Devenez Backpack entrepreneur !

Faire toute sa carrière professionnelle dans une grande entreprise, ou – pire – dans une administration, n’attire plus grand monde. Toutes les analyses relatives au travail le montrent, les plus jeunes ont un rapport différent au travail : ils changent plus souvent de jobs, n’hésitent pas à travailler dans un domaine autre que celui de leurs études, et sont attirés par le statut d’(auto-)entrepreneur.

Surtout, on voit de plus en plus de personnes multiplier les activités rémunératrices : enseignant la journée et musicien le soir, consultant la semaine et artisan-menuisier le week-end, policier et coach sportif, informaticien et photographe, coiffeur et DJ, etc., etc., etc. On en connaît tous. Les exemples cités existent d’ailleurs réellement dans mon entourage. C’est ce qu’on appelle les “Slashers” : architecte/barman/photographe. “One person, multiple carreers(une personne, plusieurs carrières), du nom du livre de Marci Alboher sur la question. Les appellations sont elles aussi multiples : on parle également de “Portfolio carreer” et de “donjuanisme professionnel“. Et c’est typique de cette fameuse Generation Flux, dont parle souvent Fast Company.

Moi, j’aime bien l’idée de “Backpack entrepreneur” (“backpack” = sac à dos en anglais). C’est précisément le mode de “travail” que j’expérimente actuellement (sur le net plus qu’ailleurs, ne faites confiance qu’à ceux qui expérimentent leurs conseils sur eux-mêmes !).

Je préfère cette idée à celle de “casquette” : “avoir plusieurs casquettes”. En particulier, parce qu’on ne peut porter qu’une casquette à la fois (ou alors on a l’air ridicule). On me pose souvent cette question : “Oui, mais là, tu interviens avec quelle casquette ?” Sociologue ? Coach ? Enseignant ? Community manager ? Citoyen engagé ? … Comme si on ne pouvait porter qu’une de ces casquettes à la fois. Comme si mes compétences et expériences de sociologue ne me servaient pas en tant qu’enseignant ou que coach, comme si ce que j’avais appris comme enseignant ne me servait pas comme coach ou dans mes engagements personnels, etc. Continue reading Devenez Backpack entrepreneur !

Genappe au fil des âges industriels. Résilience et atouts pour une économie collaborative

Crédit photo : Emmanuel Wanty

Crédit photo : Emmanuel Wanty

Et si l’Histoire de Genappe, du Moyen-Âge à aujourd’hui, était une source d’inspiration pour répondre aux enjeux à venir ? Et si son dynamisme passé constituait la force de sa résilience face aux changements économiques, climatiques et sociaux ?

(Remarque pour le lecteur non-genappois : je crois que le texte peut être relevant par rapport aux enjeux actuels, même si on n’est pas de Genappe)

Lorsque les villages du grand Genappe apparaissent dans l’Histoire (7ème – 8ème siècle pour Vieux-Genappe, 11ème siècle pour Genappe et Baisy), l’économie est celle de l’époque féodale. Les seigneurs sont propriétaires de la plupart des terres, mais la gestion de ces terres est régie par différents systèmes de partage. Existait effectivement un droit collectif sur les biens privés.

Ainsi, le « droit de vaine pâture » permettait aux paysans de faire paître leurs bêtes sur les terres des propriétaires féodaux, entre la moisson et le labour, et sur les terres en jachère.

A côté de cette « vaine pâture » existait la « vive pâture », qui s’exerçait sur les terres qui n’appartenaient à personne, c’est-à-dire à tout le monde : les « communaux ».

Dans un cas comme dans l’autre, les plus pauvres pouvaient donc entretenir quelques bêtes sans posséder de terres. Partout en Europe, explique Rifkin (2014 :50), l’agriculture féodale est structurée sur un mode communautaire : « les paysans unissaient leurs lopins individuels dans des champs ouverts et des pâturages communs qu’ils exploitaient collectivement ».

Genappia - Gramaye

Dans leur travail sur le cadastre de Genappe, Philippot et Detienne (2005 :48-49) montrent que de telles « terres communes » existaient probablement à Genappe jusqu’au 17ème siècle, sous forme de « warichets » ou « warissay ». Ils en décrivent trois : le « warissay du maret » bordant « l’estanshe du vivier du maret », c’est-à-dire au-dessus de l’actuelle rue Emile Vandevandel, le « warichay proche [du] ruisseau à Ronelle » à l’abord de Ways, et le « petit warissay proche de la planche » en bordure de Dyle, probablement entre les rues actuelles Nicolas Lebrun et Château de Lothier.

Toujours selon Rifkin (2014 :50), « les communaux ont impulsé la première pratique primitive de la prise de décision démocratique en Europe. Des conseils paysans étaient chargés de superviser l’activité économique : les semailles et les moissons, la rotation des cultures, l’usage des ressources en bois et en eau, et le nombre d’animaux qui pouvaient paître sur les pâturages communs ».

Si à l’époque, la propriété n’était pas une possession personnelle exclusive, c’est parce que ça correspondait à une vision du monde : tout ce qui était sur Terre était la création de Dieu.

Mais au début du 16ème siècle, tout change ! D’abord dans l’Angleterre de Tudor, puis dans le reste de l’Europe. C’est le « mouvement des enclosures » : les terres détenues en commun commencent à être clôturées, ou du moins délimitées avec des haies. La terre devient une propriété privée qui s’échange sur les marchés. Deux phénomènes en sont la cause : 1. La hausse du prix des denrées alimentaires due à l’augmentation de la population des villes ; 2. L’industrie textile naissante qui fait monter le prix de la laine : très vite, cela devient plus lucratif pour les propriétaires fonciers de clôturer leurs terres et de les réserver exclusivement à l’élevage des moutons (Rifkin, 2014 :52).

C’est cela qui fera dire à Thomas More, dans son « Utopie » (1516), à propos des moutons : « Ces bêtes, si douces, si sobres partout ailleurs, sont chez vous tellement voraces et féroces qu’elles mangent même les hommes, et dépeuplent les campagnes, les maisons et les villages ».

C’est ce mouvement des enclosures qui institue véritablement l’idée moderne de propriété privée, et qui permet la transition d’un système féodal à l’économie de marché moderne. Un système administratif et juridique est également nécessaire, afin d’assurer à qui appartient chaque propriété. C’est donc plus ou moins à la même époque qu’apparaissent les premières formes de « cadastre », tel qu’on l’entend actuellement. A Genappe, nous avons un exemple avec le « Mesurage de la ville et franchise de Genappe », fait par l’arpenteur Guillaume Gilbert en 1633, et présenté par Philippot et Detienne (2005). La fameuse carte Ferraris, de 1777, montre également très distinctement les haies délimitant les parcelles (image ci-dessous). Continue reading Genappe au fil des âges industriels. Résilience et atouts pour une économie collaborative

Interview à propos de la “Génération Y”

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Dans son supplément week-end (“Deuzio”), le journal Vers l’Avenir propose un dossier “Génération Y : Profiter sans posséder“, dans lequel je suis interviewé. 

Extrait :

“Des fainéants les 20-35 ans ? Faux, selon Yves Patte : “Ce sont des travailleurs et ils sont créatifs, mais le système économique actuel ne peut plus leur promettre l’épanouissement futur, comme c’était le cas pour la génération de leurs parents.” Les jeunes ne pouvant plus reporter l’épanouissement à plus tard, ils le cherchent dans leur quotidien, notamment via un métier qui leur plaît.” 

L’article se poursuit sur quelques conseils en matière de collaboration ou d’économie du partage : co-voiturage, vêtements de seconde main, partage des outils, boîtes à lire, jardins collectifs, etc…

Pour participer à ces projets de partage et de collaboration, au niveau local, je vous conseille d’aller sur réseautransition.be. A Genappe, c’est à Genappe en Transition que ça se passe ! On y développe une coopérative de produits en vrac, des projets de jardins collectifs, etc.

Un exemple concret de partage d’objets, plutôt que de possession ? Usitoo : emprunter des objets qu’on utilise que très rarement (coupe haies, appareil à fondue, etc.) plutôt que de les acheter…

Tout ça rejoint les travaux que je mène actuellement sur les notions d’empowerment et d’anti-délégation : s’épanouir dans son travail, ce n’est pas “se la couler douce”, c’est reprendre en main ses conditions de travail, et ne pas subir en attendant un hypothétique épanouissement ultérieur. Ce n’est plus remettre son destin professionnel dans les mains d’un patronat ou d’un Etat, c’est construire sa propre carrière.

Sur le même sujet, j’ai écrit :

Comment changer d’activité professionnelle en 4 étapes ? … (et que signifie « suivre sa passion » ?)

Il semblerait que nous soyons dans une époque où nous aimons changer d’activité professionnelle. Selon une étude récente aux Etats-Unis, un étudiant aura occupé entre 10 et 14 emplois différents avant d’atteindre ses 38 ans ! Et d’autres chiffres montrent que de plus en plus d’adultes reprennent des études.

La perspective de “faire carrière” dans une entreprise ou une institution ne fait plus rêver. Même celles et ceux qui ont des métiers “prestigieux” envisagent souvent une reconversion, et il n’est pas rare de voir un architecte qui voudrait devenir œnologue, ou un juriste qui se lance dans un food truck d’alimentation bio.

En y réfléchissant, à chaque fois que j’ai fait évoluer mon activité professionnelle (en résumé : sociologie – sport – entrepreneuriat), j’ai suivi les mêmes étapes. Et les voici :

ETAPE 1 : SOYEZ HYPER CURIEUX

Partons d’une première étape où vous auriez envie de changer de boulot, mais vous ne savez pas vers quoi aller. Vous lisez partout qu’il faut “suivre ses passions”, mais vous n’avez pas l’impression d’avoir une passion qui vous anime au point de quitter votre job pour vous y consacrer… Voici mon conseil : soyez hyper curieux, hyper ouvert, on ne sait jamais ce qu’on peut découvrir au hasard d’un magazine, d’une émission télé ou d’une discussion.

Ca a toujours été, pour moi, la première étape de tout changement professionnel. Par exemple, lorsque j’étais chercheur en Sociologie, j’allais tous les mois à Paris, pour participer à un séminaire mensuel d’un groupe de jeunes chercheurs que nous avions créé, avec entre autres Vincent Goulet et Julie Sedel, qui sont maintenant des sociologues renommés en sociologie des médias. J’adorais nos discussions et nos travaux. Et j’adorais aller à Paris.

Parallèlement, j’avais commencé à pratiquer un peu de musculation chez moi, juste pour m’entretenir et rester en bonne condition physique. Un jour, en revenant de Paris, je traînais dans la gare du Nord, en attendant mon Thalys. J’avais l’habitude d’acheter un magazine ou un journal pour le trajet du retour, et en tant que sociologue, ça tournait souvent autour du “Monde diplomatique”, du “Courrier international” ou de la presse française, comme “Le Monde” ou “Libé”… Mais un jour, je suis tombé sur la couverture de “Muscle & Fitness“, un magazine de musculation/body building. Honnêtement, je n’aurais jamais acheté cela chez moi. Cette espèce de honte à acheter un magazine avec un mec torse nu, épilé, bronzé et huilé… You know… Le regard un peu moqueur du libraire… Mais là, j’étais loin de chez moi, dans cette gare où je ne connaissais personne. Et j’étais curieux. Et ça a été une révélation !! J’ai été fasciné par tout ce que je pouvais apprendre muscfit_march08coverdans ce magazine. Surtout, il y avait tellement de choses sur le fonctionnement métabolique et sur l’alimentation que je ne comprenais pas, que ça éveillait encore plus ma curiosité. Si on passe au-dessus du culte du corps valorisé dans ce magazine, et du silence évident par rapport au dopage, le contenu est extrêmement intéressant pour toute personne qui pratique la musculation ou le fitness. Bref, le trajet du retour est passé en un clin d’œil ! A partir de ce moment-là, j’ai acheté “Muscle & Fitness” chaque mois. Et c’est dedans que, 3 ans plus tard, j’y ai lu un article qui parlait… du CrossFit. Et par curiosité, j’ai essayé l’entraînement qui était proposé.

Plus ou moins 2 ans après la découverte du CrossFit, je suis à cette époque coach CrossFit à CrossFit Brussels, après mes heures de boulot comme enseignant, et j’ai un blog qui fait la promotion de cette méthode d’entraînement (je reviendrai dans la suite du texte sur les étapes entre la découverte du CrossFit et le fait d’être coach). Reebok France m’appelle pour participer au lancement de la campagne Reebok CrossFit, à Paris. Moment génial. Et de super rencontres, avec des CrossFitteurs qui sont maintenant devenus des amis et collègues.

Qui dit Paris, dit, pour moi, gare du Nord, et donc : Thalys, traîner dans la gare, librairie… Et toujours cette habitude d’acheter un magazine à lire pour le retour. Et je tombe sur le magazine américain “Fast Company“. Un magazine orienté business, entrepreneuriat, marketing, innovation. J’achète, par curiosité. Et bim ! Deuxième révélation ! Fa-sci-nant : plein de choses que je ne comprenais pas !! Et le trajet-retour qui passe de nouveau en un clin d’œil. Depuis, j’ai acheté “Fast Company” pratiquement chaque fois que j’ai pu le trouver. Trois ans après, j’ai créé mon GenerationFluxentreprise, ouvert ma propre salle CrossFit (CrossFit Nivelles), créé une marque de vêtements (Forty-Nine Clothing) et une marque de produits/services alimentaires paléo (O-Food), avec deux associés. Et pratiquement tout ce que j’ai fait dans ce cadre-là est de près ou de loin influencé par ce que j’ai lu dans ce magazine. J’y ai aussi découvert que mon parcours est typique de celui de la “Generation Flux”, concept inventé par ce magazine. J’ai publié plusieurs articles sur la question et l’ouvrage que je rédige actuellement en est fortement inspiré. Le concept de Backpack Entrepreneur est le fruit de ces lectures également.

J’étais gérant d’une salle CrossFit lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la transition et à la démocratie participative. D’abord en lisant des articles, des livres, et puis en intégrant des projets locaux. Maintenant, la moitié de mes activités professionnelles concernent la transition, les mouvements citoyens et la démocratie participative.

Donc, soyez curieux ! Ouvrez des magazines spécialisés dans des domaines que vous ne connaissez pas, flâner dans les librairies et les bibliothèques, profitez pleinement de la sérendipité que permet le Net : découvrir des choses par hasard, cliquez sur des liens improbables, surfez sur Wikipedia de lien en lien, participez à des groupes et des projets locaux, vous ne savez jamais sur quoi vous pourriez tomber… Continue reading Comment changer d’activité professionnelle en 4 étapes ? … (et que signifie « suivre sa passion » ?)

Le phénomène des “jobs à la con” et les voies de sortie…

 

On the Phenomenon of Bullshit Jobs” est un petit pamphlet qui fait actuellement le buzz sur le net. Ce “Phénomène des jobs à la con”, tel que l’a traduit Libération, a déjà été vu par plus de 500.000 personnes, et constitue un bon point de départ pour une série d’articles que je compte publier sur les notions de “travail”, de “salariat” et d’ “Etat”…

Son auteur n’est autre que l’anthropologue, et activiste anarchiste, David Graeber, de la London School of Economics. Graeber est, entre autres, l’auteur de “Fragments of an Anarchist Anthropology“, dans lequel il aborde déjà la question des fondements esclavagistes du salariat et du capitalisme.

Dans cet article récent, Graeber décrit tous ces emplois – souvent de bureau – faits de tâches inutiles et vides de sens. Au cours du 20ème siècle, démontre-t-il, le nombre d’emplois “de production” n’a fait que chuter, grâce ou à cause de l’automatisation… Nous produisons toujours davantage, avec moins de personnes nécessaires, mais sans que cela nous ait, individuellement et collectivement, libéré du temps libre.

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