A toutes celles et ceux qui sont intéressés par l’écriture inclusive

J’écris ce texte dans un contexte de débat sur le fait qu’il faille dire “Madame LE premier ministre” ou “Madame LA première ministre” (avec la nomination, en Belgique, de Sophie Wilmès à ce poste). Ca me donne l’occasion de partager la manière dont j’essaie de m’en sortir avec l’écriture inclusive.

Pour mettre d’abord cette question de premier ministre de côté, mon “Grevisse” de 1980 dit que “l’évolution de la vie sociale [a créé] des formes féminines nouvelles”, comme “la ministre”, “la sénatrice”, “la préfète”, “l’avocate”, etc. (n°422). Un nota bene de cette même page dit que c’est l’usage qui laisse prévaloir le masculin (“Madame LE ministre”), mais que c’est embarrassant pour les accords qui suivent (“Madame le ministre est heureuse d’inaugurer…”). En ce qui me concerne, “Madame LA première ministre”, me va très bien pour des raisons de facilité, comme je vais l’expliquer dans la suite.

Petite précaution d’usage : je ne suis pas linguiste, je ne défends pas une vision spécifique de la langue française. Je ne suis pas non plus dans un quelconque combat idéologique. Ce qui suit est juste la manière de faire de quelqu’un dont une partie importante des activités constitue à écrire, et qui essaye de n’exclure personne dans ce qu’il écrit…

Et je le fais, je crois, à 99%, que ce soit dans mes publications, dans mes mails, dans mes tweets et même dans mes textos…

Commençons :

1. Je pense qu’il y a une confusion entre les questions relatives à la syntaxe, c’est-à-dire le “genre grammatical”, et les conséquences au niveau sémantique lorsqu’on parle d’êtres sexués (ce que Grevisse appelle le “genre naturel”).

Je m’explique :

Personne, je pense, n’écrira “les chaises et les bancs ont été rangé.e.s”. “Chaise” est féminin et “banc” est masculin. Je ne sais pas pourquoi ces deux mots ont ce genre-là, c’est probablement dans leur étymologie ou dans leur forme qu’il faut aller chercher la raison… Quoi qu’il en soit, bien que “chaise” soit féminin, et “banc” masculin, “chaise” ne renvoie pas plus aux femmes que “banc” aux hommes.

Si en parlant des chaises et des bancs, je dis “tout a été rangé”, voire même “tous ont été rangés”, je rends invisible dans ma phrase le fait que je parle d’objets féminins et d’objets masculins, puisque tout est au masculin. Mais, ça ne pose pas vraiment de problèmes puisque le fait qu’ils soient féminins ou masculins relève en partie de l’arbitraire, de la langue à laquelle le français a emprunté ce mot, de sa forme, de sa sonorité, etc.

2. Le problème arrive lorsque les règles d’accord (de syntaxe) rendent invisibles une partie de la population (conséquence sémantique), en l’occurence les femmes. Si je parle d’une classe de 23 femmes et 1 homme qui ont passé leur diplôme cette année, selon la règle classique, je devrais écrire “tous ceux qui ont été diplômés cette année…”. En lisant la phrase, on peut penser qu’il n’y a que des hommes OU qu’il y a des hommes et des femmes, et que le masculin l’a emporté, comme le veut la règle classique. Mais on n’en sait rien.

Si je m’adresse à une population en disant : “L’assemblée est ouverte à tous les citoyens qui désirent participer à la prise de décision”, à nouveau, ma phrase pourrait sembler exclure toute la population féminine.

En fait, je devrais écrire exactement la même phrase, que j’applique simplement la règle du “masculin l’emporte” ou que je désire consciemment faire une phrase “male-only”.

Exemples:

  • “Nous serons réunis pour décider, avec tous les habitants et toutes les habitantes du village.”
  •  “Nous serons réunis pour décider, sans les meufs pour nous emm****.”

3. Donc, d’un point de vue sémantique, l’écriture inclusive a, je pense, tout à fait son sens. Ca permet de ne pas exclure, de ne pas “invisibiliser”, la part féminine de la population dont on parle, et en tout cas de bien distinguer si on parle d’hommes uniquement, de femmes uniquement, ou d’hommes et de femmes ensemble.

Mais d’un point de vue pratique, l’écriture inclusive qui se matérialise surtout par des éléments de ponctuation : rajout du “e” muet entre parenthèses [(e)], parfois avec redoublement de la consomme finale [paysan(ne)], ou d’une terminaison différente [inspecteur(trice)], ou utilisation du point “.” [ami.e], [instituteur.trice], ou du point médian “·” [citoyen·ne], [agriculteur·trice], me semble créer quelques difficultés.

Par exemple, lorsque le mot en question est au pluriel. Comme celui-ci se place en fin de mot, le partie inclusive se trouve généralement entre la partie masculine et la terminaison indiquant le pluriel : “citoyen·ne·s”, “tou·te·s”, etc.

Ces éléments (parenthèses, points, points médians, etc.) rendent difficile une lecture à voix haute. Comment “dire” “citoyen·ne·s” ? On peut le lire, mais comment le dire ? Et c’est quelque chose d’important pour moi, parce que je trouve qu’un bon texte est un texte qui peut se lire à voix haute. Disons que si un texte peut se lire aisément à voix haute, c’est un texte qui se lit avec fluidité. Je relis toujours mes textes à voix haute, et ça m’amène souvent à faire beaucoup de petites modifications qui rendent le texte, je trouve, plus agréable à lire.

De plus, ces éléments ralentissent considérablement l’écriture. Écrire “tou·te·s” revient à taper : t-o-u-(MAJ+alt+F)-t-e-(MAJ+alt+F)-s. J’ai remarqué que j’écrivais plus rapidement “toutes et tous”.

Selon les outils informatiques, d’autres petits problèmes techniques apparaissent :

  • Sur Twitter, le point “.” entre deux parties du mots crée une fausse url.
  • Dans Word, le “e” entre parenthèses [(e)] est un raccourci pour le signe “€”. Du coup, il faut revenir en arrière pour annuler la transformation automatique du (e) en €…
  • Également dans Word, les mots avec point médian sont détectés comme des fautes, et soulignés. L’oeil a tendance à sauter le mot puisqu’il paraît normal qu’il soit souligné, vu qu’il y a un point médian, et on ne le lit plus. Rien n’empêche qu’il y avait de “vraies” fautes dedans…
  • Sur Instagram, impossible de mettre un hashtag contenant un élément de ponctuation.

… Bon, ça peut paraître être de petits soucis par rapport aux demandes d’une écriture moins discriminante. Mais peut-être est-il possible d’écrire un texte “inclusif” tout en évitant ces problèmes ?

4. J’ai donc pris l’habitude d’écrire les deux genres en toutes lettres. C’est ce qu’on appelle la “double flexion”, ou “doublet”. Si je reprends mes exemples précédents, ça donnera donc :

  • “Toutes celles et ceux qui ont été diplômés…”
  • “À tous les citoyens et citoyennes…”

Les noms et pronoms masculins et féminins sont donc écrits tels quels. Le choix de l’ordre (d’abord masculin ou d’abord féminin) se fait sur la facilité de lecture (c’est en partie arbitraire) : “celles et ceux” me semble plus facile à dire que “ceux et celles”, grâce à la liaison : “cell’z-é ceux”, idem pour “toutes et tous”. Parfois c’est l’inverse. Parfois ça ne change rien.

Remarque : c’est quelque chose qu’on fait assez naturellement pour les couples, par exemple. Pensez aux couples dans votre entourage. Probablement que vous citez toujours les deux prénoms dans le même ordre. Souvent, c’est parce que phonétiquement, c’est plus fluide, et une liaison peut se faire entre le premier prénom et le “et” : “Caroline – n – et Christian“, plutôt que “Christian et Caroline”.

J’accorde le déterminant par la règle de “proximité” ou de “voisinage” : “toutes celles et ceux”, “à tous les citoyens et citoyennes”. Le déterminant est accordé avec le genre du premier nom que je cite, quand je cite le nom masculin et le nom féminin.

J’accorde les attributs, les adjectifs et les participes passés, selon la règle syntaxique classique, c’est-à-dire au masculin pluriel.

Ca reste du “masculin l’emporte” sur ce dernier point, mais comme pure règle de syntaxe, puisque la phrase en elle-même mentionne bien des hommes et des femmes.

C’est le compromis que j’ai trouvé pour écrire, vite, un texte qui se lit aisément, et qui n’exclut et n’invisibilise personne. De plus, c’est une manière de publier un texte inclusif au niveau sémantique, même dans des médias qui ne pratiquent pas l’écriture inclusive spécifiquement.

Le seul “hic” reste que ça augmente le nombre de caractères, et ça peut être problématique si on est limité à ce niveau-là, ce qui arrive très souvent lorsqu’on publie dans des revues, magazines ou journaux papiers, ou sur Twitter par exemple (280 caractères). C’est quelque chose que je connais bien. Chaque mois, quand j’écris dans Néo Santé, je suis limité à 6000 caractères espaces compris.

Mais je préfère me casser la tête pour trouver des formulations de phrases, des synonymes, etc., qui me permettent de réduire le nombre de caractères ailleurs, tout en maintenant la mention des noms masculins et féminins, sans éléments de ponctuation : “… clients et clientes…”, “chers amis et chères amies, …”, “… un ou une athlète…”, etc…

5. J’utilise également les épicènes, c’est-à-dire les termes qu’on utilise aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Exemple : “les membres”, “les élèves”, “les enfants”, “les architectes”, “les fonctionnaires”, “les collègues”, etc. Mais cela ne résout pas nécessairement les problèmes pré-cités, parce qu’il faudra souvent accorder des adjectifs, des participes passés, des attributs, avec ces mots épicènes. 

Si j’écris “les élèves sont rentrés en classe”, est-ce que je parle d’une classe de garçons uniquement ou d’une classe de garçons et de filles, avec la règle du masculin qui l’emporte ? A nouveau, cette manière de faire ne me permet pas d’avoir la précision que je désire dans mon écriture.

6. C’est là qu’intervient un dernier outil, très utile en français : les PRONOMS ! Ceux-ci ont comme fonction de remplacer des mots ou des groupes de mots, entre autres pour ne pas les répéter.

Très souvent, je les utilise pour recréer de l’inclusion, en utilisant la double flexion. Si j’ai parlé “des enfants” dans une phrase, je peux reprendre plus loin dans la phrase, ou dans la phrase suivante, par un “toutes et tous sont rentrés en classe” : double flexion (“toutes et tous”) suivie d’un accord de proximité (“rentrés” suivant “tous” est au masculin pluriel). 

. . .

Cette manière d’écrire correspond à l’état actuel de ma réflexion sur le sujet, en étant confronté à cette question, chaque jour quand j’écris. Je ne dis pas que c’est LA solution, ni que je n’évoluerai pas au fur et à mesure dans ma pratique.

Surtout, je serais heureux d’avoir l’avis des experts et expertes en la matière (Oh !! You see ??)  … Comme par exemple Laélia Véron dont j’adore lire les apports sur le sujet.

Et bien sûr, je serais heureux d’avoir l’avis des premières concernées, c’est-à-dire les femmes : est-ce que “toutes celles et ceux qui sont arrivés en retard….” pose problème, par le fait que le participe passé soit accordé par défaut au masculin, la phrase en elle-même n’excluant nullement les femmes ?

Je suis en tout cas hyper partant d’en discuter avec toute personne intéressée…

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