“Use it or Loose It”. Et l’intelligence artificielle. Une brève réflexion.

J’ai beaucoup de mal à comprendre l’engouement pour l’intelligence artificielle. En quoi est-ce que déléguer certaines compétences intellectuelles à des machines peut être une bonne idée ?

Pour m’expliquer, je vais partir des compétences physiques : depuis la révolution industrielle, et plus encore avec l’accès en masse à des technologiques domestiques dès l’après-guerre, et puis la technologie informatique et connectée des dernières décennies, l’immense majorité de nos tâches physiques peut être faite par des machines.

A peu de choses près, il suffit de pousser sur un bouton ou de cliquer sur un icône pour se chauffer, se nourrir, nettoyer sa vaisselle, laver ses habits, se déplacer, etc. Beaucoup de gens vivent avec un robot qui tond leur pelouse, des plats préparés qui se réchauffent au micro-ondes, un lave-linge, un séchoir. Peut-être ont-ils une trottinette électrique pour se déplacer sur les trottoirs. Plus besoin de couper du bois, de jardiner, d’élaguer. Plus rien à porter, à déplacer. Leur travail implique une chaise, une table, un ordinateur. Leurs meubles sont préfabriqués : le montage n’a nécessité ni outils, ni dextérité, ni force physique. Et on pourrait multiplier comme ça les exemples.

Résultat : toutes les études montrent une diminution inquiétante des compétences physiques. Et cela, en plus de toutes les études qui montrent une augmentation du surpoids, de l’obésité, de l’hypertension, du diabète de type II, etc.

La grande illusion derrière tout cela, ça a été que, libérés des basses tâches physiques du quotidien, nous allions pouvoir nous émanciper, et consacrer notre temps à des activités plus saines, plus épanouissantes, plus à la hauteur de nos immenses capacités humaines. Et c’est vrai que si, libérés de ces heures consacrées à la production de nourriture, de bois pour se chauffer, au lavage des habits à la main, aux longs déplacements à pied, etc., nous nous étions toutes et tous mis à la gymnastique, à la danse, à l’haltérophilie, au yoga, à l’alpinisme mais aussi à la peinture, à la littérature, à la musique, aux mathématiques, à la philosophie, etc., les progrès pour l’humanité auraient été immenses.

Et c’est vrai aussi que l’émancipation a été réelle pour les femmes, qui étaient davantage que les hommes assignées aux tâches domestiques quotidiennes. Et je ne vais pas, d’autre part, être nostalgique d’une période où une part de la populations se tuait dans les mines, ou s’abimait le corps courbé dans les champs.

… Mais force est de constater que les tâches physique du quotidien ont davantage été remplacées par Netflix, Tik Tok et le sofa, que par des activités physiques saines. Et si on n’utilise pas certaines capacités de notre corps, on les perd. “Use it or loose it”.

Ma question est : n’est-on pas en train de refaire exactement la même chose avec l’intelligence artificielle (IA) ? En quoi est-ce que ça peut être une bonne idée, par exemple, de faire écrire un texte par l’IA ? Écrire un texte nécessite tout un ensemble de compétences cognitives et intellectuelles : rechercher des informations, les trier, les classer, connecter les informations entre elles, faire des liens avec des informations mémorisées, synthétiser, argumenter, développer, simplifier, etc. Cela demandes des compétences linguistiques, littéraires, argumentatives, réflexives, sans parler des compétences propres au domaine dans lequel on écrit. En quoi est-ce que ça peut paraître une bonne idée de se dire que c’est l’IA qui va faire tout cela ?

Et l’illusion va être la même que pour les compétences physiques : si on se dit que l’IA fait les basses tâches intellectuelles et que nous, êtres humains, allons arriver en quelque sorte « après », pour aller plus loin, pour réaliser à partir du travail de l’IA des tâches intellectuelles plus raffinées, je suis convaincu qu’on se trompe.

D’autant plus que toutes les tâches laissées à l’IA sont précisément les tâches de base, les fondations. Si je ne sais plus construire une phrase, parce que c’est l’IA qui maîtrise, à ma place, les règles grammaticales, syntaxiques, orthographiques, et que je n’ai plus qu’à balancer quelques idées dans un formulaire pour obtenir un texte, comment est-ce que je pourrais produire une pensée ?

Par exemple, en quoi est-ce qu’on peut se réjouir qu’une IA puisse rédiger à notre place un texte sur l’influence de Nietzsche sur Camus ? Tout l’intérêt pour nous, êtres humains, c’est de lire Nietzsche, de le comprendre, de lire Camus, de le comprendre, et puis de réfléchir à l’influence du premier sur le second, et de mettre cela sur papier. Au final, mon texte sera probablement moins complet que ce qu’aurait pu produire une IA… mais j’aurai passé au bas mot 800 heures à lire certains des plus grands auteurs de l’histoire de l’humanité. Et ça, ça n’a pas de prix en termes de développement intellectuel.

Bon peut-être que les liens entre Nietzsche et Camus ne vous intéressent pas. Je comprendrais ! Mais vous pouvez imaginer n’importe quelle tâche intellectuelle dans le domaine qui vous intéresse… Vous avez compris l’idée : tout comme pour le corps, le but devrait être d’essayer d’utiliser au maximum son cerveau, plutôt que de faire appel à des machines.

Et surtout, les tâches les plus basiques sont les fondations des tâches plus complexes : lire des textes, mémoriser, classer, faire des liens, synthétiser, argumenter, ça devrait être des tâches à effectuer le plus souvent possible. Au titre d’entraînement.

Croire qu’en se passant des tâches basiques, on pourra mieux réaliser les tâches complexes, c’est à 100% une erreur. Ce serait comme croire qu’on peut se passer de savoir faire les opérations de base en mathématique (parce qu’une calculette les réalise), pour sauter directement sur les théorèmes les plus complexes.

Bref, j’ai du mal à comprendre l’engouement pour l’intelligence artificielle.

Soyez convaincus que les textes ici, sur ma page, sur mon blog, seront toujours bien rédigés par un cerveau humain. Tout comme mes légumes ou mon bois de chauffage sont produits par le travail d’un corps humain !

Et vous, vous en pensez quoi ? Des réflexions ? Les enseignants et enseignantes par exemple ? Ca m’intéresse d’avoir votre avis !

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*