“Garden for Victory” : lorsque le jardinage faisait partie de l’effort de guerre

L’histoire montre que les nations disposant d’un approvisionnement alimentaire important sont celles qui remportent des victoires (…). Nous devons faire tout notre possible pour nous assurer que chacun de nos combattants ait toute la nourriture dont il a besoin. La nourriture est tout aussi nécessaire que les armes, les chars et les avions.

Ces mots sont du Juge Marvin Jones, membre de la Chambre des Représentants, aux Etats-Unis, et War Food Administrator, de 1943 à 1945. En ces années-là, le gouvernement avait effectivement lancé la campagne “Jardin de la victoire”, ou “Victory Garden” en anglais.

Jardiner, c’était participer à l’effort de guerre. Une partie des produits alimentaires étaient en effet réquisitionnés par le gouvernement, pour nourrir les troupes au combat. Cette réquisition, additionnée à la pénurie de main d’oeuvre dans la production et le transport des marchandises, due à la guerre, créait des pénuries alimentaires dans les magasins. Les familles étaient donc encouragées à produire leurs propres fruits et légumes pour réserver les conserves aux troupes.

Et 20 millions d’Américains ont répondu à l’appel “Garden for Victory”, via les jardins privés, les jardins scolaires, et les jardins communautaires. Les citoyens pouvaient même demander aux autorités que des terrains inoccupés leur soient cédés pour y créer un jardin de quartier. Tout le monde participait à l’effort de guerre : les agences gouvernementales, les fondations privées, les entreprises, les écoles, les compagnies de semences, etc.

Les volontaires étaient encadrés par des membres de l’Office of Civilian Defense. Les différents jardins bénéficiaient ainsi d’une certaine forme de coordination. Les bureaux locaux de cette agence nommaient des jardiniers plus expérimentés à la tête des comités locaux des “Jardins de la Victoire”. Bref, l’organisation était presque militaire, ce qui était plutôt normal en temps de guerre.

Eleanor Roosevelt avait même créé, en 1943, un jardin dans les pelouses de la Maison blanche.

Selon une estimation du Ministère américain de l’Agriculture, quelque 18 millions de “jardins de la victoire” ont été plantés ! Avec une production de 9 à 10 millions de tonnes de fruits et légumes, c’est-à-dire une production identique à ce que produisait l’industrie à la même époque. C’est dire à quel point cette participation à l’effort de guerre était loin d’être anecdotique !

Pourtant, on estime que seulement 20 % des jardiniers y participaient pour des raisons purement patriotiques. Plus de 50 % se sont mis à cultiver leurs propres légumes pour des raisons avant tout économiques. (Source : Bentley, A. 1998. Eating for Victory : Food Rationing and the Politics of Domesticity. Urbana : University of Illinois Press).

La communication gouvernementale n’en appelait d’ailleurs pas qu’au patriotisme. Une brochure de 1945 (lorsqu’on sentait que la guerre se terminait) mettait également l’accent sur :

  • L’auto-suffisance et la sécurité alimentaire : “Si vous produisez vos propres fruits et légumes, vous ne devez pas vous inquiéter des mauvaises récoltes à l’autre bout du pays“.
  • Les économies que les familles pouvaient faire.
  • L’amélioration de la santé : “Il n’y a pas mieux que l’exercice et de meilleurs repas pour améliorer sa santé, ce qui est doublement important en temps de guerre. Les légumes directement récoltés dans le jardin ont plus de valeur nutritive“.
  • Le meilleur goût des aliments cultivés soi-même.
  • Le fait que jardiner soit “fun”.
  • Le fait que jardiner renforce les liens de voisinage, de communauté, la coopération, etc. Des appels explicites étaient d’ailleurs adressés aux jardiniers plus expérimentés, pour qu’ils forment les novices.

Et les voisins étaient invités, entre autres par la coordination des comités, à mutualiser leurs ressources, à planter des variétés différentes, et même à former des coopératives.

De plus, la question du moral était importante : en ces temps où de très nombreuses familles étaient angoissées pour un père ou un fils partis combattre en Europe, le jardinage était présenté comme une manière d’évacuer le stress et de se remonter le moral : “L’embellissement des maisons et des communautés par le jardinage fournit un exercice physique sain, de la détente, et permet de relâcher un peu le stress de la guerre.” (Source : brochure présentant le programme « Victory Garden »).

Selon cette idée qu’une nation n’est jamais plus forte que ne l’est son approvisionnement alimentaire, les familles étaient donc invitées non seulement à produire leurs propres fruits et légumes, mais également à les conserver. Le commerce des casseroles à pression (utilisées pour créer des conserves) est d’ailleurs passé de 66.000 ventes en 1942, à 315.000 ventes en 1943 (Source : https://livinghistoryfarm.org/).

A la fin de la Seconde guerre mondiale, beaucoup ont cessé leur “victory garden”. Mais les très nombreuses publications de l’époque sont encore accessibles, en particulier les brochures et autres campagnes de sensibilisation. Ce sont les images qui illustrent ci-dessous la publication. La plupart de celles-ci proviennent des Etats-unis, mais certains proviennent d’Angleterre ou d’Australie.

> > > Pour aller plus loin : face aux enjeux climatiques et sanitaires actuels, ne serait-il pas temps de revenir à une réelle campagne publique de promotion des potagers ? Si on a pu produire 50 % des fruits et légumes dans de tels potagers en pleine guerre mondiale, pourquoi n’y arriverait-on pas aujourd’hui ? Comment faire en sorte que produire ses propres fruits et légumes (et créer des conserves, bocaux, etc.) ne soit plus perçu comme un passe-temps de « bobo », mais un réel devoir de citoyen et citoyenne ?

Vos réponses à ces questions m’intéressent ! Et n’hésitez pas à partager à toutes celles et ceux que ça pourrait intéresser également ! 😉

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