Brève réflexion sur le fait de “recréer du lien” (social)

Beaucoup d’initiatives en transition sont animées par la volonté de “recréer du lien social”. Et c’est évidemment une très bonne chose.

Mais souvent, lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi on a “perdu” ce lien social, on tombe dans une explication un peu simpliste : “c’est la faute de l’individualisme”. J’ai toujours trouvé que cet “individualisme” ressemblait fort aux “gros concepts” de Gilles Deleuze : des termes qui ont toute l’apparence de l’explication scientifique, mais qui, au lieu d’aider à penser, amènent bien souvent à ne pas penser. “C’est la faute de la société individualiste. Point” Fin de l’explication.

Il y a pourtant des explications plus concrètes et plus pertinentes, à mon sens. Comme par exemple celle-ci*…

👉 Les liens sociaux sont moins fonction du nombre de personnes qu’on rencontre, que du nombre de fois qu’on rencontre chaque personne.

Dit autrement : on crée davantage de lien social en rencontrant 10 fois une personne, qu’en rencontrant une fois 10 personnes.

Concrètement, vous habitez dans un village, une petite ville, ou l’arrondissement d’une plus grande ville. Si vous y travaillez également, que vos enfants y sont scolarisés et y ont leurs loisirs (sport, académie, mouvements de jeunesse, etc.), que vous y faites vos courses, que vous y avez vos loisirs, et que vous êtes engagé ou engagée dans des projets locaux (associatif, projet en transition, etc….), il y a de fortes chances pour que vous rencontriez en partie les mêmes personnes dans tous ces cercles sociaux.

Pas entièrement les mêmes personnes, mais il est fort probable que vous rencontriez certaines personnes dans différents cercles. Une même personne est une voisine, et est aussi la maman d’un enfant qui va à l’école avec un de vos enfants, et d’un autre enfant jouant au foot avec un autre de vos enfants, mais vous la rencontrez également aux réunions du projet en transition auquel vous participez, et vous faites vos courses au même endroit… La probabilité que vous créiez des liens sociaux avec cette personne est plus grande que si vous le rencontriez uniquement dans un seul de ces cercles.

Aussi simple que ça… Mais c’est précisément ce que nous avons perdu ces dernières décennies : la redondance des rencontres grâce à la possibilité de faire pratiquement tout à proximité de chez soi. Beaucoup de gens habitent à un endroit, sans trop connaître leur voisinage, travaillent dans une autre ville, ont scolarisé leurs enfants à un autre endroit, pratiquent des loisirs ailleurs, et font leurs courses à l’extérieur, dans des centres commerciaux. Ca amène non seulement à perdre beaucoup de temps en voiture (en plus des conséquences environnementales), ça amène aussi à rencontrer beaucoup de gens différents… mais à les rencontrer finalement peu souvent…

Dans beaucoup de petites villes ou de villages, vous vous rendrez compte que ces dernières décennies, on a supprimé beaucoup de lieux de socialisation, obligeant à se rendre plus loin, et à segmenter les lieux où on rencontre les gens : de moins de moins de commerces de proximité, de cafés, de clubs de sport, de mouvements de jeunesse, etc.

“Recréer du lien” au niveau local consiste donc à relocaliser de l’activité, afin qu’on ait un maximum d’opportunités de rencontrer les mêmes personnes. Ca ne veut pas dire de ne rencontrer QUE les mêmes personnes, ce qui aurait un effet enfermant, mais d’avoir un juste équilibre entre le fait de rencontrer de nouvelles personnes, et le fait d’en rencontrer certaines à de multiples reprises.

En cela, toutes les initiatives en transition, toutes les activités communautaires, toutes les créations de commerces locaux, toutes les activités par lesquelles les gens se rencontrent, etc., sont intéressantes.

Dernier point : On entend souvent dire, dans les milieux associatifs locaux, que ce sont “toujours les mêmes” qu’on voit à chaque réunion. Vous connaissez ça, non ?  Et bien dites-vous que, tant que le groupe n’est pas entièrement fermé, ce n’est peut-être pas si grave, et que c’est même peut-être bénéfique ! 

* Je précise que ça relève plus de l’essai que de la démarche empirique. J’étais tombé sur des chiffres qui allaient dans ce sens-là, mais je n’arrive plus à les retrouver…

> > > Sur le même sujet : “Le besoin de communauté”

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