Brève réflexion sur la proposition de Théo Francken sur l’arrestation des étrangers en séjour illégal

Aujourd’hui, se pose en Belgique la question de savoir si la Police peut pénétrer dans un domicile privé pour arrêter un étranger en séjour illégal, dans le domicile de l’étranger en question, ou dans le domicile des personnes qui l’hébergent. Les magistrats refusent : cette mesure impliquerait une intervention judiciaire (avec juge d’instruction) pour des personnes qui font l’objet d’une procédure administrative, et pas judiciaire.

… En fait, cette question s’est déjà posée, à Bruxelles, dans des termes très similaires. C’était en 1942.

L’occupant allemand exige effectivement que la police bruxelloise procède aux arrestations de Juifs qui n’ont pas répondu à la convocation à comparaître à la visite médicale ou au bureau d’embauchage. Jules Coelst, Bourgmestre de Bruxelles faisant fonction à l’époque, refuse l’ordre de l’occupant allemand et écrit, dans une lettre du 6 juin 1942 : “Je me fais un devoir de vous informer, ainsi que je l’ai déjà écrit auparavant à une autre autorité allemande, que la police communale en Belgique est purement administrative et créée uniquement pour maintenir l’ordre public. (…) Si l’arrestation doit avoir lieu pour crime ou délit, c’est à la police judiciaire d’intervenir, qui, elle, est sous la direction de M. le Procureur du Roi”.

Coelst argumente son refus en disant que dans ce cas précis, il n’est pas responsable car l’ordre public n’est pas menacé.

Finalement, ce sont les Allemands eux-mêmes qui exécuteront la plupart des rafles de 1942 à Bruxelles.

[Extrait] : “Ce 3.9.42, vers 20,30 heures, des nombreux policiers allemands ont établi un barrage r/Blaes-Miroir, Tanneurs, rue de la Querelle, Vanderhaegen, terreNeuve, boulevard du Midi. D’autres se sont répandus dans les rues se trouvant dans cet îlot. Ils se sont introduits dans les maisons et y ont arrêté toutes les personnes juives sans distinction d’âge ni de sexe. Ces personnes ont été embarquées et conduites par des camions allemands vers un endroit ignoré”. Les policiers bruxellois ne sont pas intervenus “activement” dans les arrestations.

Source : Majerus, B. (2003). Logiques administratives et persécution anti-juive. La police bruxelloise et les arrestations de 1942, Cahiers d’histoire du temps présent, n° 12, pp. 181-217.
A lire ici : http://www.cegesoma.be/…/cht…/chtp12_006_Dossier_Majerus.pdf

Photo : Rafle opérée en 1943 dans le cadre de la lutte contre le marché noir par la police de Bruxelles dans le quartier des Marolles. (Photo CEGES)

Le monde change… et pas en bien

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“Le monde change… et pas en bien”. C’est une phrase que j’ai entendue lundi en rue. Et elle m’a trotté en tête toute cette journée de mardi, devant les directs relatifs aux attentats, à la télévision, à la radio, ou devant le flot continu des tweets….

Bruxelles est attaquée, et cette phrase résume toute l’impuissance qu’on peut ressentir. Comme si on savait que ça allait arriver, après Paris, et qu’on espérait juste que ça allait arriver le plus tard possible. Mais c’est fait, c’est arrivé aujourd’hui. Des dizaines de personnes sont mortes. En attendant leur avion. En prenant leur métro. Impuissantes.

L’impuissance, c’est l’inverse de l’Empowerment, sur lequel j’écris constamment. C’est se sentir sans pouvoir, sans capacité d’agir sur les choses. On sent que le monde change. Peut-être est-ce bien qu’il change d’ailleurs ? Ou pas ? Mais dans un cas comme dans l’autre, on se dit qu’on ne peut rien y faire, que d’autres vont décider pour nous. Qu’ils vont décider de créer un climat de peur. Que dorénavant on se sentira moins à l’aise dans les transports en commun ou dans les lieux publics.

Et on sent qu’il serait tentant de s’abandonner aux discours faciles de certains. Que, tant qu’à faire d’être impuissant, autant remettre notre destinée dans les mains de ceux qui disent avoir des solutions. Autant expulser tous les suspects et fermer les frontières pour qu’aucun autre suspect n’arrive.

… Mais ça ne fera que rajouter à l’impuissance. L’impuissance de voir des enfants, des parents, des personnes âgées mourir ailleurs, dans la même impuissance que les victimes bruxelloises. Quelle différence y aurait-il entre mourir sous les bombes de Daech en Syrie ou à Bruxelles ?

Le monde change… et pas en bien, c’est exactement ce que je ressens depuis des mois, à chaque fois que je vois ces cohortes de réfugiés refoulés à la frontière de pays européens. Je m’imagine devant parcourir des milliers de kilomètres à pied avec ma femme et mes enfants, juste dans l’espoir de trouver un endroit où nous installer, et où il n’y aura pas le risque à tout moment qu’on nous tire dessus ou que des barils d’explosifs nous tombent sur la gueule.

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On a créé un monde où des enfants passent en quelques secondes de l’insouciance des jeux d’enfants, aux cris, à la peur, à la douleur, à chercher, apeurés, un parent au milieu des débris et des corps en lambeaux… On a créé un monde où on retrouve des petits corps d’enfants sur nos plages de vacances. On a créé un monde où ceux qui arrivent à échapper à la guerre se verront parquer dans des bidonvilles qu’on détruira au bulldozer. Continue reading Le monde change… et pas en bien