Pour une démocratie participative, concrète et réelle. Créons ensemble notre outil numérique

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– Proposition concrète pour le débat sur la démocratie, du 1er Juin 2016, Place de la République, Paris –

Les actualités politiques récentes, en France, en Belgique, et en Europe, semblent presque toujours opposer la population à ses dirigeants, les représentants à celles et ceux qu’ils sont censés représenter. Dans le domaine du travail, de la santé, de l’environnement, les dirigeants prennent des décisions qui ne sont pas souhaitées par la majorité de la population, confortant la thèse, partout commentée et répétée, de la « crise de la représentativité », et du fossé grandissant entre les électeurs et leurs élus.

En Belgique, le gouvernement décide du prolongement de centrales nucléaires que l’on sait pourtant vétustes. En France, le gouvernement recourt à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer le projet de loi “travail” auquel une partie importante de la population s’oppose. En Europe, on risque de réautoriser l’utilisation du glyphosate, pourtant classé par l’OMS comme “cancérigène probable pour l’homme”.

Comment ces décisions sont-elles possibles ? Tout comme le média est le message, je crois que la décision est déjà dans la prise de décision. Dit autrement, ce sont les modalités de la prise de décision politique qui déterminent la nature des décisions prises. Et cela implique donc que si l’on change de modèle de prise de décision politique, on changera immédiatement la nature de tout un ensemble de décisions. On changera la société, en changeant la manière dont on décide de cette société.

C’est ce point de départ qui m’a amené à réfléchir à un autre modèle, et la trame du texte sera celle que j’ai suivie. Je vous invite à me suivre, à votre tour, dans ce raisonnement…

Tout un ensemble de décisions sont liées au fait qu’elles ont été prises par une minorité à qui on a délégué le pouvoir de prendre des décisions. Une minorité qui s’est instituée, qui s’est professionnalisée, qui s’est “autonomisée” dirait-on en sociologie.

Si l’on nous demandait à tous si nous voulions autoriser un produit potentiellement cancérigène dans nos aliments, nous répondrions majoritairement non. Mais la décision est prise par des “professionnels” de la politique dont la raison d’être est de prendre des décisions de “professionnels”, donc nécessairement différentes des décisions de “profanes”. Sinon, en quoi seraient-ils des professionnels de la politique ? L’autonomisation du champ politique, c’est ce processus de “concentration des moyens de production proprement politiques aux mains de professionnels”, que Bourdieu (2001) décrit très bien dans “La représentation politique”. Concentration corrélative à une dépossession, par le reste de la population, de ce pouvoir de décider. Prendre des décisions politiques s’apprend, comme tout autre métier, dans des universités, des hautes écoles, etc., chargées de former des professionnels à temps plein.

L’une des dimensions de la professionnalisation est la distinction qui se crée entre le professionnel et le profane, quel que soit le domaine. L’architecte conçoit sa maison différemment de quelqu’un qui n’est pas architecte. Et on attend d’un médecin qu’il propose des remèdes autres que ceux de nos grands-mères…

13315240_1713252408956477_1847417443556698950_nComprenons-nous bien, cela va au-delà des collusions, corruptions et autres intérêts. Bien sûr que ces collusions existent. Pour le glyphosate, par exemple, on a appris que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a pris ses informations auprès de la Glyphosate Task Force… qui regroupe les 23 entreprises commercialisant le glyphosate. On pourrait multiplier à l’infini les exemples de ce type. Les collusions existent. Oui, il y a des lobbies. Mais même sans cela, la professionnalisation de la politique amène à des décisions politiques distinctes de l’avis des profanes.

Cela implique que les partis qui font porter leurs revendications sur des biens publics, comme l’environnement, la qualité de l’air, les énergies renouvelables, etc., ne peuvent pas gagner dans un système qui délègue les décisions politiques à une minorité. Par essence, c’est impossible. Par essence, un système qui centralise le pouvoir dans les mains d’une minorité amène à prendre des décisions qui favorisent les intérêts d’une minorité. Les partis verts, écolos, etc., devraient d’abord se mobiliser sur la création d’un autre modèle de décision politique.

Le système actuel…

Revenons à la base : à quoi sert ce truc qu’on appelle “politique” ? Toute collectivité doit prendre des décisions qui vont concerner tout le monde, mais pour lesquelles tout le monde n’est pas forcément d’accord. Alors, comment décider ? Et bien, la politique, c’est la réponse à ce problème fondamental de la vie en commun.

Il y aurait une première solution, qui consisterait à choisir l’avis majoritaire : on pose la question à tout le monde et si 56% est “pour” et 44% “contre”, on décide “pour”… “Pour” la construction d’un centre commercial à tel endroit, “pour” l’augmentation de l’âge de la retraite, “pour” une interdiction de tel produit dans l’agriculture, etc.

La nécessité de se choisir des représentants se justifie par le fait qu’il est (ou était, nous le verrons) impossible de demander à l’ensemble des membres de la population leur avis sur chaque décision à prendre. Même dans des petites collectivités, cela prendrait trop de temps. Certains systèmes politiques prévoient bien des référendums, mais ils sont utilisés très rarement vu le déploiement logistique nécessaire : campagne d’information, bureaux de vote, dépouillement, etc. Le pari qui est fait, dans une démocratie représentative, est donc que si 56% des représentants sont “pour” une décision et 44% sont “contre”, c’est parce que ces représentants représentent bien les 56% de la population qui sont “pour” et les 44% qui sont “contre”. On se choisit donc tous les x temps des représentants qui vont choisir pour nous.

430566_300192216707715_117691448291127_842477_231781519_nMais je ne serais pas en train d’écrire ce texte, si ce pari était gagné. Aujourd’hui, plus que jamais, les électeurs ont l’impression que leurs représentants ne les représentent plus. Et de fait, sociologiquement, les élus sont loin d’être représentatifs (au sens d’un “échantillon représentatif”) de l’ensemble de la population. Au fil de l’Histoire, le vote s’est démocratisé et on s’est félicité que l’ensemble de la population majeure ait maintenant le droit de voter. Et pourtant, à bien des égards, beaucoup d’assemblées politiques sont encore représentatives des électeurs… du 19ème siècle : des hommes, blancs, originaires des classes sociales supérieures. Les mouvements féministes dénoncent le manque de femmes malgré que les femmes aient le droit de voter depuis 50 à 100 ans selon les pays (européens), et les mouvements ouvriers dénoncent le manque d’ouvriers, ou de fils et filles d’ouvriers, parmi les élus malgré le suffrage universel.

Plus encore, quelle que soit les caractéristiques sociales des élus, il semble que l’avis des citoyens pèse très peu dans la décision publique. Gilens et Page, deux chercheurs américains, ont publié en 2014, une étude édifiante sur plus de 1700 décisions politiques, montrant que l’impact des citoyens moyens sur les décisions politiques est pratiquement nul ! “La probabilité d’un changement politique, écrivent-ils, est pratiquement la même (autour de 0.3) qu’une petite minorité ou qu’une large majorité de citoyens soit en faveur de ce changement politique” (Gilens & Page, 2014 : 572). A l’inverse, les “élites économiques” et les groupes d’intérêt (lobbies, organisations professionnelles, etc.) ont un impact “substantiel et très significatif” sur la politique. Les graphiques ci-dessous le montrent. Peut-on croire que les résultats seraient fondamentalement différents dans la plupart des pays européens ?

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Alors bien sûr, même si l’on voulait prendre des décisions collectives à partir des choix du peuple, il était impossible, jusqu’il y a peu de temps, de solliciter l’avis de chaque personne, pour chaque décision. Mais la technologie actuelle pourrait le permettre. Nous sommes tous, très majoritairement, connectés, constamment et partout. Et chaque jour, nous exprimons publiquement des dizaines d’avis et d’opinions sur les réseaux sociaux : nous “likons”, nous commentons, nous partageons, nous donnons des notes à des objets, à des vendeurs, à des acheteurs, etc. La technologie nous permet donc, potentiellement, de donner notre avis sur tout.

Remarquons que de nombreux pays permettent de remplir sa déclaration d’impôts via internet, et que ce moyen est donc perçu, par les Etats, à la fois comme assez sécurisé et assez accessible, que pour y inscrire des données aussi importantes et confidentielles que celles-là. Si nous pouvons tous utiliser internet pour y communiquer, en toute sécurité, le montant de nos avoirs, nous devrions pouvoir y communiquer, avec la même sécurité, nos choix politiques.

Mais est-ce que l’avis de la majorité est toujours le meilleur ? Bonne question. Est-ce qu’il n’y a pas dans l’Histoire des cas où une décision qui n’aurait pas été voulue par la majorité de la population, se serait avérée, a posteriori, une décision bénéfique ? Et inversement (et là, je crois qu’on peut encore trouver davantage d’exemples), est-ce qu’on ne peut pas se rappeler de moments, où une majorité a opté pour des options politiques qui se sont avérées tout à fait catastrophiques ? Les grands penseurs de la démocratie n’étaient d’ailleurs bien souvent pas favorables à ce qu’on appelait, à l’époque, la “tyrannie” ou le “despotisme” de la majorité. Alexis de Tocqueville (1835) craignait l’effet néfaste de cette puissance de la majorité sur la pensée. Stuart Mill (1859) voyait le public comme composé d’une “minorité de sages” et d’une “majorité de sots”. Et Benjamin Constant (1872) mettait en garde contre la “souveraineté d’un peuple sans bornes”. La crainte était que la majorité (déjà perçue comme une “masse”) se trompe et impose son erreur à la minorité qui, elle, aurait eu raison. Bref, du 19ème siècle à aujourd’hui, de grands “défenseurs” de la démocratie ont souvent valorisé la souveraineté du peuple… tant que le peuple choisit la même chose que ses élites éclairées. Et lorsque ce n’est pas le cas, le fonctionnement politique permet tout un ensemble de mécanismes de contournement du choix du peuple.

Mettons de côté l’idée d’une élite éclairée, qui mènerait la Nation. Plus personne n’y croit vraiment. Et tous les faits divers et scandales qui émaillent la vie politique ne nous aideront pas à retrouver la foi…

Il n’en reste pas moins que la politique, c’est aussi très souvent prendre des décisions sur des sujets très techniques. Si on me demande quel serait pour moi, le taux idéal de nitrates dans l’eau du robinet, je serais bien embêté. Je n’en ai aucune idée, moi.

Du coup, on pourrait très bien imaginer que ce soit des experts qui décident à notre place. Mais comment surmonter alors le fait que les experts puissent ne pas être d’accord entre eux ? Faudrait-il réintroduire un système majoritaire au sein des experts ? Si 56% des experts sont “pour”, on vote “pour”, et ainsi de suite ? Et puis qui décide qui sont les experts ? Et comment éviter que les experts poursuivent d’autres intérêts que le bien public ? Comment s’assurer qu’un expert ne soit pas également un vendeur d’engrais bourré de nitrates ?

La question reste donc entière : comment prendre des décisions ou fixer des priorités, qui vont toucher tout le monde, alors que tout le monde n’est pas d’accord ?

Poursuivons avec ce que l’on a actuellement. On a des décideurs politiques, à qui on a délégué le fait de prendre les décisions à notre place, face par exemple à un problème de société ; on des experts qui sont censés maîtriser le problème et ses solutions ; et il y a les citoyens qui sont potentiellement touchés par ce problème, qui n’y connaissent pas nécessairement grand chose, mais qui aimeraient avoir leur mot à dire.

… Et c’est là que rentrent en scène : les journalistes ! Donc, les médias, qui font circuler l’information entre tous ces acteurs de la démocratie. On est au cœur de l’ “espace public” au sens d’Habermas (1991). Les médias permettent l’”usage public de la raison” [Öffenliches Räsonnement]. On sait qu’Habermas a construit sa notion d’”espace public ” en référence à Kant (1874), pour qui les Lumières était le fait de se libérer de la “tutelle”, par l’usage public de la raison, “et lui seul”, précisait-il ! Penser librement, c’est penser “à voix haute”. Les médias font connaître les décisions politiques aux citoyens, relayent l’avis des experts auprès des politiques et des citoyens, et font remonter une partie de l’avis des citoyens auprès des politiques. En très simplifié, et très idéalisé. Mais c’est pour comprendre.

En matière de nitrates dans l’eau, on peut donc imaginer des dossiers “L’avis des experts sur les nitrates”, des “Unes” “Les nitrates : tout ce qu’on vous cache !”, ou des reportages d’investigation “Plongée au cœur de l’industrie des nitrates”

Mais on a l’impression que ce petit monde de dirigeants politiques, de journalistes et d’intellectuels discutent et décident sans nous. Toujours les mêmes débats télévisés, avec les mêmes intellectuels, interviewés par les mêmes journalistes.

corporate_mediaEt les médias sont tout autant en crise que les dirigeants politiques. Les réseaux sociaux permettent de faire circuler l’avis des “experts” à une échelle qui dépasse souvent la plupart des médias traditionnels. Une personne qui a son mot à dire sur le taux de nitrates dans l’eau pourra publier une vidéo sur Youtube et la faire circuler sur Facebook ou Twitter, au point d’être entendu par des millions de personnes, sans le moindre coût, et la moindre intervention d’un journaliste professionnel. Quant aux “experts”, les réseaux sociaux “désofficialisent” complètement la notion : au-delà du titre et de l’appartenance institutionnelle, est “expert” celui dont l’expertise sera reconnue par des auditeurs, spectateurs, etc. C’est la présupposition d’égalité qui prédomine par exemple sur Wikipedia : “n’évaluer les participants qu’à partir de ce qu’ils font, produisent, et disent, et non sur leur diplôme, leur âge, leur race ou leur situation sociale” (Cardon, 2010 :79).

Enfin, on ne peut pas parler de l’ “espace public” d’Habermas sans faire référence à la critique tout à fait légitime qu’en fait Nancy Fraser (1990) : l’accès à l’espace public est très inégalitaire, que ce soit en terme de genre, de race, de capital scolaire, etc.

Bon…

Pour un nouveau modèle politique

Comme on le voit, ce n’est pas seulement la démocratie représentative qui est en crise, c’est tout le modèle de l’espace public, hérité des médias de masse.

Un nouveau modèle devra intégrer ces trois “actes” constitutifs de la délibération démocratique, dont nous venons de parler : l’expertise, la communication et la décision. Mais en faisant en sorte que le citoyen puisse réinvestir ces trois actes : qu’il puisse participer à l’expertise (ce qui est déjà le cas grâce à Wikipedia, à l’accès gratuit à l’information, aux MOOC, aux Wikileaks, aux conférences TED, et plus anciennement à la démocratisation de l’accès à l’enseignement), à la communication et au débat (grâce à tous ces moyens technologiques qui nous utilisons déjà presque tous, et qui permettent de partager des informations et d’en discuter), et évidemment à la prise de décision.

Il faudrait donc créer les conditions qui permettraient aux citoyens de réinvestir ces 3 “actes”, au lieu de s’en sentir désapproprié. Et de faire en sorte que chacun s’y investisse selon ses compétences et intérêts : davantage en valorisant une expertise, en étant une référence en matière de production ou diffusion de l’information, ou en s’imposant comme un acteur raisonné et éclairé, de la délibération et de la décision. Internet permet à chacun d’être émetteur et récepteur (Cardon, 2010). Il devrait permettre à chacun d’être également citoyen, décideur, expert, communiquant.

Concrètement…

Imaginons une plateforme en ligne, qui permette de débattre, d’échanger et de faire émerger des idées (rappelez-vous l’importance de l’”usage public de la raison”). Et c’est très facile parce que toute l’information est déjà en ligne. Il est très facile de partager un article, une vidéo, une conférence, une infographie sur un réseau social. Et il est tout aussi facile de produire soi-même son article, sa vidéo, etc. Les moyens technologiques actuels permettent de faire circuler des informations et d’en débattre, très vite, gratuitement, et à très grande échelle.

Il faut alors trouver une modalité de prise de décision, au sein de cette plateforme, et dans le cadre de cette délibération.

Le modèle de la “démocratie liquide” avec ses “trustees”, associé à toutes les possibilités technologiques des réseaux sociaux, pourrait être une modalité tout à fait appropriée – et extrêmement puissante – pour arriver à une réelle participation, réaliste, de l’ensemble de la population aux décisions politiques. Des modèles inspirants existent déjà comme la plateforme “LiquidFeedback” en Allemagne, le parti “Flux” en Australie, ou d’une certaine manière le “Partito de la Red” en Argentine, utilisant la plateforme DemocracyOS.

En quoi consiste la démocratie “liquide” ? C’est très simple. Chaque individu a une voix. Il peut soit s’en servir pour prendre part à la décision, soit “léguer” sa voix à une personne en qui il a entièrement confiance (le “trustee”). Cette personne a alors le poids de 2 voix dans le vote. Et ainsi de suite, si 3 personnes lui lèguent sa voix, puis 10, puis 1000, etc. Comme chacun images-cms-image-000056840participe potentiellement à chaque décision, je peux décider de léguer ma voix à untel pour telle décision, mais à telle autre personne pour telle autre décision.

Le système devrait être très souple : si tout un domaine ne m’intéresse pas, ou que je ne me sente pas capable de décider dans ce domaine, je peux décider de léguer ma voix, pour toutes les décisions de ce domaine, à la même personne. Personnellement, j’ai des amis, qui s’y connaissent très bien dans certains domaines, où moi, je n’y connais rien ; je leur ferais tout à fait confiance pour décider à ma place.

A nouveau, c’est facile, classer les décisions en domaines est déjà ce que l’on fait, avec les ministères par exemple : enseignement, emploi, intérieur, économie, culture, éducation, santé, etc. Et si je ne m’intéresse pas du tout à la politique, je peux décider de léguer ma voix, quel que soit le domaine, à la même personne : un “chèque en blanc” total, en fait, comme dans le système actuel.

Et bien entendu, je peux à tout moment retirer ma voix, si je remarque que celle ou celui à qui je l’ai léguée prend des décisions que je n’aurais pas prises moi-même.

Comme ces voix léguées sont cumulatives, on garde même la possibilité que certains se professionnalisent dans la décision politique, et “fassent campagne” pour récolter des voix, comme maintenant. Mais leurs 1000 voix récoltées n’auront pas plus de poids que la voix unique de 1000 individus votant face à eux. Et “faire campagne” ne coûte rien, enlevant toute barrière, entre autres financières, à l’entrée dans le jeu politique. Nul besoin de récolter des fonds auprès de riches investisseurs privés, de lobbies, de grosses fortunes, etc.

Les voix léguées peuvent se léguer elles aussi. Si j’ai reçu 40 voix parce qu’on me fait confiance sur tel sujet, mais que je pense qu’untel a une meilleure expertise que moi, je peux décider de léguer mes 40 voix à cette personne, qui en aura donc 42 (la sienne, la mienne et celles des 40 personnes qui m’ont légué la leur). Et ainsi de suite…

Du coup, comment savoir pour qui j’ai voté, si les voix ont pu être léguées sur toute une chaine d’individus ? Comme tout cela est numérique, c’est aussi facile que de savoir sur LinkedIn, quelle est la chaine de relations qui me relie à telle personne : en un fragment de seconde, on sait que untel est connecté à untel, qui est connecté à untel, avec qui je suis connecté.

Oui, mais le vote reste-t-il secret ? Oui ! Personne ne sait ce que j’ai fait avec ma voix unique (il suffit que cette partie soit cryptée, comme lorsqu’on paie en ligne) : peut-être ai-je pris part à la décision, ou peut-être ai-je légué ma voix à quelqu’un d’autre. Par contre, celui a qui j’ai légué ma voix devient du coup, un “délégué”, devant rendre des comptes à celles et ceux qui lui ont légué leur voix, et son vote devient donc public.

Chacun a le droit d’accepter ou de refuser de se voir léguer des voix.

Et une fois que la décision est prise ? Et bien, comme actuellement, ce serait aux administrations de les mettre en œuvre. Celles-ci existent déjà, la seule chose qui changerait, c’est qu’elles répondraient et rendraient des comptes à un pouvoir participatif, plutôt que représentatif.

Visuellement….

Tous les moyens technologiques présents dans les réseaux sociaux actuels permettent de mettre en place un tel système participatif dès demain…

Imaginez. Vous vous connectez sur votre plateforme. Appelons-la “ThinkAloud” en référence au fait de “penser à voix haute” chez Kant. Vous êtes sur votre smartphone, votre ordinateur, votre tablette, l’ordinateur de la bibliothèque municipale ou celui de la maison des jeunes. Vous avez 8 notifications : 3 nouvelles “décisions à prendre”, 2 commentaires à une vidéo que vous avez publiée, 1 ami a partagé un article avec vous spécifiquement, et 2 de vos “trustees” posent une question à celles et ceux qui leur ont délégué leur voix.

Vous pouvez décider de lire toutes ces notifications ou de les ignorer. Vous cliquez sur une “décision à prendre”. Il s’agit d’une “proposition de modification du décret 2001-1220 du 20 décembre 2001, visant à diminuer le taux de nitrates dans l’eau courante de 50mg/L à 35mg/L”, proposée par un autre citoyen.

La décision est taguée “Santé > Taux de nitrates”. Je peux décider de voter si j’ai un avis sur la question. Ou je peux ne rien faire et par défaut, ma voix ira à celle ou celui à qui j’ai éventuellement légué mes voix pour le domaine “Santé”. Ou encore je peux décider de lui retirer ma voix, de la donner à quelqu’un d’autre, ou finalement encore de m’abstenir. Techniquement, ce ne sont que des “clicks”, pas plus compliqués que d’être “ami” avec untel ou de ne plus l’être, de liker une page ou rejoindre un groupe.

En ouvrant la page relative à la décision, j’accède à toutes les informations nécessaires : qui a fait cette proposition, quelles étaient ses propositions précédentes, et ses décisions publiques. J’accède aux vidéos, articles, et autres médias, qu’il ou elle aurait publiés, ainsi qu’à tous les médias qui circulent en rapport avec cette décision. Je peux les commenter, les repartager pour que mes amis les voient, et publier mes propres médias (directement repris de la presse ou créés par moi). Je participe donc au débat public et à la délibération. Tout ce qui est sur internet, grands médias, blogs, wikipedia, tweets, etc., peut être relayé sur cette plateforme d’un simple click et intervenir dans la discussion.

Cette délibération est fondamentale au processus démocratique et prend donc du temps. On ne propose pas une décision un matin, pour la clôturer le soir même. On peut imaginer qu’un temps limite soit fixé par les citoyens eux-mêmes, selon le même procédé délibératif. Tout est possible.

Tout cela se fait évidemment en son nom propre. C’est Yves Patte qui participe au débat et pas Warrior87@hotmail.com (adresse fictive !)…

ThinkaloudVisuel

Mise en place…

            Le propre de ce mode de fonctionnement est d’être “bottom-up”, c’est un processus d’émergence d’idées depuis la base. Ca n’aurait donc aucun sens d’imaginer que ça puisse être mis en place depuis le haut (et du jour au lendemain être utilisé pour des décisions relatives à la fiscalité, à l’armée, etc.). De plus, ça consisterait, pour les dirigeants en place, à scier la branche sur laquelle ils sont assis depuis si longtemps.

eba9321cf0a9dca8c4ba185c66f53dceA moins que tout s’effondre et que le soir du Grand Soir, autour d’un braséro alimenté avec les chaises du Parlement, on se réchauffe les mains en se disant : “qu’est-ce qu’on met en place demain comme nouveau système politique”, il faut bien se dire que nous devrons commencer à mettre ce système en place au niveau “local”, dans de petites collectivités, dans des “communes” au sens anarchiste du terme, ou dans des “commons”, au sens de Rifkin (2014). Ce n’est pas incompatible avec l’espoir du Grand Soir, mais c’est peut-être moins attentiste.

Et parallèlement, il faudra que des mouvements politiques portent ce type de modèle dans les assemblées existantes. Comment ? En fonctionnant eux-mêmes, en interne sur ce modèle. Ils pourront donc, sous forme de partis, par exemple, porter au sein du système politique actuel, des choix qui auront fait l’objet d’un processus délibératif et décisionnel participatif. Un peu comme #MaVoix l’a fait à Strasbourg.

Avertissement #1 : Lorsque vous parlerez de cela autour de vous, on discréditera cette proposition de mise en place d’un nouveau modèle politique en vous posant des questions très précises quant à la mise en application. Mais ne pas avoir de réponse tout de suite n’invalide pas la démarche. D’ailleurs, peut-être que quelqu’un d’autre parmi nous a la réponse, on ne le saura que grâce à la discussion publique. Il faut compter sur l’intelligence collective. D’autant plus que le système actuel, qui a, lui, une réponse, ne fonctionne plus, sinon on n’en serait pas là…

Avertissement #2 : On vous posera la question : “Mais est-ce que ça ne risque pas de faire le jeu de l’extrême-droite ?”…. Mais de toute façon, le système actuel fait le jeu de l’extrême-droite, ou du moins n’arrive pas à l’empêcher. Partout l’extrême-droite se rapproche du pouvoir.

Avertissement #3 : On nous rétorquera que c’est donner une place trop grande à la technologie et à ses représentants, mais on répondra que la technologie est ce qu’on en fait, et que cette plateforme devrait évidemment être en “open source”. Et on nous dira qu’il y a des dangers de manipulation inhérents à la technologie, et on répondra que le trucage des bulletins des votes n’a pas attendu l’ordinateur.

Avertissement #4 : On nous dira que les militants des partis actuels risqueront d’ “infiltrer” ces nouvelles plateformes. Peut-être. Mais au sein de celle-ci, ils devront confronter leurs idées avec celles de tous les autres citoyens (ce qui est déjà intéressant et un peu nouveau). Et si des militants de gauche, de droite, du centre, participent à la plateforme, est-ce que ce n’est pas la preuve que ce nouveau modèle fonctionne ? Ces militants pourront-ils “troller” et par exemple, faire prendre une décision volontairement mauvaise au mouvement, pour le discréditer ? Non, pas plus que c’est possible sur Wikipedia, et d’autant moins que les discussions ne seraient pas anonymes sur cette plateforme.

Avertissement #5 : On nous dira que ce système favorisera l’abstentionnisme. Faisons l’hypothèse que la majorité des abstentionnistes ne sont pas désintéressés par la politique, mais qu’ils ont l’impression d’être inutiles, qu’ils n’ont aucun impact (et ils ont en fait raison, comme nous l’avons vu avec Gilens et Page). Si les citoyens ont la possibilité de participer à la délibération, et donc de peser dans la décision, nous pensons que l’abstentionnisme diminuera.

Pour la transition : élire quelqu’un selon ce modèle ?

Si un mouvement construit sur ce modèle délibératif veut porter un “élu” selon le modèle traditionnel, dans le système actuel, comment procéder ? Puisque précisément, ce modèle est un modèle de prise de décision, sans “élus”.

Gardons l’idée derrière ce système : on vote pour des idées, pas pour des personnes. Il faudrait donc que ce mouvement ou parti essaie de se construire un programme, par rapport au territoire politique concerné, à partir de cette nouvelle plateforme démocratique.

Exemple : une notification sur votre plateforme vous avertit : “Décision d’intégrer dans le programme du mouvement, la proposition d’allouer 120.000 euros aux 12 écoles (du territoire concerné), répartis proportionnellement au nombre d’élèves, et en faveur de la mise en place de cours de permaculture”. Et vous votez ou pas, pour cela, selon le modèle expliqué plus haut, avec des “trustees”, etc.

Au final, un programme se crée, grâce à toutes ces interactions, discussions, partages d’information, etc. Et tout cela laisse des traces numériques évidemment. Celles et ceux qui seraient intéressés de représenter ce mouvement ou parti dans l’assemblée politique actuelle (de l’ “ancien système” dirions-nous) présentent publiquement leur candidature. Et tout le monde peut juger laquelle ou lequel d’entre eux a le plus contribué à l’élaboration du programme, qualitativement ou quantitativement, et l’élection du représentant peut se faire sur base du travail accompli, des idées partagées, et selon le modèle délibératif propre à cette plateforme.

Qui est partant ?

Je crois sincèrement que nous sommes arrivés à un moment où la volonté de participation au processus décisionnel est là. Fortement. Plus que jamais, les citoyens se mobilisent, se rassemblent et veulent inventer un nouveau système politique pour demain. Et la technologie actuelle, permet, sans rien avoir à inventer, de matérialiser cette volonté populaire.

Maintenant, il faut se retrousser les manches, et y aller ! Ca ne dépend que de nous !

Références :

  • Bourdieu, P. 2001. Langage et pouvoir symbolique, Paris : Seuil.
  • Cardon, D. 2010. La démocratie internet. Promesses et limites, Paris : Seuil.
  • Constant, B. 1872. Principes de politique, Editions Guillaumin.
  • De Tocqueville, A. 1835. De la démocratie en Amérique I, [en ligne], Collection: « Les classiques des sciences sociales ».
  • Fraser, N. 1990. « Rethinking the Public Sphere : A Contribution to the Critique of Actually Existing Democracy », Social Text, n°25/26 : 56-80.
  • Gilens, M., & Page, B.I. 2014. « Testing Theories of American Politics : Elites, Interest Groups, and Average Citizens », Perspectives on Politics, vol. 12, n°3 : 564-881.
  • Habermas, J. 1991. The Structural Transformation of the Public Sphere. An Inquiry into a Category of Bourgeois Society, Cambridge : The MIT Press.
  • Mill, S. 1859. De la liberté, [en ligne], Collection: « Les classiques des sciences sociales ».
  • Rifkin, J. 2014. La nouvelle société du coût marginal zéro. L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Paris : Les Liens qui Libèrent.

One thought on “Pour une démocratie participative, concrète et réelle. Créons ensemble notre outil numérique

  1. Bonjur, aprés votre intervention sur le chat de nuits debout, je trouve votre texte trés interressant. Je suis developpeur d’une asso à but non lucratif qui promeut un réseau social de démocratie participative :

    http://democratieparticipative.org

    Je pense que nous pouvons collaborer (le projet étant en version beta). Cet outil à entre autre la particularité d’être modifiable (avec vote) par chacun des membres. Et donc personne n’as de pouvoir en plus de décision ou de conception…et bien d’autres choses dont pas mal de concepts que vous abordez dans votre texte.

    Merci de participer à un monde meilleur !

    Seb

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