Coronavirus : Est-ce qu’on peut espérer que les choses changent après cette crise ?

Une des questions du moment est certainement : est-ce qu’on peut *espérer* que les choses changent après cette crise ? Ou faut-il plutôt être *fataliste* et se dire que finalement, tout le monde reprendra sa vie “normale” , parce que les contraintes sont trop grandes.

J’avais envie de partager quelques réflexions, simples et pragmatiques  :

Premièrement, pour faire changer les choses, il ne faut pas nécessairement être un militant ou une militante, qui se *sacrifie* pour une cause.

On imagine souvent celles et ceux qui font changer les choses comme des guerriers prêts à tout quitter pour révolutionner la société ! C’est ce mythe de la clandestinité, de la révolution en Amérique latine, de la vie en ZAD, etc. Ca existe, et ça peut jouer un rôle dans les changements sociaux, mais ça ne concerne qu’une infime minorité.

(C’est un peu comme se dire que faire du CrossFit, c’est s’entraîner comme un athlète des CrossFit Games ! …. cette analogie parlera à tous les pratiquants et pratiquantes de CrossFit) 😉

Surtout, derrière cette image du militant, il y a l’idée que faire changer la société implique privation, abnégation, sacrifice. Bref, se priver des “bonnes choses”, “restreindre” son bonheur, pour le bien de la société. C’est quand même fortement là-dessus qu’est construit tout le militantisme pour le climat.

Alors que ce qu’on voit actuellement, c’est que la demande de changement porte plutôt sur des choses assez simples de la vie quotidienne… des choses qui nous rendent, sur le coup, plus heureux et plus heureuses.

C’est vraiment ce qui est ressorti des nombreux commentaires et partages d’une de mes publications précédentes  ➡️ le changement, c’est avoir davantage le temps pour s’occuper de ses enfants, faire une balade quotidienne en couple, faire son pain, se lancer dans un petit potager, faire soi-même ses produits d’entretien… et bien sûr, le confinement montre aussi – parce qu’il nous en prive – que le bonheur, c’est passer davantage de temps avec les amis, la famille, les proches.

Alors, si on se réfère au mythe classique du militant “martyr de sa cause”, parler de bonheur peut paraître bien niais… Pourtant, toute la philosophie antique, y compris le Stoïcisme, est orientée vers le “bonheur” en tant que but ultime de la vie humaine. On appelle ça, l’ “eudémonisme”. Notre but est d’être heureux. Ce n’est pas simplement de prendre du plaisir (ça, c’est l’ “hédonisme”), c’est un but plus large.

Pour Aristote, le bonheur est “une activité de l’âme conforme à la vertu” (Éthique à Nicomaque, I, 10, 1099b-1100a). Il rentre donc dans la classe “des choses dignes d’honneur et parfaite”.

À RETENIR > > > Ca fait partie de notre nature humaine de vouloir être heureux ! Et c’est qui devrait guider nos actions !

Mais alors, certains et certaines diront : le bonheur n’est-il pas un but égoïste ? Quelque chose d’individuel ? N’est-ce pas plus honorable de se battre pour des causes sociales ? Des causes collectives ?

Pour les Grecs, le bonheur était aussi le but de la société ! Les hommes et les femmes se regroupaient en société, pensaient-ils, pour être plus heureux. Aristote, qui est certainement une référence sur l’idée même de société, explique dans “Les Politiques” (I, 2, 1252b-1253a) que la Cité se constitue “en vue de la vie heureuse”.

Dans une note proposée par le traducteur, Pierre Pellerin (probablement un des meilleurs traducteurs !), la “vie heureuse” ou le “bonheur” renvoie à l’expression aristotélicienne de “l’épanouissement physique, intellectuel et affectif, caractéristique du citoyen libre et vertueux”.

J’ADORE CETTE IDÉE : on ne peut pas construire un projet de société sans l’épanouissement physique, intellectuel et affectif des citoyens libres et vertueux ! Ce n’est pas la phrase d’un hippie, c’est la phrase d’une des références historiques sur les systèmes politiques !

Si vos actions personnelles vous permettent de vous épanouir physiquement, intellectuellement et affectivement, vous contribuez à la construction d’une société plus vertueuse.

Parce que vous savez quoi ? Il n’est pas possible d’avoir une société heureuse si tous ses membres ne sont pas heureux ! Et Aristote prend un exemple très subtil. Il dit :

[citation] “Il est impossible [que la cité] soit heureuse tout entière si la plupart, sinon toutes, ou même quelques-unes de ses parties ne possèdent pas le bonheur. Car il n’en est pas du bonheur comme de la parité : il peut arriver qu’un nombre total soit pair alors qu’aucune de ses parties ne l’est, mais pour le bonheur c’est impossible”. (Les Politiques, II, 5, 1264b).

Donc, mener des activités qui vous rendent heureux et heureuses maintenant, et qui rendent heureux vos proches, c’est contribuer tout à fait légitimement au changement vers une meilleure société.

Mettez des choses en place maintenant, prenez-y du bonheur et ces choses perdureront après cette crise.

Je n’ai pas de meilleur exemple que celles et ceux qui ont profité de cette période de confinement pour créer un petit potager. Tout ce qui est semé et planté durant ces semaines de confinement ne sera probablement récolté qu’après le confinement, c’est-à-dire dans quelques semaines ou quelques mois. Mais ce sera agréable de récolter et savourer ses propres fruits et légumes. Et il n’y aura pas de raison de stopper son potager, et de re-semer du gazon sur sa terre travaillée.

Même chose pour celles et ceux qui se sont mis à faire leur pain : ça vous rend heureux de le faire ? De le manger ? Vous allez probablement continuer après le confinement.

Vous êtes heureux et heureuse de passer davantage de temps avec vos enfants ? Ils sont heureux de passer davantage de temps avec leurs parents ? Vous allez continuer après le confinement.

Vous êtes heureux et heureuse d’avoir du temps pour faire un peu de sport chez vous, du Yoga, de la méditation ? Ca vous épanouit physiquement ? Vous allez continuer à le faire.

> > > Ca répond donc à la question de départ : j’ai vraiment l’espoir que des choses changent dans notre société, après cette crise. Pas parce que je crois à une espère de prise de conscience « politique » et une volonté des gens de sacrifier leur mode de vie pour une grande cause. Mais parce que je crois que tout ce qu’on expérimente maintenant, même des toutes petites choses, et qui nous rendent plus HEUREUX MAINTENANT, restera après le confinement, et participera à la transition vers une société plus vertueuse…

Gardons la foi dans l’humain ! 😉

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Post-scriptum : Je vois venir certains et certaines, me dire : “oui, mais si ce qui me rend heureux est mauvais pour la société ?” J’ai l’impression que ce qu’on voit actuellement, c’est que ces choses néfastes à la société sont peut-être pratiques, apportent peut-être du plaisir, mais pas réellement du bonheur. Y a-t-il quelqu’un “heureux” de manger des tomates de l’autre bout du monde ? Heureux de fumer ? Heureux d’avoir 2 heures de bagnole par jour ? Heureux d’avoir des poubelles remplies de plastique d’emballage ? Etc…

Post-post Scriptum : J’espère que personne ne résumera mes propos par “le confinement, c’est le bonheur !”. Je parle bien de *certains* éléments du confinement que certains peuvent apprécier. Je suis bien conscient que la situation peut être pénible, voire dramatique pour certains. Et je suis indépendant, je sais ce que c’est la perte de rentrée financière !

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