Association entre burnout parental et “culture individualiste”

On en parle beaucoup dans la presse aujourd’hui : une étude réalisée par un consortium de psychologues montre que le burnout parental est plus fréquent dans les pays de culture “individualiste” (principalement Occidentaux : 🇺🇸 🇫🇷 🇬🇧 🇩🇪 🇵🇱 🇳🇱 …). 

C’est très intéressant, et ça rejoint plusieurs choses sur lesquelles je bosse pour l’instant, dont le concept d’espace public. Je m’explique… 

Quand on parle de pays de culture “individualiste”, n’y voyez pas une opposition aux pays “collectivistes”, au sens de communistes. “Individualisme” signifie ici : “une préférence pour un cadre social lâche, dans lequel on attend des individus qu’ils ne prennent soin que d’eux-mêmes et de leur famille immédiate“. Cette variable provient du Culture Compass de Hofstede que vous pouvez consulter ici (essayez, on peut comparer les pays, c’est marrant !)

Bref, l’étude du Consortium, portant sur 42 pays et 17.409 patients, a montré que la variable “individualisme” est la seule qui est significativement associée au burnout parental. Et cela même lorsqu’on contrôle les autres variables : démographie, charge parentale (nombre d’enfants, etc.), inégalités économiques, etc. 

Les chercheurs et chercheuses concluent qu’”un renforcement du réseau social d’aide mutuelle et de solidarité autour des familles pourrait aider à diminuer la prévalence du burnout parental dans les pays individualistes“. 

Je pense que ce que l’on est en train de perdre, principalement, dans les pays occidentaux, ce sont tous ces lieux de sociabilité qui composent l’ “espace public informel” : ce qu’on appelle aussi les “tiers-lieux“, qui ne sont ni le domicile (premier lieu), ni le boulot (deuxième lieu). 

Aujourd’hui, dans combien de lieux ou cercles informels un parent peut-il à la fois parler de ses problèmes de parent, échanger ses expériences, verbaliser ses craintes et avoir des conseils d’autres parents ? Je pense que le nombre diminue.

Je parle bien de lieux “informels”, et de conseils de “pairs”. Non pas de lieux “formels” (service social, centre psychologique, etc.), ni de conseils d’ “experts”. Je parle de lieux où on ne vient pas pour parler de ses problèmes, mais où on peut le faire aisément. 

Je pense aux discussions qui peuvent avoir lieu au bord d’un terrain de sport pendant l’entraînement des enfants, en cuisine lors de la préparation des repas de la fancy-fair de l’école, au marché, au café, à l’épicerie, chez le coiffeur, lors d’une fête de quartier, lors d’un barbecue entre amis, à la sortie de la messe/mosquée/synagogue, après un cours de fitness, à la fin de la répétition de la chorale, au-dessus de la haie entre voisins, lors d’une fête de famille élargie (mariage, baptême, etc.), en fin de réunion du projet local en transition, au bord de la plaine de jeux, etc. 

Tous ces lieux sont des “tiers-lieux” qui jouent un rôle fondamental dans la constitution d’une société, c’est-à-dire dans la “socialisation” (comme disait Simmel), dans le fait de “faire société”. 

Et ce qu’on appelle une société “individualiste”, c’est précisément une société dans laquelle les individus sont moins “engagés” dans ces lieux de sociabilité : les enfants font toujours du sport, mais on les dépose et on vient les chercher; on a toujours des voisins, mais on les connaît très peu et les discussions se limitent à “bonjour et au revoir“, les enfants vont toujours à l’école, mais on connaît peu les autres parents et on ne se rend à l’école que pour les “réunions de parents”, etc. 

… Et on perd toutes ces possibilités de partager nos expériences de parents. On perd des oreilles écoutantes, et des paroles réconfortantes. On perd les conseils impromptus autour d’un café, au bord du terrain, ou à l’épicerie, les courses en main. On perd une certaine forme de “solidarité”, qui se crée lorsqu’entre parents, “on se comprend”. 

En écrivant cela, je me rappelle toutes ces blagues juives mettant en scène des mères juives qui se retrouvent pour parler de leurs enfants… Par exemple, celle-ci :

“Trois mères juives se rencontrent. La première fait : — Ah ! La seconde : — Oooh ! Alors la troisième : — On avait décidé qu’on ne parlait pas des enfants aujourd’hui !” 🙂 

Toutes ces blagues juives renvoient à une époque où se rencontrer et parler de ses enfants était une pratique courante. 

Ce qui est intéressant, c’est que, déjà au 19è siècle, Tocqueville écrivait que l’association libre était le remède, en démocratie, contre l’individualisme. Tocqueville était fasciné par cet “art de l’association” des Américains : 

“Les Américains de tous les âges, de toutes les conditions, s’unissent sans cesse; (…) les Américains s’associent pour donner des fêtes, fonder des séminaires, bâtir des auberges, élever des églises, répandre des livres, (…). Partout où à la tête d’une entreprise nouvelle, vous voyez en France le gouvernement, et en Angleterre un grand Seigneur, comptez que vous apercevrez aux États-Unis une association.”

On ne prend pas toujours conscience de l’importance de ce qu’on appelle le “tissu social” en démocratie (qui n’est pas l’ensemble des services publics et institutionnels), mais vraiment cette société civile, cet espace public informel, toutes ces associations, ces comités, ces petites initiatives locales. 

Mais cette étude montre l’importance de cela sur une problématique comme le burnout. 

Et tout comme Tocqueville expliquait que si l’État essayait de supplanter toutes ces associations, ça ne créerait que plus d’individualisme, je pense que des services publics d’aide aux parents ne pourraient pas faire mieux que le tissu social presque “organique”, au niveau local, où chacun et chacune peut échanger de manière tout à fait informelle sur son expérience de parents et trouver de l’aide, ainsi qu’une forme de solidarité. Ce qu’on ne peut d’ailleurs pas trouver, je pense, sur internet ou les réseaux sociaux. 

La récolte des données de l’enquête sur le burnout date d’avant le Covid (2018-2019). On peut supposer que les confinements successifs n’ont fait qu’augmenter l’isolement et la coupure avec les tiers-lieux. 

Je suis convaincu qu’il faudra, dans les années à venir, soigner notre “tissu social”, exactement comme on doit soigner notre écosystème naturel. C’est un enjeu de société fondamental ! 

Je pense que l’ “ancrage” dans les lieux de socialisation locaux est un élément fondamental de notre expérience d’être humain. 

Au plaisir d’en discuter avec toute personne intéressée !

Référence de l’étude : IIPB Consortium. (in press). Parental burnout around the globe: A 42-country study. Affective Science.

A lire ici : https://dccc0c5a-d7c8-4aa8-9417-4e42e14abb45.filesusr.com/ugd/5660ec_024bc14b74b941028364465fbf6f8012.pdf

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