Rap & politique: Ne pas y chercher ce qu’on ne peut pas y trouver

Benjamin Peltier et Pauline Thirifays ont récemment publié, sur le site de BePax, une organisation chrétienne de lutte contre les discriminations, une analyse critique du morceau “L’odeur de l’essence” du rappeur Orelsan.

Comme il y avait beaucoup de choses qui, disons, m’embêtaient un peu dans ce texte, j’ai eu envie d’en proposer une réponse. Je vais faire une très rapide synthèse de leur article, mais je vous invite à le lire. Cet article s’intitule “‘L’odeur de l’essence’, un champ lexical de la confusion“. Il se trouve ici : https://bepax.org/publications/lrodeur-de-lressence-un-champ-lexical-de-la-confusion.html

Bien évidemment, je vous invite aussi à regarder le clip du morceau en question : https://youtu.be/zFknl7OAV0c

Et d’en lire les paroles : https://genius.com/Orelsan-lodeur-de-lessence-lyrics

Je pense que pour comprendre cet article de Peltier et Thirifays, il faut comprendre ce qui a suscité leur questionnement : comment se fait-il qu’une partie significative du champ progressiste et de gauche s’est enthousiasmée pour le morceau “L’odeur de l’essence” ?

Les deux auteurs analysent : les quelques lignes qu’Orelsan adresse à l’extrême-droite, de manière évidemment critique, ne sont qu’un « vernis progressiste » et ne devraient pas duper les auditeurs et auditrices “progressistes” et de “gauche”. En effet, ce texte d’Orelsan relève, selon l’auteur et l’autrice, du “confusionnisme” et de la pensée anti-système. Plus encore, il est “validiste”, et anti-féministe, ce que Peltier et Thirifays inscrivent dans la continuité de textes précédents d’Orelsan, qualifiés de “sexistes” et d’”homophobes”. En ligne de fond, l’idée que ce genre de texte, anti-système, confusionniste, fait le jeu de l’extrême-droite.

Je suis tout à fait conscient que c’est une synthèse très courte, d’un texte d’une dizaine de pages. Je vous invite donc à le lire dans son intégralité.

Un biais scolastique

Ce qui ressort principalement du texte de Thirifays et Peltier, selon moi, et qui me gêne un peu, c’est une impression de “distance”, entre l’auteur et l’autrice, et leur objet d’analyse, en l’occurence ici un texte de rap.

Je ne connais pas Pauline Thirifays et Benjamin Peltier, je ne sais donc pas s’ils écoutent du rap régulièrement. Mais le texte donne l’impression que c’est un genre musical avec lequel ils ne sont pas familiers.

En soi, rien n’oblige d’être “familier” avec son objet d’analyse. Mais dans la distance s’inscrit souvent un rapport théorique à l’objet. C’est ce qu’on appelle le “biais scolastique” : ici en l’occurence le fait de chercher une vision politique dans un texte qui n’a pas comme fonction première de susciter la réflexion politique. En sociologie, Pierre Bourdieu a analysé ce biais à maintes reprises.

Faire une analyse politique d’un texte de rap, c’est se mettre dans une position différente — et distante — de l’auditeur ou de l’auditrice, qui aime le rap et l’écoute pour ce que c’est : un morceau de musique, une œuvre artistique, quelque chose qu’on écoute d’abord parce qu’on aime cette musique. Le biais scolastique, c’est l’erreur de faire un usage d’un texte qui ne coïncide pas avec l’usage qu’en fait celui qui le produit et à qui il s’adresse (Bourdieu, 1987 : 136).

Plus concrètement, c’est par exemple l’erreur de chercher un sens à des mots qui n’ont parfois d’autre intérêt que leur sonorité, le jeu de mot, la figure de style, ou encore la rime.

Continue reading Rap & politique: Ne pas y chercher ce qu’on ne peut pas y trouver

A propos du rappeur Medine (et de la polémique sur son concert au Bataclan)

Parmi les actualités qui m’énervent bien – et qui me rendent très peu optimistes quant à l’avenir – il y a cette campagne bien orchestrée par la fachosphère pour empêcher le rappeur Medine de se produire au Bataclan, en octobre.

A coups de fakenews, de photo-montages grossiers et de mauvaise foi flagrante, les habituels Front National (rebaptisé Rassemblement national), Valeurs actuelles, Génération identitaire, Génération Nation, etc., font passer Medine pour un islamiste, terroriste, qui appèlerait au meurtre ! Alors, vous comprenez, “on ne peut quand même pas laisser un djihadiste salir la mémoire des victimes des attentats de 2015… “. On lit des choses grosses comme des camions sur Twitter.

Venant des groupes identitaires, de l’extrême-droite et de l’Alt-Right, ce n’est pas étonnant, mais le pire est que tout cela est repris #tranquilloupar des journalistes sans la moindre vérification dans les textes de Medine, comme Jean Quatremer par exemple, ou par des Twittos en recherche d’un sujet à récupérer pour quelques retweets de plus…

… Parce que, quand on écoute Medine (et personnellement, je l’écoute depuis près de 15 ans. C’est d’ailleurs probablement le rappeur français que j’écoute le plus), on se rend compte que son discours est à l’antipode d’une promotion du terrorisme ! Toutes celles et ceux qui relayent les propos de la fachosphère n’ont carrément pas pris la peine d’écouter le moindre morceau de Medine… ou même de lire ses textes qui sont en ligne, s’ils n’aiment pas le rap. Le site Genius France donne même des explications de chaque phrase. Bref, il n’y a pas d’excuses…

Pour être honnête, j’avais commencé à compiler toutes les phrases des textes de Medine qui montraient que son discours était l’inverse de ce que les fachos lui font dire… mais très vite, il y en avait tellement que ça n’avait aucun sens. J’aurais dû copier ici des couplets entiers d’une multitude de chansons. Continue reading A propos du rappeur Medine (et de la polémique sur son concert au Bataclan)

“Don’t Panik” de Médine et Pascal Boniface

medine&boniface

progressiste /pʁɔ.ɡʁɛ.sist/ : Partisan du progrès, d’une modification de la société par des réformes ou la révolution. Larousse : “Aux États-Unis, s’est dit d’un mouvement réformateur combattant les excès de la société industrielle et l’injustice sociale.”

J’aime bien les gens qui sortent du cadre, qui ne se complaisent pas dans les rôles et les discours qu’on attend d’eux. Je savais que c’était le cas de Médine; je connaissais moins Pascal Boniface, directeur de l’Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS).

medine&bonifaceLivreDon’t Panik” est le dialogue entre deux univers, le hip-hop et la recherche. Entre deux personnalités qui ne veulent pas s’enfermer dans leur univers respectif. Et qui témoignent d’une grande ouverture.

L’un comme l’autre tentent d’adopter un point de vue universaliste sur tout un ensemble d’enjeux – en particuliers ceux qui touchent aux particularismes : la religion, l’identité, le racisme, etc. Qu’est-ce que ça signifie d’être Français et musulman, en France aujourd’hui ? En question de fond : a-t-on besoin de hiérarchiser nos identités ? Comment les jeunes musulmans se définissent-ils ? Comment “la société”, les médias, les définissent-ils ? Et comment répondre à la stratégie de la peur à l’égard des musulmans instaurées par certains médias et partis politiques ?

Ce dialogue entre Médine et Pascal Boniface représente un point de vue original et intéressant sur ces enjeux identitaires et sociétaux. Une telle “fraternité” (Pascal Boniface rappelle que le principe de “Fraternité” est souvent oublié derrière ceux de “Liberté” et d'”Egalité”…) est assez rare dans les médias pour que ça vaille la peine de jeter un coup d’oeil dans ce livre !

J’m’enfermerai pas non plus dans l’image du muslim réac’” (Médine, Biopic)

[youtube_sc url=HGX6xtyvepI width=430]