L’ignorance pousse à la servitude; le savoir rend libre. L’importance de l’instruction en démocratie

On fête aujourd’hui la naissance de Condorcet, mathématicien, philosophe, homme politique français, né le 17 septembre 1743.

Grande figure des Lumières, Condorcet est resté dans les mémoires pour de nombreuses contributions à la pensée occidentale moderne, comme ses prises de position, très tôt dans l’Histoire, contre l’esclavage, ou pour le droit de vote des femmes, sa pensée du système éducatif, et son “paradoxe de Condorcet” en matière de vote (lorsqu’on vote pour classer 3 propositions).

Mais je voudrais juste mettre l’accent sur un élément important pour moi : son idée de l’instruction publique comme élément central de la démocratie.

On pourrait synthétiser son idée comme ceci :

1) L’ignorance pousse à la servitude; le savoir rend libre.

“Celui qui ne sait pas écrire, et qui ignore l’arithmétique, dépend réellement de l’homme plus instruit, auquel il est sans cesse obligé de recourir (…) Celui qui n’est pas instruit des premières lois qui règlent le droit de propriété ne jouit pas de ce droit de la même manière de celui qui les connaît”.

On retrouve la même idée que dans Le Discours de la Servitude volontaire de La Boétie (voir ici) : liberté et égalité vont de pair. Si l’on est dépendant de quelqu’un d’autre, on n’est ni libre, ni son égal. (Dit autrement : une société où tous les individus sont égaux, où aucun n’est le serviteur d’un autre, est une société où tous les individus sont libres).

2) C’est donc le DEVOIR de la société de fournir un système éducatif qui instruise tous les citoyens (et citoyennes, rajouterait-on aujourd’hui).

[Citation] : “Le devoir de la société, relativement à l’obligation d’étendre dans le fait, autant qu’il est possible, l’égalité des droits, consiste donc à procurer à chaque homme l’instruction nécessaire pour exercer les fonctions communes d’homme, de père de famille et de citoyen, pour en sentir, pour en connaître tous les devoirs”.

3) Et la société bénéficie d’un genre de “retour sur investissement” quant à cette instruction :

“Plus les hommes sont disposés par éducation à raisonner juste, à saisir les vérités qu’on leur présente, à rejeter les erreurs dont on veut les rendre victimes, plus aussi la nation qui verrait ainsi les lumières s’accroître de plus en plus, et se répandre sur un plus grand nombre d’individus, doit espérer obtenir et conserver de bonnes lois, une administration sage et une constitution vraiment libre”.

DONC : Pas de réelle démocratie sans un système d’instruction pour toutes et tous. “L’inégalité d’instruction, affirme Condorcet, est une des principales sources de tyrannie”.

“La vérité, dit-il également, est (…) à la fois l’ennemie du pouvoir comme de ceux qui l’exercent; plus elle se répand, moins ceux-ci peuvent espérer tromper les hommes; plus elle acquiert de la force, moins les sociétés ont besoin d’être gouvernées”.


Deux choses encore qui peuvent raisonner avec les réalités actuelles :

1) Condorcet était contre la “spécialisation” trop tôt (il parlait des “effets abrutissants de la spécialisation”). Si on n’apprend qu’à faire certains gestes, on ne pourra pas s’adapter à des changements dans le secteur où on évolue (imaginez encore aujourd’hui, quelqu’un qui n’apprendrait à utiliser qu’une machine, et qui verrait, après quelques années dans sa carrière professionnelle, cette machine devenir obsolète…).

Mais Condorcet voit souvent les choses de la même manière pour les individus et pour la société. Il explique ainsi qu’une nation s’adaptera d’autant mieux, elle aussi, aux changements que sa population sera plus instruite. Quels changements ? Voici ce qu’il cite :

“Des changements dans la température d’un pays, dans les qualités du sol, causés soit par des lois générales de la nature, soit par l’effet des travaux longtemps continués; de nouvelles cultures, la découverte de nouveaux moyens dans les arts, l’introduction des machines qui, employant moins de bras, forcent les ouvriers à chercher d’autres occupations; l’accroissement enfin, ou la diminution de la population”.

… Ce sont des exemples qui paraissent très contemporains !

2) Dès le 18ème siècle, Condorcet refuse l’idée d’une instruction qui viserait à former une élite qui conseillerait le Prince, c’est-à-dire celles et ceux qui détiennent le pouvoir. Au contraire, son idée est de promouvoir un système d’instruction publique, qui permette à chaque citoyen et citoyenne de participer aux assemblées et de prendre de bonnes décisions, “éclairées par la Raison”.

Aujourd’hui encore, une certaine tentation technocratique voudrait qu’on forme des élites, hyper instruites, pour conseiller les autorités sur les sujets les plus complexes. Ce n’est pas du tout le sens d’un projet démocratique, inspiré des Lumières, où chaque citoyen, chaque citoyenne, devrait être capable, grâce à l’instruction publique, de participer aux prises de décision.

… Voilà, il y aurait encore des tonnes de choses à raconter sur Condorcet, mais c’est un élément que je voulais partager, parce que c’est une question qui me tient à coeur, et sur laquelle je travaille actuellement…


Toutes les citations viennent des “Cinq mémoires sur l’instruction publique”, parus en 1791, et dont vous retrouverez des versions end ligne, comme ici : http://classiques.uqac.ca/classiques/condorcet/cinq_memoires_instruction/cinq_memoires.html

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