Les “Devoirs” de Cicéron (5): Ne pas réagir à une injustice, c’est en commettre une !

Nous poursuivons avec les différentes facettes de la justice et de l’injustice chez Cicéron, en particulier dans son texte “Les Devoirs” [De Officiis].

Nous savons que la justice est ce qui prime chez Cicéron. Et que l’excès de loi pouvait amener paradoxalement à l’injustice.

Il rajoute un élément important – et donc on peut trouver une multitude d’exemples dans l’actualité : Ne pas réagir à une injustice, c’est en commettre une !

[#23] Celui qui ne résiste pas, ne s’oppose pas, alors qu’il le peut, à l’injustice, est en faute tout autant que s’il abandonnait ses parents ou ses amis ou sa patrie.

Et Cicéron essaye de comprendre pourquoi est-ce que certains ne réagissent pas aux injustices dont ils sont témoins. C’est ce qu’il appelle “l’injustice par omission” : Continue reading Les “Devoirs” de Cicéron (5): Ne pas réagir à une injustice, c’est en commettre une !

Les “Devoirs” de Cicéron (4): l’injustice comme exagération réglementaire

L’article précédent de cette série sur le texte “Les Devoirs” de Cicéron [De Officiis] portait sur le concept de justice, central chez Cicéron : “rien à l’homme ne doit être plus cher” que justice, écrivait-il.

Pour autant, Cicéron rajoute une limite fondamentale :

[#33] C’est pourquoi l’adage summum ius, summa iniuria : la limite extrême du droit, c’est le comble de l’injustice, est devenu un proverbe passé dans l’usage. En ce genre d’injustice bien des fautes sont commises, même dans les affaires publiques.

La limite extrême du droit, c’est le comble de l’injustice ! Cette phrase a fait l’objet de nombreuses “quotes” (comme l’image en couverture), avec des formules différentes : “The more laws, the less justice“, ou encore “Extreme justice is extreme injustice“…

L’idée est toujours la même et s’inscrit bien dans la conception très sensée et bienfaisante de la justice chez Cicéron. Trop de lois crée une absurdité, qui ne permet plus de prendre des décisions justes.

Bien plus tard, au 17ème siècle, Blaise Pascal reprenait, dans ses Pensées [#294], la même idée, mais en citant Tacite (historien romain, 1er siècle) :

“Autrefois nous souffrions de nos vices, aujourd’hui nous souffrons de nos lois“. (Ut olim vitiis, sic nunc legibus laboramus : Annales, III, 25.)

Dans un cadre plus sociologique, je conseille vivement le livre de Béatrice HibouLa bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale” qui explique précisément à quel point cette inflation législative (de plus en plus de lois) rend le monde absurde. Extrait : Continue reading Les “Devoirs” de Cicéron (4): l’injustice comme exagération réglementaire

Les “Devoirs” de Cicéron (3) : Justice, courage et bonne foi

Poursuivons avec cette petite série basée sur le texte de Cicéron : Les Devoirs [De Officiis] !

Pour rappel, les deux premiers textes portaient sur :

  1. Le concept de “phronèsis” : la connaissance doit permettre de prendre de bonnes décisions.
  2. L’idée que la vertu réside dans l’action.

La première division des “devoirs” concernait donc la connaissance de la vérité, qui devait être tournée vers l’action. La deuxième division est celle qui “maintient le lien social entre les hommes et, pour ainsi dire, la communauté de vie“.

Et ce “maintien de la communauté de vie” prime sur le reste :

[#158] tout devoir qui tend à sauvegarder les liens entre les hommes, et la société, doit être mis au-dessus du devoir qui consiste dans la connaissance et la science.

[#155] D’où l’on comprend qu’aux études et aux devoirs de la science, il faille préférer les devoirs de la justice: ils concernent l’intérêt de l’homme et rien à l’homme ne doit être plus cher.

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Les “Devoirs” de Cicéron (2) : La vertu réside dans l’action

Poursuivons dans cette série de petits articles sur Cicéron et son Traité des devoirs [De Officiis].

L’article précédent montrait que Cicéron mettait l’accent sur une forme de connaissance, “phronèsis“, orientée vers l’action, et en particulier vers des actions justes et profitables pour tout le monde.

C’est qu’en fait, chez Cicéron, aucune des vertus de la beauté morale ne renvoie à de la connaissance pure. Il est toujours question d’action.

Extraits :

[#153] la connaissance et la contemplation de la nature seraient en quelque sorte mutilées et inachevées s’il n’en résultait aucune action réelle; or cette action se voit surtout dans la sauvegarde des intérêts humains; elle concerne donc la société du genre humain; elle est par conséquent à placer au-dessus de la connaissance.

[#15] cette espèce de la beauté morale qui réclame une action et non pas seulement la réflexion de l’esprit.

Cicéron rajoute encore 2 précisions : Continue reading Les “Devoirs” de Cicéron (2) : La vertu réside dans l’action

“Les Devoirs” de Cicéron (1) : Le concept de “Phronèsis”

Voilà quelque chose que j’avais envie de faire depuis un petit temps : publier une série d’articles courts basés sur des extraits d’un de mes textes préférés : Le “Traité des Devoirs” [De officiis] de Cicéron… Ok, ça paraît chiant / intello, mais je vous jure que ce texte ne l’est pas du tout !! Je trouve ce texte très sensé, et surtout d’une universalité qu’on trouve assez rarement, c’est-à-dire que la manière avec laquelle il aborde les choses permet au texte de rester très actuel.

Il y a 7 ou 8 points que j’aimerais mettre en avant. Pour chacun de ces points, j’essaierai de faire le lien avec quelques questions actuelles. Et j’essaierai, via les réseaux sociaux (ma page Facebook & mon compte Twitter) de faire réagir quelques personnes d’intérêt.

Toutes les citations proviennent de la version du texte que j’ai en ma possession : Cicéron, Les Devoirs, Livre I, Paris : Editions “Les Belles Lettres”, 1965.

Premier extrait à propos de la “Phronèsis”… vous ne savez pas ce que c’est ? Et bien, c’est bien ça le problème !! Voilà un concept qu’on a tout à fait perdu ! Et pourtant…

Extrait de Cicéron :

La première de toutes les vertus est cette sagesse que les Grecs appellent σοφία (“sophia”).  Sous le nom (…) de prudence que les Grecs appellent φρόνησις (“Phronesis“), nous entendons une autre vertu qui est la science des choses à rechercher et des choses à éviter.

Explication :

Voilà une nuance qui semble tout à fait s’être perdue : la meilleure traduction de phronèsis est probablement la “sagesse pratique“, voire la “prudence dans la prise de décision”.

Quelques siècles avant Cicéron, Aristote avait déjà fait de la phronèsis, une de ses vertus intellectuelles (dans l’Ethique à Nicomaque) : “Ce qui caractérise l’homme prudent, c’est la faculté de délibérer avec succès sur les choses qui lui sont bonnes et avantageuses (…) qui peuvent contribuer, en général, au bonheur de sa vie.

Aristote rajoute : “Voilà pourquoi nous regardons Périclès et ceux qui lui ressemblent, comme des hommes prudents, parce qu’ils sont en état de voir ce qui est bon et avantageux pour eux-mêmes et pour les autres; et nous les croyons capables de diriger avec succès les affaires d’une famille, et celles d’un état“.(1)

Ce qui est vraiment intéressant, à mon sens, c’est que la notion de phronèsis ne rentre pas dans l’opposition classique – et qui à mon sens n’a aucun sens – entre science fondamentale et science appliquée. La phronèsis représente un troisième terme. Aristote distinguait effectivement (2): Continue reading “Les Devoirs” de Cicéron (1) : Le concept de “Phronèsis”