, ou “Chaque matin, j’ai hâte d’aller bosser !”, ou “La législation liée à mon secteur est vraiment adaptée à la réalité du terrain”, ou “L’organisation interne est hyper bien pensée, et les personnes aux postes clés sont extrêmement compétentes !”… Said No One EVER !

Au contraire, énormément de personnes se sentent frustrées dans leur emploi : mauvais fonctionnement, incompétence du n+1, du n+2, du n++….. , surcharge de boulot à cause de collègues trop souvent absents, harcèlement, sentiment de ne servir à rien, de faire toujours la même chose, de ne pas être à sa place, de ne pas être reconnu à sa juste valeur, pré-burnout, burnout, bore-out, dépression, etc. Et surtout un sentiment généralisé que tout se dégrade, qu’avant on pouvait mieux travailler, qu’avant on était plus efficaces, qu’avant l’ambiance était meilleure…

Alors, bien sûr, avant, tout le monde n’aimait pas nécessairement son boulot, et il n’est pas difficile d’imaginer que passer 10 heures au fond d’une mine n’était pas “épanouissant”. Mais le monde d’hier se structurait probablement davantage entre ceux qui étaient fiers de leur boulot (et qui pouvaient être fiers de bien faire ce qu’ils devaient faire) et ceux qui n’étaient pas satisfaits, et qui se divisaient eux-mêmes entre ceux qui avaient conscience que collectivement ils pouvaient faire changer les choses (la « conscience de classe ») et ceux qui étaient complètement résignés. Toujours ce Fight or Flight.

Aujourd’hui, tout cela semble brouillé, et nous sommes nombreux à surnager, entre deux eaux, comme si on attendait que quelque chose arrive. Un C4 ? L’effondrement du système ? Un burnout ?

Continue reading “… Said no one ever !”. Personne ne dit jamais ça.

La démocratie participative : réponse à un texte d’Hadelin de Beer

IMG_20150222_145436862_HDR

Cet article est une réponse au texte « Faire vivre la démocratie participative dans notre ville », de Hadelin de Beer, conseiller communal à Ottignies-Louvain-la-Neuve. Ce n’est pas tant une critique de son texte qu’une invitation à débattre : j’apprécie le fait qu’il lance une réflexion sur la démocratie participative, mais je pense que son postulat de base est mal choisi.

Le problème principal réside dans le fait de penser la participation citoyenne dans un cadre de pensée qui reste celui de la séparation du peuple et de ses élus, et du monopole de ces derniers sur l’initiative et la prise de décision finale.

Au lieu d’être « acteurs » du processus démocratique, comme le supposerait l’idée de participation, les citoyens restent l’objet d’initiatives proposées par le politique: ils « sont consultés ». Grammaticalement, la nécessité de passer par la forme passive du verbe témoigne du fait que les citoyens restent « passifs », ils répondent à une demande du politique. « Sur quoi solliciter les citoyens » se demande Hadelin de Beer. Dans la participation, la population devrait autant questionner que répondre. En fait, elle devrait débattre.

D’où vient l’erreur de départ ? Du postulat de base, dans le texte, selon lequel on pourrait partir de l’hexamètre de Quintilien (qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi?) dans le but de « connaître les circonstances pour prendre une bonne décision ». Le problème est que le présupposé est tout à fait « objectiviste », et toutes les difficultés que rencontre Hadelin de Beer, pour répondre à ces six questions, révèlent la limite de cette illusion objectiviste lorsqu’on aborde des enjeux sociaux.

En réalité, plus aucun chercheur en sciences sociales ne pense qu’il existerait une « réalité » et qu’on pourrait la « découvrir », la « révéler », à partir de ces six questions. En particulier en politique. Pierre Bourdieu a assez montré que la « réalité » est le lieu d’une lutte permanente pour définir « la réalité » (Bourdieu, 1980: 67).

L’image illustrant l’article est particulièrement révélatrice du présupposé objectiviste : un « Sherlock Holmes » se penchant avec sa loupe sur une réalité à découvrir. Si c’est le peuple qui est en-dessous, on l’imagine comme une colonie de petites fourmis dont l’agitation est à ce point obscure à l’élite politique, que celle-ci doit se munir d’une loupe et d’une grille de six questions.

Capture d’écran 2017-04-04 à 13.10.11

C’est d’autant plus dommage que le texte est écrit par un conseiller de la ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, siège d’une Université (UCL), dont la faculté de sociologie a produit certains des meilleurs sociologues en sociologie du Sujet, sociologie de l’action, sociologie des mouvements sociaux, ou en recherche-action. Je pense à Guy Bajoit, à Abraham Franssen, à Luc Van Campenhoudt. Je ne sais plus si Bajoit l’a écrit quelque part, mais je me rappelle, lors de discussions, qu’il disait que le sociologue ne devait pas « rester au balcon » mais descendre dans la rue. Tout semble indiquer, dans le texte d’Hadelin de Beer, que l’élu se penche, depuis son balcon, sur cette population qui « grouille » en-dessous, et qu’il faudrait consulter. J’exagère son propos, mais c’est ce qu’inspire l’image utilisée. J’y reviendrai. Continue reading La démocratie participative : réponse à un texte d’Hadelin de Beer

Nouvel article paru sur Usbek et Rica

capture-decran-2016-12-14-a-17-07-28

Populisme vs renouveau citoyen : que faire quand la société coule ?“, Usbek et Rica, décembre 2016.

L’époque actuelle peut paraître incompréhensible. D’un côté, l’accession au pouvoir de leaders populistes, la libération de la parole raciste et des déchaînements de haine envers les réfugiés ; de l’autre, l’émergence de mouvements citoyens qui consacrent, dans la veine du film Demain, des initiatives solidaires, de partage, éco-responsables. Analyse de ces dynamiques antagonistes, par Yves Patte, sociologue et lecteur participatif d’Usbek & Rica.

J’y développe cette métaphore du bateau qui coule, et des différentes voies qui émergent de cette situation-là. Une première version se trouve ici. Et c’est aussi la trame de fond de cette conférence, que j’ai donnée à Paris, en juin 2016… J’y rajoute des références au Brexit et à l’élection de Donald Trump.

Merci à Usbek et Rica d’avoir publié ce texte !! Déjà beaucoup d’échanges intéressantes à la suite de cette parution ! N’hésitez pas à me faire part de vos avis, de critiques, de votre vécu par rapport à cette situation, etc.