Communion de ma grand-mère, guerre, coronavirus, et événements inattendus…

Parmi ces petits faire-part de communion, il y a celui de ma grand-mère, Carmen Bovy, daté du 29 mai 1940. En réalité, elle n’a pas fait sa communion ce jour-là, puisque qu’un événement majeur du 20ème siècle est venu tout chambouler : la Seconde guerre mondiale. Le 28 mai 1940, c’est-à-dire la veille, la Belgique capitulait face à l’Allemagne nazie. 

Mon arrière-grand-mère ayant connu la Guerre 14-18, et entendant l’arrivée des Allemands, décidait de prendre le chemin de l’exode vers la France, avec tous ses enfants, et les tartes prévues pour la communion emballées dans un drap, comme nourriture pour la route. Ma grand-mère marchait vers le sud de la France, avec ses souliers de communiante tout neufs. Au niveau de Clermont-Ferrand, après plusieurs jours (semaines ?) de marche, ses semelles étaient usées jusqu’au trou… 

J’ai grandi avec cette histoire. Et une chose m’a toujours marqué : la veille de la Seconde guerre mondiale, qui a plongé, durant 5 ans, le monde dans le chaos, la tragédie, l’horreur… on ne se doutait de rien ! On préparait des tartes. 

Bien sûr, certaines personnes ont dû essayer d’alerter tout le monde. Mais visiblement, la plus grande partie de la population n’a pas pris conscience du danger imminent. 

Et je crois qu’il en va de même pour tout changement potentiel. Quelques jours avant la chute du mur de Berlin, qui aurait dit que ce mur qui structurait l’Europe allait s’écrouler ? Qui aurait parié sur la chute de l’URSS quelques jours avant que ça n’arrive ? Ou sur la crise financière de 2008 ?

… Et qui aurait parié sur le fait que la Belgique, comme beaucoup de pays européens, allait fermer ses écoles, ses universités, ses cafés, ses restaurants et annuler tout rassemblement, durant plusieurs semaines, à cause d’un virus ?

Oh, bien sûr, certains et certaines ont essayé d’avertir. J’ai relayé un article qui provenait de tout cela dès les premiers jours… Mais jusqu’il y a une semaine, certains inconscients répétaient encore que « ce n’est qu’une grippe », « on stresse pour rien », « cette panique est irrationnelle », etc… 

Pour coller à la dimension religieuse de l’image, ça me rappelle toujours un passage de l’Évangile de Matthieu (24:38) :

« Dans les jours qui précédèrent le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, on donnait en mariage, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et les hommes ne se doutèrent de rien, jusqu’au moment où vint le déluge, qui les emporta tous ». 

Ce passage sert à illustrer, dans la religion catholique, l’idée qu’il en sera de même avec le retour du Christ : personne ne s’y attendra. 

Ces événements sont des « Black Swan », tels que décrits par Taleb. Ils ont 3 caractéristiques : 

1) ce sont des événements au-delà de ce à quoi on pouvait s’attendre, parce que rien dans le passé ne pouvait indiquer que cela pourrait se produire.

2)  ces événements ont un impact énorme

3) nous créons des explications par après, ce qui les rend «explicables et prévisibles »… après coup !

Et il faut bien reconnaître que certains et certaines sont plus doués, si pas pour prévoir ces événements (on ne peut précisément pas les prévoir), au moins pour être plus sensibles à l’idée qu’il pourrait y avoir des événements imprévisibles. 

Nassim Nicholas Taleb en fait partie. Et je pourrais également citer Joe Norman, Yaneer Bar-Yam ou Luca Dellanna. Ces personnes essayent d’alerter sur le coronavirus depuis le mois de janvier, et ce n’est qu’en mars qu’on applique les mesures qu’ils préconisent…

J’espère que le coronavirus épargnera un maximum de personnes, mais j’espère que, dans un sens, il n’épargnera pas tous les pseudo-intellectuels qui, il y a une semaine encore, nous disaient que « ce n’est qu’une grippe »… Je veux pouvoir m’informer auprès des bonnes personnes et ne pas avoir à m’exiler en souliers de communiants, parce que je n’aurais pas vu venir un danger majeur…  

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