Brève réflexion sur le Glyphosate

En plus de révéler que les décideurs européens suivent davantage l’avis des lobbies phytosanitaires que celui des citoyens, le débat actuel sur le Glyphosate montre que ces décideurs (et les pseudo-organismes scientifiques comme l'”European Food Safety Authority” et l'”European Chemicals Agency” ne comprennent même pas les principes de base du raisonnement scientifique.

Laissez-moi résumer ça simplement :

On ne peut pas prendre l’absence de preuve pour la preuve de l’absence.

C’est la base de la connaissance : L’induction (généraliser à partir des faits singuliers) n’amène aucune certitude. Et lorsqu’on parle de santé, mieux vaut avoir des certitudes.

Prenons un exemple simple : mettons 999 boules noires dans un sac, et 1 boule blanche. Je tire, une à une, 500 boules. Elle sont toutes noires. Si à partir de mes observations, j’en induis que toutes les boules du sac sont noires, je me trompe !

Probablement que chaque nouveau tirage d’une boule noire renforcera ma certitude : “toutes les boules sont noires”… jusqu’à ce que la boule blanche apparaisse, venant définitivement me donner tort !

Lorsque l’European Food Safety Authority affirme que le “poids des preuves indique que le glyphosate n’est pas un perturbateur endocrinien”, cet organisme tombe dans cette erreur naïve.

En prévention des cancers, on parle de “NED” (No Evidence of Disease) lorsqu’on ne trouve plus de tumeurs chez un patient anciennement atteint de cancer. Mais tout médecin dira qu’on ne peut pas, pour autant, parler d’Evidence of No Disease, c’est à dire que l’absence de preuve d’une tumeur n’est pas la preuve d’absence de tumeurs.

DONC : On pourrait faire faire 10.000 tests sur le Glyphosate, ça ne prouvera pas que sur l’ensemble des individus, sur un temps long, ça n’aura pas de conséquences dramatiques en terme de santé.

L’absence de preuve n’est jamais une preuve d’absence. Dit autrement, l’absence de quelque chose ne prouve jamais rien. Si je vois une homme tuer quelqu’un, je peux dire que c’est un meurtrier. Si je ne vois pas cet homme tuer quelqu’un, ce n’est peut-être pas un meurtrier, ou peut-être que si… Je n’en sais rien !

Cette erreur a fait l’objet d’innombrables analyses depuis… plus ou moins 2000 ans ! 

  • Sextus Empiricus, au 2ème siècle, dans les “Hypotyposes” (Livre II)
  • Au 18ème siècle, David Hume dans son “Traité de la nature humaine” (1739)
  • Au début du 20ème siècle :
    • Bertrand Russell, dans ses “Problems of Philosophy” (1912)
    • Karl Popper, dans “Les deux problèmes fondamentaux de la théorie de la connaissance” (1979)

Alors, qu’on tombe dans cette erreur naïve d’induction dans des recherches sur des sujets peu importants (disons dans les études de marché, les prévisions électorales ou des études d’audimat), ce n’est pas si grave, mais qu’on le fasse sur la question des perturbateurs endocriniens ou de substances potentiellement cancérigènes, ça c’est très très grave !! 

Ce qui devrait prévaloir, à tous les coups, c’est une prudence extrême !! … le principe de précaution, en fait. Si un jour, on découvre des cas de maladies dues au Glyphosate (ce qu’il semble qu’on est déjà en train de découvrir), le poids des évidences des études pro-Glyphosates tombera d’un seul coup… mais il sera trop tard !

Allez, un dernier témoignage pour finir :

“De toute mon expérience, je n’ai jamais été (pris) dans un accident (de bateau) (…) Je n’ai jamais fait de naufrage, ni n’ai été dans une situation qui aurait menacé de finir en désastre d’aucune sorte” (Capitaine du Titanic, 5 ans avant le naufrage le plus célèbre de l’Histoire)* 😉

* Témoignage repris à Nassim Nicholas Taleb, “The Black Swan”, p.42.