Quelle est la bonne taille pour une ville ?

Petite synthèse sur les villes à taille humaine (et durables)

Si vous me suivez depuis un petit temps, vous savez que la question de l’échelle est primordiale pour moi, en particulier le fait de garder des échelles “humaines” dans le développement de nos sociétés. Ca rejoint aussi la question de la structuration du territoire.

Ces questions, Léon Krier, architecte et urbaniste luxembourgeois, né en 1946, y a admirablement répondu dans un texte que l’on peut trouver ici en ligne

Je vous en fait un résumé en français :

1) L’unité territoriale de base, c’est le quartier (“urban quarter”). La ville (“city”) doit être pensée comme une fédération de quartiers autonomes. Grande ou petite ville, ça dépend uniquement du nombre de quartiers fédérés.

2) Chaque quartier doit avoir son propre centre, sa périphérie et ses limites. En fait, chaque quartier est comme une “petite ville” dans la ville. L’article de Léon Krier a pour titre The City Within the City.

3) Un quartier doit intégrer toutes les fonctions quotidiennes de la vie urbaine : logement, travail, loisir… dans un territoire dont les dimensions se basent sur le confort d’une personne qui se déplace à pied (c’est-à-dire pas plus de 35 hectares et 15.000 habitants).

4) Garder un territoire à “échelle humaine”, c’est donc un territoire dans lequel un être humain qui marche peut tout trouver au quotidien. Les voitures nous ont fait oublier tout sens des limites physiques.

5) Une ville est construite sur les quartiers, et entre les quartiers, on trouve des avenues et des places. Sur ces avenues et places qui marquent les limites des quartiers, on doit trouver les fonctions qui sortent du quotidien (fonctions administratives propres à la ville, lieux de fêtes, etc.).

6) La solution n’est pas plus de transports en commun, mais plutôt la diminution des navettes, en ré-intégrant des fonctions urbaines, comme le logement et le travail dans le même territoire urbain. Les moyens de transport mécaniques, publics ou privés, seront réduits et relèveront alors davantage du loisir.

7) Chaque quartier doit avoir son propre statut politique, afin de favoriser la participation locale.

8) Quand Florence était la capitale culturelle et financière de la Renaissance, la ville ne contenait que 70.000 habitants et on pouvait la traverser, à pied, en 20  minutes. Au 15ème siècle, les villes européennes les plus peuplées (Paris, Milan et Venise) ne contenaient pas plus de 100.000 habitants, et Leonard de Vinci proposait déjà de diviser sa ville, Venise, en 5 quartiers autonomes (“rioni” en italien, dérivé du latin “regio”, région). (Encore aujourd’hui à Rome : https://fr.wikipedia.org/wiki/Rioni_de_Rome)

9) Quand une ville compte plus de 50.000 habitants, elle n’est plus capable de vivre par elle-même sur ses ressources propres. Par conséquent, au-delà d’une certaine taille, la majorité des citoyens et citoyennes sont employés dans le secteur de la distribution, de l’administration et des services. (Je rajoute : ça rejoint l’importance de l’autarcie alimentaire chère à Aristote, à propos des cités antiques).

10) On ne peut pas fixer quelle est “la” bonne taille d’une ville (ce qu’ont essayé de faire les Nazis par exemple), mais on peut définir ce qui est trop petit ou trop grand. Comme pour un arbre ou même un humain, une communauté ne doit pas excéder une certaine dimension sans devenir un “monstre”.

11) C’est exactement ce qu’expliquait Aristote dans Les Politiques (je vous fais un résumé de ce livre bientôt !) : “En ce qui concerne la taille d’une ville, il y a une limite, comme pour tout, pour les plantes, les animaux, les instruments“. Comme le dit très bien Léon Krier, Aristote a fait de cet équilibre, de ce juste milieu, le fondement de sa philosophie, de sa politique et de son éthique.

12) Pour Pythagore, le “Mal” appartient au domaine de ce qui est “sans limite”, alors que le “Bien” appartient à celui qui est “limité”.

13) Comme tout organisme naturel, la ville doit donc être un objet “fini”, en surface et en volume, sur plan et en silhouette, en nombre d’habitants, en nombre d’activités qu’elle peut accueillir, etc.

14) Tout comme une ville est une fédération de quartiers, une “métropole” est une fédération de villes. La métropole fournit des fonctions d’importance nationale ou internationale qui dépassent les frontières d’une ville. (Je rajoute : ça rejoint le principe de subsidiarité).

15) Le caractère spécifique des rues, de l’habitat, etc., dépend des traditions locales. Les dimensions et proportions devraient s’inspirer des magnifiques villes pré-industrielles, souvent liées à des cultures millénaires (Je rajoute : Effet Lindy).

16) L’hypertrophie est caractéristique de la décomposition de la plupart des villes européennes de l’ère industrielle. En particulier la création de zones “mono-fonctionnelles” (donc qui n’ont qu’une fonction) a favorisé la concentration des activités administratives et commerciales dans les centres, alors que les périphéries restent purement résidentielles.

17) La structuration du territoire en zones monofonctionnelles peut être identifiée comme l’instrument le plus radical de la destruction des villes européennes.

Source : Architectural Design, volume 54 (1984), Jul/Aug pages 70-105.

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