Répondre à l’exode urbain : un enjeu pour les communes rurales

Un des enjeux principaux auquel les communes rurales et les petites villes de province vont devoir faire face dans les années à venir est ce qu’on appelle l’”exode urbain” : le déplacement d’une partie de la population urbaine vers les campagnes. Mouvement inverse de l’ “exode rural”, caractéristique de la Révolution industrielle.

En matière de logement, le phénomène n’est pas neuf. On trouve effectivement des articles sur la question dès le début des années ’80 : on parlait parfois aussi d’ “exurbanisation”, pour désigner ce mouvement d’installation de jeunes urbains à la campagne (1). 

Mais ce qu’on voit apparaître ces dernières années, et qui risque de s’accélérer avec la crise sanitaire actuelle, c’est une “exurbanisation” de l’activité économique : la petite ville de province ou la commune rurale ne seront plus simplement le lieu où on dort (sur le modèle des cités-dortoirs), mais aussi le lieu où on développe son activité professionnelle, où on scolarise ses enfants, où on profite des loisirs, etc. 

… Et cela va amener, je pense, des changements au niveau local. Changements qui devront être au coeur des politiques communales. 

Il s’agira d’une part de refaire ce que des décennies d’exode rural avaient défait, et d’autre part de répondre à de nouveaux enjeux. 

Ce qu’il faudra “recréer” : 

Des écoles : toutes les petites villes de provinces et les villages possèdent des bâtiments d’anciennes écoles (primaires et secondaires), soit transformés en logements, bureaux, commerces, soit en décrépitude. Dans toutes ces petites localités, les plus vieux et plus vieilles disent encore “l’ancienne école”, pour parler de tel ou tel bâtiment. Et on trouve encore de nombreuses “rues des écoles”, vestiges d’une époque où on scolarisait ses enfants là où on vivait. Aujourd’hui, de nouvelles écoles cherchent des bâtiments pour s’implanter. 

Des espaces commerciaux, de l’horeca, en centre-ville : une population active qui développe son activité économique au niveau local, des populations d’élèves du Secondaire, etc., ça implique des petits commerces, pour manger, pour boire un verre, et pour les besoins du quotidien. Si on ne se déplace plus en voiture tous les jours via les grands axes routiers inter-urbains (autoroutes, nationales, etc.), on a moins l’opportunité de s’arrêter dans les grands zonings commerciaux en bordure des grands axes routiers, à l’extérieur des villes. 

Une mobilité interne au territoire : l’exode rural a amené à penser majoritairement la mobilité du point de vue inter-urbain – comment se rendre facilement à la grande ville tous les matins ? C’est-à-dire concrètement : comment rejoindre l’autoroute ou la nationale la plus proche ? Comment rejoindre la gare ? Il va falloir repenser une mobilité à l’intérieur du territoire : comment se déplacer facilement – et en toute sécurité – au sein du village ou au sein de la petite ville ? Cette mobilité implique des moyens de transport différents (mobilité douce) et des populations différentes : enfants, personne âgées, etc. Pour caricaturer un peu, celles et ceux qui seront “mobiles” à 8h du matin en semaine, ce ne seront plus uniquement les adultes actifs conduisant leurs enfants en voiture, dans la grande école de la grosse ville voisine, avant de se rendre au travail dans le gros pôle économique des environs…

Une agriculture qui nourrit les populations locales : il serait utopique de prétendre faire correspondre parfaitement la production et la consommation alimentaires locales, sur le modèle de l’autosuffisance alimentaire complète. Les populations voudront toujours manger des choses qui ne peuvent pas être produites – ou pas en quantité suffisante – sur le territoire, et les producteurs auront toujours un certain intérêt à produire des choses pour l’exportation également. Mais on peut se dire que le modèle actuel d’une agriculture qui produit uniquement pour l’exportation et la transformation (des pommes de terre pour des frites surgelées de marque étrangère) et une population locale qui se nourrit d’aliments produits et transformés à l’étranger ne répond plus aux nouvelles réalités de l’exode vers les campagnes. Associer à nouveau production locale et consommation locale est un enjeu important. D’autant plus que l’exode urbain touche également l’agriculture. Après les décennies d’exode rural qui ont vu le nombre exploitations agricoles chuter, on voit les prémisses d’un retour vers le travail de la terre, souvent du fait d’enfants de famille d’agriculteurs qui veulent poursuivre dans l’agriculture, mais sur un modèle différent du modèle industriel. 

Un espace public partagé et inter-générationnel : en journée se côtoieront potentiellement, dans l’espace public de la commune rurale ou de la petite ville, enfants scolarisés, adultes actifs et inactifs, personnes âgées, etc. Cette cohabitation doit probablement être repensée, afin que l’espace soit réellement “public”. 

Des espaces culturels : un peu comme les bâtiments des anciennes écoles, beaucoup de villages et de petites villes gardent le souvenir que tel ou tel bâtiment est l’ “ancien cinéma”, l’ “ancien théâtre”, l’ “ancienne bibliothèque”, etc., vestiges d’une époque où il y avait des lieux culturels sur le territoire local. Il faudra recréer de tels espaces. 

Du folklore : je pense qu’on a besoin de folklore, de moments de célébration de la vie ensemble, de célébration d’une histoire partagée, d’un destin commun. Ces fêtes de village ou de quartier, ces ducasses et kermesses, qui peuvent être réinventées, ont toute leur utilité sociale. Et il ne faut pas que ce folklore soit vieux de 200 ans pour célébrer le vivre ensemble…

Remarque : je ne veux pas dire que les autorités locales doivent créer des écoles, des espaces commerciaux et des espaces culturels; ça peut tout à fait être laissé à l’initiative privée (y compris citoyenne). Je veux dire que les autorités doivent répondre à cette demande de développement d’activités (scolaires, économiques, culturelles, etc.) au niveau local. Comprenez : ne pas mettre des bâtons dans les roues de ce développement local. 

Ce qu’il faudra “inventer” : 

Des petites pôles d’emplois décentralisés, qui peuvent être connectés d’une ville ou d’un village à l’autre : des petits espaces de co-working, des bureaux partagés, des tiers-lieux, où on mutualise une partie des équipements. Recréer de l’emploi au niveau local, ça ne veut effectivement pas dire de recréer les emplois d’hier (forgeron, tailleur, etc. – bien que aussi, pourquoi pas ?), mais plutôt de permettre aux emplois d’aujourd’hui de se développer aussi au niveau local. 

Une réelle politique “jeunesse” : l’exode urbain, l’accueil de nouvelles familles et la réouverture d’écoles sur le territoire vont nécessiter, pour les petites villes, d’avoir une réelle politique de jeunesse. Ca implique des lieux spécifiques, de l’encadrement (Maison de jeunes, etc.), des activités, et la prise en compte de leurs avis. 

La diversité sociale au niveau local : il va falloir penser à la fois la cohabitation des anciens et des nouveaux ruraux, et la cohabitation des différentes catégories sociales. Dans les campagnes et petites villes de province, l’espace s’est plutôt segmenté, entre des hameaux restés très ruraux, des cités-dortoirs à proximité des grands axes, avec une population souvent favorisée, composée de travailleurs et travailleuses des grandes villes, et des cités souvent appelées “sociales”, avec une population, moins favorisée, vivant parfois sa situation géographique dans le territoire comme une forme d’exclusion ou de relégation. Il faudra penser une cohabitation plus grande des différentes populations dans un tissu économique et social plus varié. 

Des moyens de participation politique : lorsque la commune n’est plus uniquement le lieu où l’on dort (sur le modèle des cités-dortoirs), mais également le lieu où l’on travaille, où l’on investit, où l’on scolarise ses enfants, où l’on profite des loisirs, etc., tout laisse penser qu’on va vouloir s’investir davantage. Cela a donc tout à fait du sens de renforcer les compétences du pouvoir local, tout en facilitant les moyens de s’y investir en tant que citoyen et citoyenne. 

Voilà donc quelques enjeux auxquels vont devoir faire face les petites villes de province et les communes rurales, et cela à très court terme. 

Celles qui prendront ces enjeux à bras le corps vont certainement à la fois augmenter leur attractivité, faire preuve de davantage de résilience, et s’épargner bien des problèmes dans les décennies à venir. 

(Ce texte fait suite à plusieurs missions de conseil, ces dernières années, avec ce type de communes rurales et de petites villes de province).

(1) Guérin, J.-P. 1983. « L’exode urbain : nouvelles valeurs, nouvelles élites », Revue de Géographie Alpine, 71-3, pp. 267-277.

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