Être indépendant en Belgique, c’est souvent faire l’expérience de la pauvreté.

Cela fait exactement 1 an que j’ai créé la société “Innovons” pour toutes mes activités en communication et participation. Et je voulais jouer franc jeu en montrant ce que c’était exactement que d’avoir une entreprise en Belgique.

On entend plein de choses sur les taxations, la fiscalité des entreprises, les riches, les pauvres, l’Etat… mais ce ne sont que des beaux discours (idéologiques). Le plus souvent, c’est bullshit et langue de bois, et celles et ceux qui les tiennent ne sont pas entrepreneurs eux-mêmes.

Alors, voici l’aperçu d’une année d’entrepreneuriat en Belgique, quand on a une société et qu’on est seul dedans. Avec tout ce qu’Innovons a gagné en un an :

  • J’ai pu me payer, en salaire net, 13.800 € – oui, ça fait un salaire de +/- 1100 € net/mois !
  • L’Etat a, lui, “gagné” 18.396,01 €

… Même si on rajoute les avantages en nature (voiture de société et GSM = 3.068,67€), l’Etat a toujours gagné plus que moi.

Sans oublier les frais de comptable, qui ne servent au final qu’à se mettre en ordre… pour l’Etat.

Et pour être tout à fait précis, je suis toujours dans ma première année comptable, du coup, je n’ai pas encore payé mes impôts de société. Et ces chiffres ne représentent pas l’ensemble du chiffre d’affaires d’Innovons, parce que je n’ai pas repris ici les frais professionnels (comme toutes ces cartouches d’encre que j’ai vidées !) et qu’il reste de l’argent sur le compte de la société… en prévision des impôts à payer. Je voulais juste comparer ce que j’avais gagné en tant que travailleur (et qui me permet de nourrir ma famille) et ce qui était parti vers l’Etat.

En Belgique, c’est donc majoritairement l’Etat qui profite du fruit de votre travail, lorsque vous êtes indépendant.

Précision : je ne conteste pas le fait de payer des impôts, de contribuer à la société et de participer à une forme de partage des richesses… mais voyez l’aberration :

En créant une société, en travaillant… 80 heures/semaine… en proposant des services qui sont entre autres profitables pour l’Etat (j’ai parmi mes clients, des institutions et collectivités), l’Etat me taxe d’une manière qui me place dans les 10% des travailleurs les plus pauvres de Belgique (en 2017, seuls 10% des travailleurs belges gagnaient moins de 1.531€ net/mois), et sous le seuil de pauvreté !  Le salaire médian belge est de 1.873€ net/mois. Et comme le seuil de pauvreté est calculé à 60% de ce salaire médian, le salaire que me permet de me payer l’Etat me place donc… en-dessous du seuil de pauvreté (1.123,80€ net/mois).

  • En fait, si j’étais au chômage, avec 60% de mon dernier salaire d’employé (comme enseignant), je gagnerais plus !
  • Si j’avais droit à un revenu d’intégration (donc quand on n’a plus droit au chômage), en ayant une famille à charge… je gagnerais plus ! Clairement, heureusement que ma femme a un « vrai » salaire, et que je bénéficie aussi de droits d’auteur sur certains articles, pour qu’à l’échelle de la famille, on puisse vivre décemment.

En fait, l’Etat belge peut dire : “Tiens, celui-là, il bosse dur pour se créer son propre emploi et nourrir sa famille, on va lui prendre une telle somme que ça le mettra en-dessous du seuil de pauvreté et fera en sorte qu’il gagne moins que celles et ceux à qui on offre un salaire de substitution parce qu’ils n’ont pas d’emploi !“.

Ca, c’est la réalité, derrière les grands discours sur l’entrepreneuriat, l’aide aux entreprises, et tous ces bullshits politiques. En Belgique, bien qu’on ait un gouvernement qui se dise « libéral », rien n’est fait pour encourager l’entrepreneuriat.

Alors, si on n’est pas “encouragé”, on peut se “décourager”…. OU… réagir d’une manière qui est précisément ce qui me plaît dans l’entrepreneuriat et se dire :

GOOD ! (en mode Jocko Willink !)

Good“, parce que je pense avoir compris pourquoi les entrepreneurs à succès citent autant les Stoïciens (Sénèque, Marc Aurèle, etc.) : ce n’est pas parce que le stoïcisme leur a permis de devenir riche ; c’est plutôt parce que ça leur a permis de rester sereins et focalisés sur leur objectif, dans la période de pauvreté qu’on connaît souvent au début de l’entrepreneuriat.

“Il y a une manière noble d’être pauvre et qui ne la connaît pas ne saurait être riche” (Sénèque)

Un Marc Aurèle, par exemple, est cité par John Stuart Mill, l’un des pères du libéralisme (dans “De la liberté“, 1859), tout comme par Tim Ferriss, l’auteur à succès actuel, dans ce très bon article “Stoicism 101: A Practical Guide for Entrepreneurs“.

L’entrepreneuriat couplé au stoïcisme apprend à vivre simplement, à faire de nécessité vertu, à se satisfaire de l’essentiel. En soi, ça participe au processus de libération : savoir qu’on peut vivre de peu, se libérer de l’inutile, du superflu. J’ai l’impression d’avoir appris plein de choses :

Peur d’avoir faim ?

  • Apprenez à faire pousser vos légumes. La nature produit abondamment et facilement de quoi se nourrir. Il n’y a pas un jour où je suis dans mon potager, sans que je me dise “free food” !
  • Et le jeûne (intermittent) est une des meilleurs choses pour augmenter l’espérance de vie, améliorer la performance physique et booster les performances cognitives.

Stressé ?

Ca m’a amené à réfléchir sur le diaphragme et le rôle de la respiration dans la gestion du stress. C’est une des choses les plus intéressantes que j’ai découverte ces dernières années. Et travailler sur sa respiration ne coûte rien. (j’ai publié sur le sujet ici, ici et ici)

Des inflammations liées au stress ?

En lien avec la respiration, j’ai découvert l’intérêt du froid, et en particulier des douches froides pour diminuer les inflammations. Le froid a également un effet bénéfique sur le stress. (je vous invite à suivre la méthode de Wim Hoff ou les conseils de Power Speed Endurance)

Bref, “Good“, parce que ça permet de devenir “résilient”. L’entrepreneuriat, c’est développer des capacités – multiples – pour subvenir par soi-même à ses besoins. Plus c’est difficile, plus on doit développer des capacités. Plus il y a des entraves, plus on devient fort. C’est le même processus que pour le jeûne ou l’exposition au froid : ça renforce.

L’entrepreneuriat relève de l’antifragilité de Nassim Nicholas Taleb.

Good“, également parce que ces 13.800 €, c’est le prix de ma liberté. La liberté de bosser sur ce que je veux, quand je veux, avec qui je veux.

C’est la liberté de gérer mes horaires en fonction de mes enfants, de pouvoir aller les conduire et les chercher à l’école, de faire les devoirs avec eux, et d’être là si l’un d’eux est un peu malade et ne peut aller à l’école. Jamais je ne voudrais devoir demander à un patron ou à l’Etat le droit de m’occuper de mes enfants.

Tout cet argent qui part à l’Etat, je pense qu’il faut d’abord le considérer comme le prix à payer pour se libérer de l’Etat et du patronat. Bien sûr, il y a une partie qui constitue notre contribution à la société, pour l’ensemble des services et des infrastructures publiques dont nous profitons (ce qui est tout à fait légitime, même si on a en l’occurrence, en Belgique, un des systèmes d’enseignement les moins performants, les routes les plus dégradées, etc…), le reste, je le considère comme une forme de “peculium”. C’est-à-dire ce que les esclaves devaient payer pour racheter leur liberté.

Tous les jours, quand j’écris, je vois, tatouée sur mon bras, cette phrase de Malcolm X :

“Nobody can give you freedom (…) if you’re a man, you take it.”

J’ai toujours eu en tête cette idée que se sortir du salariat pour aller vers l’indépendance financière, c’était une forme d’émancipation, d’affranchissement.

“Chaque jour me rapprochait désormais de ma liberté, et il me tardait de reprendre la mer afin de pouvoir trouver une occasion d’obtenir une somme suffisamment grande pour l’acheter” (Olaudah Equiano : “Ma véridique histoire. Africain, esclave en Amérique, homme libre”, 2012, Paris : L’harmattan, p. 202).

La liberté s’achète individuellement et se conquiert collectivement (à moins de fuir dans une région où la liberté n’a ni à s’acheter, ni à se conquérir).

Les deux stratégies sont concomitantes et beaucoup d’esclaves qui s’étaient affranchis en achetant leur liberté (souvent grâce à des formes d’entrepreneuriat, petit commerce, artisanat, etc.) sont devenus des acteurs des luttes pour l’abolition de l’esclavage.

Peut-être que ça paraît exagéré comme analogie, mais j’assume le fait que c’est cette image qui me permet de rester motivé à entreprendre dans un pays qui ne favorise aucunement l’entrepreneuriat. Etre libre, c’est être son propre maître. C’est la base de toute dynamique d’Empowerment.

“Aussi signa-t-il l’affranchissement ce jour-là ; si bien qu’avant la nuit, moi qui avais été esclave dans la matinée, frémissant à la volonté d’un autre, j’étais devenu mon propre maître, et complètement libre”. (Olaudah Equiano, p. 210)

(Je précise que j’ai bien conscience que la “liberté” est une notion complexe et très subjective. Il est évident que des employés peuvent se sentir “libres” dans leur boulot. Je ne juge pas. C’est ma conception de la liberté que j’exprime ici, c’est-à-dire la condition dans laquelle, moi, je me sens libre).

L’Etat, qu’il soit prétendument libéral ou prétendument socialiste, reste un Etat. Son rôle est de contrôler l’activité sur son territoire. Les dirigeants n’ont aucun intérêt à ce que nous soyons libres financièrement. Et c’est probablement comme cela qu’il faut rentrer dans le jeu : l’Etat est un adversaire quand on entreprend. Il est là pour nous mettre des coups. Si on monte sur le ring, on ne s’attend pas à ce que l’adversaire nous aide à gagner. Il est là pour nous mettre des coups et nous faire perdre. That’s the game. Au foot, l’adversaire va essayer de mettre plus de goals que nous. That’s the game. Et quand on entreprend, l’Etat va essayer de nous désapproprier au maximum du fruit de notre travail. That’s the game.

Il faut assumer. Quand on entreprend, on dit à l’Etat “I don’t need you“, “je n’attends rien de toi, je crée mon propre moyen de subsistance”, “je suis auto-suffisant”. Tout se passe comme si l’Etat était là avant tout pour empêcher l’entrepreneuriat.

Si on le sait, si on s’y attend, c’est plus facile. Ca me rappelle encore cette phrase de Marc Aurèle :

“Dès l’aurore, dis-toi par avance : ‘Je rencontrerai un indiscret, un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un insociable’” (“Pensées pour moi-même”, Livre II, paragraphe 1).

Dès le début de la création de ton business, dis-toi que l’Etat sera là pour te mettre des bâtons dans les roues – and deal with it ! C’est mieux d’être prêt. Je suis persuadé que l’abandon est plus courant chez celles et ceux qui avaient cru – trompés par les beaux discours sur les “aides aux indépendants” –  que l’Etat allait les aider.

Il n’y a pas besoin de nouvelles “formations” pour futurs entrepreneurs, de primes, de subventions, d’accompagnements. Il y a besoin qu’on les laisse faire !

Et quand on discute avec des gens, dans la “vraie vie”, à une réunion de quartier, autour d’un terrain de foot, à un barbecue entre amis, à une fête d’école, on se rend compte qu’il y a énormément de petits indépendants qui connaissent cette “manière noble d’être pauvre” dont parlait Sénèque. Tellement noble que personne ne sait qu’ils gagnent très peu, souvent moins que le seuil de pauvreté. Ils sont artisans, élagueurs, consultants, traducteurs. Ils vivent modestement mais sont libres et finalement ne se plaignent pas.

Qui représente politiquement cette catégorie de la population, certainement beaucoup plus nombreuse qu’on ne le pense ?

  • On ne croit plus en une gauche qui peut volontairement maintenir une partie de la population sous le seuil de pauvreté, tout en s’en foutant plein les poches. Je gagne moins que les fonctionnaires, que les cheminots en grève, que les syndicalistes et que toutes celles et ceux qui demandent que l’Etat les payent davantage.
  • On ne croit plus en la droite, qui n’a rien de libérale en Belgique, qui joue les effarouchées lorsqu’elle remarque que de nombreux entrepreneurs et indépendants cessent leur activité durant les premières années… mais ne fait rien pour diminuer les taxations et impositions sur l’activité indépendante… tout en s’en foutant plein les poches.

Merci à l’Etat qui, en rendant le chemin vers la liberté économique aussi difficile, m’a donné la chance de développer des capacités. Je suis prêt pour une prochaine année. Je sais qu’il ne tient qu’à moi de facturer davantage, de prendre plus de contrats, d’engager quelqu’un, etc. Cette pauvreté n’est que passagère et c’était une étape obligée dans l’entrepreneuriat en Belgique. Il y a des personnes qui sont bien davantage dans la misère, non pas qu’elles gagnent moins, mais peut-être n’ont-elles pas (encore) les capacités de développer leurs propres moyens de subsistance. C’est ces personnes qu’il faut aider.

5 Replies to “Être indépendant en Belgique, c’est souvent faire l’expérience de la pauvreté.”

  1. Analyse, réflexion et message “GOOD” inspirant & bienveillant (notion à préciser : bienveillant veut dire pour moi, attitude exigeante et encourageante). Merci Yves, je le partagerai avec les autres intra ou entrepreneurs que je rencontre sur mon chemin ! Au plaisir de se recroiser ou collaborer 1 jour – Laurent.

  2. En tant que salarié intéressé par l’indépendance financière et professionnelle, cet article est top ! Réaliste, car tu y décris sans détour les difficultés d’être entrepreneur, mais également inspirant, car tu démontres qu’avec un certain état d’esprit il est possible de ne pas se sentir limité par son revenu.

    Je pense d’ailleurs que la peur de voir son quotidien dicté par des difficultés financières constituent un frein pour beaucoup de personnes qui pourrait vouloir entreprendre. En effet, à quoi bon échanger son asservissement à son employeur contre une autre forme de servilité, cette fois-ci envers un salaire vécu comme insuffisant ?

    Merci pour cette lecture et au plaisir d’échanger !

    Auguste

    • Merci à toi pour ton commentaire ! Tu décris très bien la chose : la question principale est celle de l’état d’esprit, et c’est ça qui permet de surmonter (ou du moins de gérer) le stress de la précarité lié à l’entrepreneuriat !
      En tout cas, je t’encourage à aller vers l’indépendance financière et professionnelle. C’est un chemin, et tout ce qu’on met en place est intéressant en soi. Il n’y a pas de démarcation entre “pas libre” et “libre”, c’est un processus qui permet, étape par étape, de gagner en liberté… Bonne route à toi ! 😉

  3. Merci un million de fois pour cette brillante et réaliste analyse… on est riches de ce que l’on considère comme précieux. Et de l’humilité naît la grandeur… Merci merci… Votre article est un tel réconfort dans mes moments de doute face à la question toute simple de la subsistance… J’y arriverai! Nous y arriverons.

    • Merci à vous pour ce retour très motivant !! Et je suis sûr que vous y arriverez !!
      Vous faites quoi ? Vous êtes dans quel secteur ? Ca m’intéresse !

Leave a Reply to Laurent Spilliaert Cancel reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*