Brève réflexion sur les partis “citoyens” (en réponse à un article du Soir)

J’avais envie de réagir à l’article du journal Le Soir intitulé “Les listes citoyennes: des listes ‘déguisées’?” … Je crois que le journaliste passe à côté de l’essentiel : ce n’est pas en regardant QUI est sur une liste qu’on peut dire si elle est “citoyenne” ou pas.
 
1. Parce que ça amène à des discussions interminables sur la définition de “citoyen”. Qui sont les “citoyens” ? Et par conséquent, qui ne l’est pas (ou ne l’est plus) ? Quelqu’un qui a déjà un mandat est-il encore un citoyen ? Oui, non, pourquoi ? Bref, aborder la question sous cet angle-là, c’est transformer la citoyenneté en une identité : certains le seraient, d’autres ne le seraient pas. Et c’est la course à la liste qui compte le plus de “citoyens”…
 
2. Parce qu’aux élections communales, les partis, même les plus traditionnels, doivent toujours remplir leur liste avec des personnes qui sont tout à fait nouvelles en politique. Soyons honnêtes, au quotidien, dans certaines communes, les locales des partis (même du PS, du MR, du CDH ou d’Ecolo, et d’autant plus s’ils sont dans l’opposition) ne comptent pas plus de 7 à 10 personnes actives, qui participent aux réunions, préparent les conseils communaux, alimentent le site et la page Facebook de la locale, etc. Du coup, s’ils doivent constituer une liste complète, ces partis doivent y intégrer de nombreux habitants de la commune, tout à fait novices en politique qui, pour beaucoup, ne faisaient pas partie du parti quelques mois auparavant. Ca a toujours été comme ça. Ca n’en fait pas une liste “citoyenne”. Ca s’appelle juste “trouver assez de personnes pour proposer une liste complète”…
 
NON, à mon sens, et c’est ce que j’ai essayé d’expliquer dans cette carte blanche, dans Lalibre.be, “Les partis ‘citoyens’ sont-ils bien sincères?“, un parti est “citoyen” s’il permet à l’ensemble de la population d’exercer son rôle de citoyen.
 
C’est-à-dire : ce n’est pas parce qu’il y a 5, 10 ou 15 “citoyens” au sens de “personnes qui n’ont jamais fait de politique” sur la liste, que c’est un parti “citoyen”. C’est un parti “citoyen”, si ce parti permet à 100% des habitants de la commune de jouer leur rôle de citoyens…
 
Donc, les questions à se poser sont : comment ce parti propose-t-il de gouverner ? Que met-il en place (avant même les élections !) en matière de participation citoyenne ? Comment propose-t-il de consulter la population ? A quelle fréquence ? Quels sont les dispositifs de participation citoyenne qui sont mis en place : ateliers urbains, budget participatif, conseils consultatifs, comités d’accompagnement, commissions de rénovation, comités de quartiers, maisons de la participation, échevins de la participation, etc….
 
Demandez-vous : qui va décider après les élections dans votre commune ?
 
▪️ le collège tout seul ? 👉 ce n’est pas un parti citoyen.
 
▪️ les ministres régionaux et fédéraux du même parti que la majorité ? 👉 ce n’est pas un parti citoyen.
 
▪️ le président du parti de la majorité ? 👉 ce n’est pas un parti citoyen.
 
▪️ l’ensemble des habitants de la commune ? 👉 Bingo ! Il y a des chances que ce soit un parti citoyen !
 
En somme, c’est dans la mesure où un parti s’engage à permettre à l’ensemble des habitants de reprendre en main les commandes de leur commune, grâce à des processus participatifs au quotidien, que ce parti peut réellement mettre en avant l’aspect “citoyen” de sa démarche…

Au coeur de la démocratie : le tirage au sort !

En pleine période électorale (en Belgique), il est intéressant de se rappeler que l’élection n’est, à la base, pas un procédé démocratique. Aristote, comme Montesquieu ou Rousseau, percevaient l’élection comme typique de l’oligarchie (Aristote) ou de l’aristocratie (Montesquieu).

Ces grands penseurs de la démocratie faisaient reposer celle-ci sur le principe du tirage au sort. De fait, cette manière de faire était au fondement de la démocratie, puisque c’était déjà utilisé sous Solon (640-558 av. JC.), à qui on attribue (à tort ou à raison) l’instauration de la démocratie athénienne.

Pourquoi le tirage au sort ?

1. Parce que la démocratie postule que tout le monde a la capacité de participer à la gestion de la Cité. La démocratie ne demande pas de compétences spéciales.

2. Parce qu’il faut une alternance entre les gouvernés et les gouvernants. L’élection pourrait induire le fait qu’on réélise toujours les mêmes (sans blague ??). Aristote l’expliquait très bien…

[Extrait  “Tous les citoyens doivent être électeurs et éligibles. Tous doivent commander à chacun, et chacun à tous, alternativement. Toutes les charges doivent y être données au sort, ou du moins toutes celles qui n’exigent ni expérience ni talent spécial. (…) Nul ne doit exercer deux fois la même charge, ou du moins fort rarement, et seulement pour les moins importantes, excepté toutefois les fonctions militaires. Les emplois doivent être de courte durée, sinon tous, du moins tous ceux qui peuvent être soumis à cette condition.”

Bref, le tirage au sort permet une alternance des dirigeants.

3. On ne peut pas prévoir à l’avance si quelqu’un va être un bon dirigeant ou pas. Donc, autant laisser le sort choisir. MAIS par contre, ce dirigeant tiré au sort sera jugé sur sa gestion, tout au long de son mandat.

Très clairement, si Aristote, Montesquieu et Rousseau observaient notre système actuel, ils ne le percevraient pas comme “démocratique” :

  • On est plus dans une “technocratie” (qui est une forme d’oligarchie) très peu participative, dans laquelle la population est désappropriée de son pouvoir de décision au profit d’une classe d’experts et de “professionnels de la politique”.
  • Il y a très peu d’alternance au pouvoir.
  • L’élection implique un choix “a priori” sur base d’un programme ou d’une bonne tête. Par contre, une fois élu, le mandataire jouit d’une immunité formelle et informelle, qui fait qu’il est très difficilement éjectable (sous prétexte précisément qu’il a été élu).

Aux prochaines élections communales, la liste Kayoux-OLLN utilise pleinement ce principe du tirage au sort. Je ne peux qu’espérer que d’autres partis (citoyens) s’en inspireront !

Parution : Carte blanche dans La Libre Belgique sur les partis citoyens

Parution, dans La Libre Belgique, de ma carte blanche intitulée “Les partis ‘citoyens ‘ sont-ils bien sincères ?” (titre du journal). L’idée centrale : un parti peut se dire “citoyen” si, et seulement si, il nous permet de jouer notre rôle de citoyens et citoyennes. 

Autrement dit, il ne suffit pas de se dire “citoyen”, ni de reprendre des préoccupations portées par les mouvements citoyens, il faut proposer un modèle de société qui permette aux citoyens d’être pleinement des citoyens… sinon ce n’est que #bullshit électoral et #citizenwashing.

La participation citoyenne est au coeur de l’idée de démocratie, depuis les tout débuts à Athènes. Pas de démocratie sans citoyens. Et pas de citoyens sans démocratie. D’où l’importance des procédures consultatives, des ateliers urbains, du principe de tirage au sort, des moyens de révoquer l’élu en cours de mandat, du non-cumul, de la limitation des mandats dans le temps, de la rotation rapide des élus, de la non-professionnalisation du politique, etc. Bref, c’est sur ces choses-là que nous jugerons de la sincérité d’un parti qui se dit “citoyen”.

Si ça vous parle, n’hésitez pas à partager, auprès des listes et candidats dans vos communes, pour les prochaines élections. Ne soyons pas dupes. Exigeons de pouvoir jouer notre rôle de citoyens.

Et au plaisir de lire vos commentaires !

Lien : http://www.lalibre.be/debats/opinions/les-partis-citoyens-sont-ils-bien-sinceres-5b67358955324d3f13c4d595

Référence (version papier) : Patte, Y. 2018. “‘Citoyen’ Vraiment ?”, La Libre Belgique, 6 août 2018, p. 40.

Aristote sur le cumul des mandats à Carthage

En Belgique, une part de plus en plus grande de la population souhaite que les élus cumulent moins de mandats et de fonctions politiques dérivées. Un groupe comme Cumuleo fait un travail admirable à ce niveau-là… Mais les élus s’accrochent à leurs fonctions. Le problème n’est pas nouveau, c’est juste que ces élus n’ont pas compris ce qu’était la démocratie.

Piqûre de rappel avec Aristote, à propos de la Constitution de Carthage :

“On peut blâmer encore le cumul des emplois, qui passe à Carthage pour un grand honneur. Un homme ne peut bien accomplir qu’une seule chose à la fois. C’est le devoir du législateur d’établir cette division des emplois (…). Quand l’Etat n’est pas trop restreint, il est plus conforme au principe républicain et démocratique d’ouvrir au plus grand nombre possible de citoyens l’accès des magistratures; car l’on obtient alors, ainsi que nous l’avons dit, ce double avantage que les affaires administrées plus en commun* se font mieux et plus vite.”

Aristote prend un exemple intéressant : sur un champ de bataille, on ne cumule pas :

“On peut voir la vérité de ceci dans les opérations de la guerre et dans celles de la marine, où chaque homme a, pour ainsi dire, un emploi spécial d’obéissance ou de commandement.”

… de fait, si on cumulait à l’armée, comme on cumule en politique, une même personne serait en même temps Commandant dans l’armée de terre, Caporal dans l’armée de l’air, Sergent-chef dans la marine, et serait 3 jours par semaine déployée à Kaboul et le reste de la semaine de garde à la caserne à Marche-en-Famenne (pour visualiser un peu) 

Aristote poursuit en expliquant qu’à Carthage, comme ils cumulent, il s’agit davantage d’une oligarchie (que d’une démocratie). Et pour maintenir cette oligarchie, Carthage doit “enrichir continuellement une partie du peuple”, qu’elle envoie dans les villes colonisées (comprenez : à qui elle donne des privilèges).

Ce système est fragile, pour Aristote, qui pose la question de savoir ce qu’il se passerait si le peuple venait à se soulever contre ce gouvernement oligarchique.

Source : Aristote, La Politique, Livre II, chap. VIII, §8 [1273b].

* La prise de décision en commun est importante pour Aristote. Dans le Livre III, il dit également que “les individus isolés jugeront moins bien que les savants, j’en conviens, mais tous réunis, ou ils vaudront mieux, ou ils ne vaudront pas moins”. J’en avais parlé ici : https://goo.gl/o9dvGh

Comment définir la “participation citoyenne” ?

La semaine passée, les ateliers urbains se terminaient, à Genappe, autour de la Revitalisation de l’îlot Mintens. Ce processus participatif, lancé par la Ville de Genappe, et dont j’étais en charge, a permis à une vingtaine de riverains, commerçants, échevins et membres de l’administration de co-construire le quartier qu’ils voudraient voir au centre de Genappe.

La conception de la démocratie (participative) qui était derrière se résume pleinement, en une phrase… d’Aristote, écrite au 4ème siècle avec J.C., dans son célèbre “Politique”, l’une des références sur la démocratie athénienne.

[La phrase]* : “Les individus isolés jugeront moins bien que les savants, j’en conviens ; mais tous réunis, ou ils vaudront mieux, ou ils ne vaudront pas moins. Pour une foule de choses, l’artiste n’est ni le seul ni le meilleur juge, dans tous les cas où l’on peut bien connaître son oeuvre, sans posséder son art. Une maison, par exemple, peut être appréciée par celui qui l’a bâtie ; mais elle le sera bien mieux encore par celui qui l’habite ; et celui-là, c’est le chef de famille. Ainsi encore le timonier du vaisseau se connaîtra mieux en gouvernails que le charpentier ; et c’est le convive et non pas le cuisinier qui juge le festin.”

Il y a 2 idées centrales dans cette phrase :

#1. Un savant sait mieux qu’un profane. Mais collectivement, les profanes n’ont pas un avis moins bon qu’un savant (ou un expert). C’est exactement le principe de l’intelligence collective.

#2. C’est celles et ceux qui sont directement concernés qui doivent juger. Tout comme pour Aristote, la maison doit être jugée par celui qui y habitera et non par celui qui l’a bâtie, un quartier (ici un îlot) doit être jugé par celles et ceux qui y habitent, et pas par ceux qui le rebâtiront (les promoteurs immobiliers, les experts, etc.).

Cette phrase d’Aristote résume, à mon sens, deux des caractéristiques principales de ce qu’on appelle la “participation citoyenne” :

  1. l’intelligence collective
  2. que ceux qui sont concernés décident. #SkinInTheGame

… C’est cette phrase qui guide mon travail, avec ma société INNOVONS, en matière de participation citoyenne et de démocratie participative.

(il y a plein de choses qui découlent de la mise en commun de ces deux points, mais ça fera l’objet d’un article plus large) 

Si ça vous intéresse pour un projet, n’hésitez pas à me contacter : ensemble@innovons.eu 

*”Politique”, Livre III, chap. VI, 9, [1282a]

La participation, c’est…

 

La “participation” (citoyenne) recouvre tout un ensemble de conceptions, de pratiques, de procédures. Voici quelle en serait ma définition :

“La participation, c’est permettre aux gens de se mêler de ce qui les regarde”

Cette définition m’est venue à la lecture d’une citation du philosophe et poète, Paul Valéry (1871-1945) : “La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.”

… Du coup : la participation est-elle l’inverse de la politique ??

Vous avez une heure ! 😉  Three-Two-One… Go !

Les citoyens doivent-ils contrôler les politiques ? Réflexion sur la “dokimasie” à Athènes

Ce midi, l’émission radio #Débats1 (sur La Première – RTBF) posera cette question : “Les citoyens doivent-ils pouvoir contrôler les politiques ?”
 
… Voilà une question qui en apprend surtout beaucoup sur l’état de nos démocraties, comme si on avait oublié que ça en était, précisément, un des fondements.
 
On sait par exemple que les Athéniens considéraient le contrôle de l’exercice du pouvoir par le “démos”, comme un pilier du régime démocratique. Les dirigeants de la Cité étaient effectivement soumis à un contrôle strict de leur action.
 
Eschine (dans son fameux discours “Contre Ctésiphon”) explique :
Dans une Cité si ancienne et si grande, personne n’est soustrait à l’obligation de rendre ses comptes d’entre ceux qui touchent de près ou de loin aux affaires publiques“.
 
Et comme c’est souvent le cas, c’était institutionnalisé. Ca s’appelait la “DOKIMASIE” (en grec ancien : δοκιμασία), qui consistait en un examen approfondi du futur dirigeant, entre sa désignation et son entrée en fonction ! Aristote décrit très bien cette procédure dans sa “Constitution d’Athènes” (chap. LV) :
“Car tous les magistrats, soit désignés par le sort, soit élus, n’entrent en charge qu’après avoir été soumis à un examen”.
 
La dokimasie est conçue comme un garde-fou contre les effets non-désirés du tirage au sort, c’était une sorte d'”auto-contrôle du système” (Dabdab Trabulsi, 2006:204)*.
 
Mais sur quoi portait cet examen ? C’est là que c’est encore plus intéressant ! 😉 Sur :
  • La moralité de l’élu
  • Des questions fiscales : payait-il bien ses impôts ? Etc.
  • Sa loyauté démocratique (dont la protection des faibles, etc…)
  • Ou encore l’incompatibilité de certains cumuls ! (poke Cumuleo !!) 😉
La dokimasie permettait donc de s’assurer, avant même son entrée en fonction, que le futur dirigeant était avant tout un bon citoyen, et c’est une instance liée au Tribunal du peuple, qui s’en assurait.
 
Alors, oui, historiquement, les citoyens doivent pouvoir contrôler les politiques. C’est précisément le fait qu’on l’ait un peu perdu qui pose problème. Heureusement, des initiatives comme Cumuleo, Transparencia, Belvox viennent ramener un peu de fondement démocratique en Belgique, et sont suivis par de nombreux partis émergents, comme Oxygène pour ne citer qu’eux…
 
J’ai en tout cas hâte d’écouter cette émission !! 🙂
 
*Comme le rajoute Dabdab Trabulsi (2006), la dokimasie pouvait s’avérer être une forme d’ “ostracisme préventif”, contre les oligarques plutôt que contre les éventuels candidats à la tyrannie. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer brièvement ici l’intérêt de l’”ostracisme” pour assurer le renouvellement du pouvoir
 
Source : Dabdab Trabulsi, J.A. (2006) “Participation directe et démocratie grecque. Une histoire exemplaire ?”, Presses Univ. Franche-Comté.

Le charlatanisme participatif. Ou pourquoi je n’assisterai plus jamais à une réunion impliquant des post-it…

C’est devenu presque une évidence, toute réunion ou animation, tout séminaire ou atelier, doit impliquer : des post-it, des marqueurs de couleurs et de grandes feuilles blanches (des flip-charts) ! Et si possible un animateur-facilitateur-expert-en-intelligence-collective-et-animation-de-groupe

On fait une première réunion, et c’est très chouette, on s’amuse bien, on rigole, l’ambiance est bonne, et les dizaines de post-it rassemblés sous forme d’un arbre aux multiples branches ou d’une fleur aux multiples pétales sur le flip-chart donnent l’impression qu’on a bien bossé. Puis, une deuxième réunion, sur le même modèle, laisse l’impression qu’on avance déjà un peu moins bien, et certains commencent à se demander à quoi tout cela va-t-il servir (et qu’est-ce qui a été fait des premiers post-it). Et à la troisième réunion, il n’y a presque plus personne, et on se lamente sur le fait qu’il est devenu très difficile de mobiliser les gens à l’heure actuelle…

Soyons clairs : gérer un groupe n’est jamais une chose facile. Et bien que le « groupe » soit notre environnement tout à fait naturel, il s’agit d’un système extrêmement complexe (ou plutôt faudrait-il dire : parce que c’est notre environnement naturel, c’est un système extrêmement complexe). Tout cela pour dire que je ne blâme pas toutes celles et ceux qui essaient de trouver des solutions pour animer des groupes, et encore moins celles et ceux qui essaient de réunir des gens, en groupe, pour s’engager socialement, politiquement, environnementalement, etc.

Non, le ras-le-bol que j’ai – et que j’ai l’impression de partager avec de plus en plus de monde – c’est envers ces « animateurs-facilitateurs-experts-en-intelligence-collective-et-animation-de-groupe », as known as « charlatans en participation ».

Le charlatanisme, c’est l’art d’abuser de la crédulité publique, ici en l’occurrence de la crédulité de celles et ceux qui organisent des activités de groupe, et en particulier de la crédulité des mouvements citoyens, qui aspirent à davantage de participation dans leur fonctionnement interne – je vais donner un exemple concret et vécu juste après.

Au niveau médical, le charlatanisme, c’est de le fait de proposer à des malades des remèdes illusoires ou insuffisamment éprouvés en les présentant comme salutaires ou sans danger (art. 39, intégré à l’article R4127-39 du code de la santé publique, en France). Et dans nos démocraties « malades » (malades entre autres d’un manque de participation et d’implication de la population), il se trouve plein de charlatans disposés à proposer des remèdes tous moins éprouvés les uns que les autres. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment nouveau, Trotsky (1930) parlait déjà de « charlatanisme démocratique » lorsqu’on « vendait » aux ouvriers, la République démocratique, qui n’était pour lui, qu’une forme masquée de l’Etat-bourgeois, un « mensonge des dirigeants sociaux-démocrates ».

Un exemple concret…

Très récemment, j’assistais à une journée de réflexion sur les mouvements citoyens émergents. Etaient présents, un ensemble de mouvements et partis citoyens, des acteurs du changement, des porteurs de projets innovants vers plus de participation citoyenne, de transparence, etc.

Les organisateurs, pensant certainement bien faire, avaient invité un de ces « animateurs-facilitateurs-experts-en-intelligence-collective-et-animation-de-groupe ». Son animation portait sur l’ « intelligence collective »…

Nous avons donc reçu chacun 3 post-it (première étape obligée de toute animation de groupe). Sur chacun de ces post-it, nous devions écrire un mot évoquant pour nous l’ « intelligence collective ». Munis de nos 3 mots, nous devions former un groupe avec 3 ou 4 personnes autour de nous, et choisir au sein du groupe, à partir de nos 10-15 mots mis en commun, 5 mots liés à l’ « intelligence collective ». De là, chaque groupe se choisissait un représentant, qui allait proposer les 5 mots choisis en l’ensemble de l’assemblée, et de là ces représentants sélectionnaient 10 mots.

En une quinzaine de minutes, la quarantaine de participants avaient donc sélectionné, « collectivement », 10 mots liés à l’ « intelligence collective »…

… Bon, je passe tous les biais possibles et imaginables qui ont abouti au fait que finalement ce sont 2 personnes qui ont pris le lead pour trier et sélectionner l’ensemble des mots et en ressortir 10 (probablement les 2 personnes qui ont été chefs scouts quand elles étaient jeunes), mais surtout, l’ « animateur-facilitateur-expert-en-intelligence-collective-et-animation-de-groupe » concluait très fièrement avec un « Et bien, vous voyez, en une quinzaine de minutes, nous sommes arrivés à produire tous ensemble, une définition de l’intelligence collective ! » Et de s’applaudir en souriant (bêtement) !!

… SAUF QUE NON. Dix mots, ça ne fait pas une définition. Dix mots, ça fait dix mots. Point. Même pas une phrase. Pour une phrase, il faut des verbes, des articles, des négatives éventuellement. Et quand on rajoute tout cela, on se rend compte qu’on peut utiliser tout à fait les mêmes mots, et être en total désaccord. Autrement dit, avoir sélectionné dix mots, ce n’est encore aucunement s’être mis d’accord.

PIRE, il pose cette question : « Est-ce que tout le monde rentrerait en paix chez lui/elle avec cette définition de l’intelligence collective ? ». Pas d’objection de la part de la salle. Il se réapplaudit encore et dit, aux mouvements citoyens présents : « Vous voyez, l’intelligence collective, ça marche ! Et ça permet de mettre en œuvre la participation citoyenne ! »

… SAUF QUE TOUTE LE MONDE S’EN FOUT de sa (non-)définition de l’intelligence collective. Ça n’a aucune conséquence sur nos vies. On passe à la suite de la conférence et les dix-mots-qui-ne-formaient-pas-une-définition sont aussitôt oubliés. En somme, ça marche parce que ça ne sert à rien.

Les mouvements citoyens qui étaient présents, eux, vont devoir gérer de vrais problèmes, avec des vrais enjeux, et des gens qui jouent leur vie autour de ces enjeux. Le charlatanisme consiste à leur vendre une solution qui ne marcherait pas du tout dans ces cas-là.

« Quand un charlatan promet de guérir en peu de jours un ulcère invétéré, il prouve qu’il est un ignorant dangereux » (William Bunchan, 1783, dans son « Médecine domestique »).

Le Charlatan de la fable de La Fontaine

Le hasard a fait que quelques jours après, j’assistais à des réunions où précisément les participants « jouaient leur vie ». Il s’agissait de réunions sur des projets éoliens concrets. Pour que vous ayez une idée de l’ambiance : 3/4 des participants pensaient que la valeur de leur maison allait chuter de moitié à cause des éoliennes à proximité, qu’ils allaient devenir sourds à cause du bruit et que leurs enfants allaient développer de l’épilepsie à cause des effets stroboscopiques (et des chauves-souris allaient également être perturbées). Le quart restant pensaient qu’on allait tous subir les conséquences désastreuses du réchauffement climatique si on ne passait pas immédiatement aux énergies renouvelables comme l’éolien. Bonne ambiance, quoi. Continue reading Le charlatanisme participatif. Ou pourquoi je n’assisterai plus jamais à une réunion impliquant des post-it…

Energie, alimentation, participation citoyenne : Et si la transition était principalement une question d’échelle ?

Commençons avec l’exemple de l’énergie. Le modèle de production énergétique que nous avons connu depuis la fin du 19ème siècle est un modèle extrêmement centralisateur : une petite minorité qui produit de l’énergie pour une grande population.

Ce sont les énergies fossiles qui impliquent cela : les ressources fossiles sont localisées à certains endroits spécifiques du globe et leur transformation en énergie implique d’immenses moyens à mettre en œuvre : mines, puits de forage, pipelines, centrales, etc. Cela nécessite, comme l’explique Rifkin (2014), des compagnies intégrées verticalement, et gérées de façon extrêmement centralisées, pour pouvoir contrôler l’ensemble des opérations. Au final, quelques pays exportateurs de pétrole et quelques grosses multinationales produisent l’énergie que des milliards d’êtres humains consomment.

Notre modèle alimentaire n’est pas tellement différent. Le 20ème siècle a été une longue centralisation de la production alimentaire dans les mains d’une minorité toujours plus petite. Il suffit de regarder les statistiques liées à l’agriculture : toujours moins d’exploitations agricoles, mais des exploitations de plus en plus grandes. Cela se confirme, aux Etats-Unis, comme en France, en Belgique ou partout en Europe. Aujourd’hui, une grande partie de ce qu’on mange est produit dans d’immenses exploitations agricoles. Ainsi, la province d’Alméria, en Espagne, est devenue, avec ses 30.000 hectares de serres, “le potager de l’Europe” (selon une formule du Monde, 25.06.2007). Continue reading Energie, alimentation, participation citoyenne : Et si la transition était principalement une question d’échelle ?

Brève réflexion sur le renouvellement de la classe politique (à partir de l’Ostracisme de la démocratie athénienne)

Nos ancêtres grecs ont inventé une démocratie beaucoup plus complexe que celle que nous connaissons aujourd’hui. En aucune manière, nos Etats bureaucratiques ne témoignent de la finesse des procédures antiques.

Ainsi existait la procédure d’OSTRACISME (ἐξοστρακίζω) : une fois par an, le peuple était invité à décider s’il fallait écarter pour 10 ans, un dirigeant dont on craignait les ambitions. Il s’agissait de diminuer “une autorité trop fière d’elle-même”, “une puissance dont le poids était trop lourd” (Plutarque, “La Vie d’Aristide“). Aristote, dans “La Constitution d’Athènes“, décrira cette procédure comme étant “contre les chefs de parti trop puissants“.

En somme, il s’agissait d’une élection à l’envers : au lieu d’élire de nouveaux dirigeants, on votait pour écarter les dirigeants qui semblaient trop guidés par des intérêts personnels. Ca ne visait donc pas des illégalités commises mais plutôt des prétentions (réelles ou supposées). La Grèce antique avait donc prévu un mécanisme pour écarter ceux qui, bien que restant dans la légalité, étaient les auteurs d’actes peu éthiques, ou contraire à l’intérêt général.

Cette procédure avait lieu chaque année entre janvier et mars, au moment où les paysans venaient à Athènes pour vendre leurs produits (huile, blé, vin), afin de s’assurer qu’un maximum de personnes puissent voter. C’est d’ailleurs l’une des seules procédures qui ne passait pas par la Boulè, l’assemblée restreinte de citoyens chargés des lois de la cité, l’équivalent d’un Sénat actuel. C’était vraiment une décision du peuple.

Elle se déroulait en 2 temps : 1. L’épicheirotonie (dont le sens rejoint “à main levée”) : un vote en silence, sans débat, juste pour savoir s’il y avait lieu de condamner quelqu’un à l’ostracisme, sans citer de nom. 2. L’ostrachoporie : le vote définitif, dont la procédure consistait à écrire le nom de la personne à “ostraciser” sur des tessons ou des disques en céramique (photo ci-dessus) rappelant des coquilles d’huître (d’où l’origine du mot : “ostrakon”, coquille d’huître).

Il fallait 6000 votes pour que l’ostracisme soit décrété (soit 50% de la population des citoyens athéniens à l’époque).

L’ostracisme n’était qu’un éloignement temporaire (contrairement à l’exil définitif) : le dirigeant exclu restait un citoyen, et ne perdait pas ses biens. Il pouvait revenir à l’issue de sa période d’écartement. Il n’y avait rien d’irréparable.

Je vous laisse le soin d’imaginer l’intérêt actuel d’une procédure pour écarter du pouvoir durant 10 ans, les dirigeants trop assoiffés de puissance, ou trop guidés par leur intérêt personnel, même s’ils n’ont rien commis d’illégal au sens strict…

… l’intérêt aussi de pouvoir voter, une fois par an, pour retirer certains du pouvoir, lorsqu’ils s’y sont trop installés (“via négativa”), plutôt que de devoir attendre tous les 4 ou 5 ans pour uniquement faire accéder certains au pouvoir (“via positiva”)…

… l’intelligence, enfin, de laisser une telle procédure de destitution au peuple, et non aux élus, qui seraient amenés à se destituer les uns, les autres (ce qui amènerait au moins 2 risques : de basses stratégies, ou au contraire, une espèce d’inertie : aucun élu n’en destituant un autre, de peur d’être ensuite lui-même victime d’une telle destitution)…