J’étais heureux de lire la carte blanche de Jean-François Raskin, sociologue des médias, à propos du documentaire « Ceci n’est pas un complot », dans La Libre Belgique.
Heureux parce que Raskin rappelle l’intérêt d’une analyse critique du travail journalistique, en particulier en rapport avec la pandémie. Et l’outil approprié pour cela est, je pense, la sociologie des médias. C’est l’objet de cette publication : montrer à quoi pourrait ressembler une approche sociologique du traitement journalistique de la crise sanitaire, en présentant quelques concepts clés de la discipline (ainsi que les références pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin).
Le documentaire « Ceci n’est pas un complot » est critiquable en ceci qu’il pose des questions sans y répondre. Et c’est évidemment un ressort important des logiques complotistes. L’absence de réponse à la question laisse supposer, soit que cette réponse est tellement évidente qu’il ne sert à rien de l’expliciter (et que seul celui qui ne veut pas voir la réalité ne la voit pas), soit qu’elle relève de quelque chose qui est “indicible”, qu’on n’est pas “autorisé” à dire. Dans tous les cas, on retrouve cela dans les logiques complotistes.
Mais en aucun cas, cela ne signifie que les questions posées soient inutiles ou déplacées. C’est la manière dont on les pose, et les réponses qu’on apporte, qui vont déterminer que l’on soit dans le champ des sciences sociales… ou dans celui du complotisme.
Une précision encore avant de commencer : ce que je dis là ne laisse rien présager quant aux intentions de l’auteur du documentaire, Bernard Crutzen, que je ne connais pas. Je pense tout à fait qu’on peut produire quelque chose (texte, film, etc.) qui fait le jeu des théories complotistes sans avoir l’intention de le faire.
Je renverrais vers l’ouvrage “Les enfants de Shylock ou l’antisémitisme sur scène” (Meyer-Plantureux, 2005), qui montre par exemple que les dramaturgies françaises de l’avant-guerre étaient très souvent antisémites, malgré que leurs auteurs étaient souvent d’origine juive et appartenaient aux milieux politiques progressistes. Ils n’étaient peut-être pas “personnellement” antisémites, mais leur dramaturgie l’était (Dayan, 2005).
Les « routines » journalistiques
Une première approche intéressante serait de partir des “routines” journalistiques, c’est-à-dire toutes ces pratiques quotidiennes qui permettent aux journalistes de produire, chaque jour, de l’information.
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