Devenez Backpack entrepreneur !

Faire toute sa carrière professionnelle dans une grande entreprise, ou – pire – dans une administration, n’attire plus grand monde. Toutes les analyses relatives au travail le montrent, les plus jeunes ont un rapport différent au travail : ils changent plus souvent de jobs, n’hésitent pas à travailler dans un domaine autre que celui de leurs études, et sont attirés par le statut d’(auto-)entrepreneur.

Surtout, on voit de plus en plus de personnes multiplier les activités rémunératrices : enseignant la journée et musicien le soir, consultant la semaine et artisan-menuisier le week-end, policier et coach sportif, informaticien et photographe, coiffeur et DJ, etc., etc., etc. On en connaît tous. Les exemples cités existent d’ailleurs réellement dans mon entourage. C’est ce qu’on appelle les “Slashers” : architecte/barman/photographe. “One person, multiple carreers(une personne, plusieurs carrières), du nom du livre de Marci Alboher sur la question. Les appellations sont elles aussi multiples : on parle également de “Portfolio carreer” et de “donjuanisme professionnel“. Et c’est typique de cette fameuse Generation Flux, dont parle souvent Fast Company.

Moi, j’aime bien l’idée de “Backpack entrepreneur” (“backpack” = sac à dos en anglais). C’est précisément le mode de “travail” que j’expérimente actuellement (sur le net plus qu’ailleurs, ne faites confiance qu’à ceux qui expérimentent leurs conseils sur eux-mêmes !).

Je préfère cette idée à celle de “casquette” : “avoir plusieurs casquettes”. En particulier, parce qu’on ne peut porter qu’une casquette à la fois (ou alors on a l’air ridicule). On me pose souvent cette question : “Oui, mais là, tu interviens avec quelle casquette ?” Sociologue ? Coach ? Enseignant ? Community manager ? Citoyen engagé ? … Comme si on ne pouvait porter qu’une de ces casquettes à la fois. Comme si mes compétences et expériences de sociologue ne me servaient pas en tant qu’enseignant ou que coach, comme si ce que j’avais appris comme enseignant ne me servait pas comme coach ou dans mes engagements personnels, etc.

Du coup, je préfère l’idée de me balader dans la vie avec un sac sur le dos, qui contiendrait toutes les compétences, expériences, expertises que l’ensemble de mes activités professionnelles ou autres m’ont permis d’acquérir. Et à chaque nouveau défi, dans le cadre professionnel ou des loisirs, je peux puiser dans ce que j’ai dans mon sac à dos pour apporter quelque chose. Comme Dora l’Exploratrice ? Voilà ! Exactement ! 😉

D’où l’idée de “sac à dos”, de “Backpack entrepreneur”, dont voici la définition que je donnerais :

Backpack Entrepreneur : Celle ou celui qui entreprend des activités, sans plan de carrière défini, tel un promeneur, avec sur son dos, un sac de compétences qu’il/elle a pu acquérir dans ses activités précédentes. Synonymes : travailleur freelance nomade, chasseur-cueilleur d’activités.

Du coup, on est très proche de la figure de l’ “entrepreneur aventurier” des premiers temps du capitalisme, comme celle de Richard Cantillon (1680-1734), au 18ème siècle. On est aussi dans la même veine que la figure du “garage” comme lieu d’où émergent les plus grandes innovations (des entreprises comme Microsoft, Apple, Amazon, etc., ont débuté dans des garages).

Et le sac à dos est certainement un objet symbolique de notre société, de plus en plus nomade. Avez-vous déjà remarqué à quel point les projets de création de sacs à dos révolutionnaires et innovants sont nombreux sur les plateformes de crowdfunding ? Tapez “backpack” sur Kickstarter !

Exemple de la marque Prisma sur Kickstarter

Alors, concrètement, qu’est-ce que ça signifie ?

Le Backpack entrepreneur ne doit pas nécessairement choisir entre activités professionnelles et loisirs (ou engagement personnel).

Il a des compétences qu’il peut utiliser à tout moment. Parfois, il se fait rémunérer, parfois pas. Prenez l’exemple d’un créateur de sites web. Ca peut être son boulot principal, mais en plus de ça, il fait le site web de l’association de parents de l’école de ses enfants. Ou l’exemple du banquier qui est trésorier de son club de foot local.

Personnellement, j’ai souvent commencé des activités sous forme de loisirs, passions ou implication locale, sans rien gagner comme argent, pour ensuite – et sans l’avoir prévu – faire évoluer cela vers des activités rémunératrices. C’est ainsi que j’ai commencé le coaching CrossFit juste pour des amis, sans rien gagner, pour finir quelques années plus tard à posséder l’une des plus grandes salles “CrossFit” de Belgique (CrossFit Nivelles). Idem pour tout ce qui touche à la participation citoyenne : d’abord un engagement bénévole sur base de mes études en sociologie et des compétences acquises comme chercheur/consultant en politique, puis une activité rémunérée avec ma société Innovons.

Donc, si votre passion, c’est la photographie, ou la cuisine paléo, ou le jardinage. Faites-le, à fond, et faites “comme si” c’était votre travail (même si ça ne vous prend que quelques heures par semaine). Soyez “pro” dans ce que vous faites, et rajoutez des expériences dans votre sac à dos ! Qui sait si ces compétences ne seront pas utiles dans votre job principal ? Ou si ces activités ne deviendront pas carrément votre activité principale ?

De là découle le fait que :

Le Backpack entrepreneur accepte que l’avenir soit imprévisible.

On ne sait pas de quoi sera fait l’avenir. On ne sait pas quelles seront les compétences utiles dans 5 ou 10 ans. Plus vous avez une palette de compétences variées dans votre sac à dos, mieux c’est ! Plus encore : plus vous êtes habitués à transférer vos compétences d’un secteur à l’autre, plus vous serez à même de vous adapter aux transformations du secteur du travail.

Backpack entrepreneur, c’est un état d’esprit, un “mindset” comme on dit en anglais. C’est accepter l’instabilité du monde actuel, reconnaître que les administrations et les grosses entreprises ne sont pas adaptées à cette instabilité, et agir en conséquence, en adoptant le dispositif le plus léger possible : un sac à dos.

Pour reprendre les mots de Nassim Nicholas Taleb, le Backpack entrepreneur est anti-fragile, il se joue de l’instabilité. Chaque nouvelle expérience, bonne ou négative, lui apprend quelque chose, et lui permet d’améliorer les services/produits qu’il propose.

A contrario, l’employé qui dépend entièrement de la survie de son entreprise, avec peu d’espoir de reclassement si celle-ci ferme est très fragile (et combien de salariés qui travaillent actuellement depuis 20 ou 30 dans des entreprises qui délocalisent de plus en plus leurs activités, ne sentent pas une épée de Damoclès – figure de la fragilité – pendue au-dessus de leur emploi, et donc de leur avenir).

Le Backpack entrepreneur peut constamment s’adapter à son environnement

Dans le domaine du tourisme, ce que recherche le voyageur “backpack”, c’est de ne pas être prisonnier d’un voyage organisé, avec réservation d’hôtel, visites prédéfinies, etc. L’endroit où il est ne lui plaît pas ? Il peut aller ailleurs. Pas de risque d’avoir réservé 15 jours un appartement dans un immeuble qui s’avère en chantier, ou de s’être fait avoir par un Tour operateur bidon.

Le Backpack entrepreneur n’est pas prisonnier d’un plan de carrière : il peut explorer le monde du travail et se réorienter constamment. Pas de risque d’être engagé pour une fonction ou un poste qui pourrait s’avérer désuet ou inadapté au secteur quelques années plus tard.

Etre Backpack entrepreneur, c’est aussi abandonner l’illusion “téléologique” (du grec “Télos” : fin, but), c’est-à-dire l’illusion qu’on sait où on va. L’idée qu’une carrière peut encore être prévue, avec une évolution en 10, 20, 30, 40 ans et puis la retraite, ne vaut plus que pour certains secteurs très spécifiques (armée, police, enseignement…). Et encore !

Devant constamment se réorienter, décider s’il part par-là ou par-là, le Backpack entrepreneur a plus de chances d’être toujours up-to-date et à la pointe des innovations dans son secteur.

Le Backpack entrepreneur ne se définit plus par une fonction

Pour Aristote, déjà, était libre, celui qui ne basait pas son identité sur sa profession. Le monde du travail a généré tout un ensemble de dénominations de postes, jusqu’à l’absurde. Certains postes sont eux-mêmes, en soi, absurdes. C’est tous ces “bullshit jobs”, ces “métiers à la con”, dont j’ai déjà parlé ici. On trouve même des générateurs de noms de postes absurdes sur le net : “Product Interactions Analyst”, “International Solutions Coordinator”, etc., sans parler du très vague et classique “chargé de mission” dans les secteurs associatif et administratif.

L’idée de l’entrepreneuriat “backpack”, c’est de ne pas se laisser définir par une description de job, une fonction, mais plutôt de développer un ensemble de compétences et une manière de faire, qui vous distingueront. C’est aussi ce qu’on appelle le “Brand Called You” : vous êtes votre propre marque (de services).

Le Backpack entrepreneur risque probablement moins le bore-out

Le burn-out touche 10% des travailleurs ; le bore-out près de 30%, selon Christian Bourion (2016). Le bore-out ? C’est-à-dire l’ennui, le manque de satisfaction.

Et c’est précisément cela qui plaît, je crois, à ces fameux Millenials, dans l’approche “backpacking” du monde du travail. Selon une étude (Odesk.com) faite en 2013 auprès de 3000 Freelances dans le monde, dont 2/3 étaient de cette génération de Millenials :

  • 69% trouvaient dans le statut de freelance, la possibilité de travailler sur des projets intéressants ;
  • 92%, la possibilité de travailler où ils voulaient ;
  • 87%, la possibilité de travailler quand ils voulaient.

Etre Backpack entrepreneur, c’est la possibilité de travailler où on veut, quand on veut, avec qui on veut, sur ce que l’on veut.

D’où l’intérêt de tous ces lieux qui émergent, ces espaces partagés de coworking, où se croisent des personnes aux profils variés : freelances, artistes, artisans, citoyens. L’intérêt de ces lieux est non seulement de décloisonner ces secteurs et que des synergies puissent émerger entre ces profils, mais aussi d’héberger des personnes qui sont tout cela à la fois, des “Slashers” artisans-artistes-freelances-engagés. C’est l’exemple du Monty à Genappe, que je connais bien, puisque très récemment, j’ai contribué, mon sac sur le dos, au montage du projet…

Le Backpack entrepreneur peut être au service d’une mission plus grande

Je ne pense pas qu’on soit vraiment un entrepreneur si le seul but est de gagner de l’argent. Mieux vaut alors être haut fonctionnaire, politicien, chanteur pop, top manager d’une société cotée en bourse ou trafiquant de drogue.

Il y a, dans l’entrepreneuriat, une volonté de faire changer les choses, de proposer quelque chose de nouveau, d’innovant, d’améliorer le monde avec un service, un produit, une idée, d’apporter une plus-value.

Je crois que c’est encore plus vrai lorsqu’on évolue juste avec son sac sur le dos, et une poignée de compétences à mettre en avant. D’où le fait que beaucoup de Backpack entrepreneurs sont assez proches de l’entrepreneuriat social, du monde associatif, des collectivités, des projets “en transition”. Etre Backpack entrepreneur, c’est avoir la possibilité de mettre ses compétences au service d’une mission, d’un but social, plus large que de faire gagner de l’argent à des actionnaires, quand bien même, vous seriez l’actionnaire principal de votre entreprise.

Je ne suis pas au service de la mission de mon entreprise ; mon entreprise (ou mon statut de freelance) est au service de la mission que je me donne, moi, en tant que citoyen.

En fait, mon entreprise (“Innovons” en l’occurrence), c’est juste un numéro de TVA que j’ai dans mon sac à dos, et qui me permet d’exécuter les tâches que j’aime faire, et que je crois utiles à la société, de manière légale et déclarée. Un peu comme un passeport, qui permet de voyager où l’on veut, muni de son sac à dos !

Pour finir, quelles sont les qualités du Backpack entrepreneur ?

  • La curiosité et l’ouverture d’esprit
  • La capacité d’adaptation (son “fitness”)
  • La pluralité et la flexibilité des compétences
  • Un “mindset” entrepreneurial
  • Un esprit orienté “solutions”
  • L’habitude d’avancer par essai et erreur
  • Une hyperactivité, un trouble du déficit de l’attention, ou tout autre trouble erronément traité médicalement, sont certainement des atouts précieux.

Et si ma société grandit ?

Tout comme le voyageur “backpack” ne voyage pas nécessairement seul, être Backpack entrepreneur ne signifie pas bosser tout seul. J’espère pouvoir assez vite m’entourer de collaborateurs/trices qui seront également dans cet état d’esprit, et c’est d’abord à ce qu’ils ont dans le sac à dos que je m’intéresserai (plutôt qu’à des diplômes ou des postes occupés).

Et puis, même si j’étais amené à engager un salarié, c’est le même état d’esprit que je rechercherais…

Alors, et vous, qu’est-ce que vous avez dans votre sac à dos ? Et que voudriez-vous en faire ?

(A lire aussi, sur le même sujet, mon article :”Comment changer d’activité professionnelle en 4 étapes ? … (et que signifie « suivre sa passion ») ?

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