Brève réflexion : Approche localiste de la situation belge

Je vais essayer de présenter le problème belge d’un point de vue “localiste”, c’est-à-dire à partir d’une question d’échelle (ce qu’on ne retrouve pratiquement jamais dans le débat actuel).

1) Dans les années ’70 et ’80, on a opté, en Belgique, pour un fédéralisme au profit des régions et des communautés.

2) Très vite (en août 1980), la Région flamande et la Communauté flamande ont fusionné.

3) On a un État fédéral de 11,4 millions d’habitants. Avec une entité fédérée, la Région flamande, qui comprend 6,6 millions de ces 11,4 millions d’habitants.

4) Dans un État fédéral, une entité fédérée n’est pas censée représenter plus de la moitié de la population. Parce que dans ce cas-là, elle peut très facilement tout bloquer. Elle est assez grande pour défier l’autorité fédérale. C’est précisément la situation actuelle.

5) Pour comparaison, en Suisse 🇨🇭, 8,6 millions d’habitants, le canton le plus grand est celui de Zurich : 1,3 millions d’habitants. Et il y a 26 cantons (alors qu’il n’y a que 3 régions en Belgique).

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Addenda à ma lettre au roi

Vous pouvez lire la lettre ici sur le site de La Libre

J’ai essayé que la lettre ne soit pas trop longue. Voici quelques notes complémentaires :

1) Le Congrès national de 1830 en Belgique restait marqué par la Révolution française, qui a constitué une grande source d’inspiration. D’où le fait que les Constituants aient pensé un système centralisé, correspondant aussi aux besoins de la société industrielle encore naissante. Dans une ère postindustrielle, comme aujourd’hui, il y a un sens à penser à décentraliser.
=> C’est ce que j’ai développé dans ce texte

2) Dans ses Politiques, Aristote a fortement mis l’accent sur l’importance de la taille d’une communauté politique. En particulier, il fait la distinction entre les “grandes cités” et les “cités populeuses”. Il écrit que la plupart des gens jugent la “grandeur” d’une cité par le nombre de ses habitants, “alors qu’il vaut mieux prendre en considération (…) la capacité car la cité elle aussi a une oeuvre déterminée à accomplir, de sorte que c’est celle qui a la capacité de la mener au plus au point à son terme qu’il faut considérer comme la plus grande”.
=> Autrement dit, on n’est pas nécessairement plus forts quand on est plus nombreux. On est plus forts quand on est plus forts. Point. S’il y a certaines décisions qu’on n’est plus capables de prendre à 10 millions au niveau fédéral, il faut les prendre à un niveau plus local.

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Parution de ma lettre au roi, sur le site de La Libre Belgique

Parution aujourd’hui, dans l’édition électronique de La Libre Belgique, d’une lettre que j’ai adressée… au roi ! 🙂

Lien : “Sire, reconstruisons la Belgique par le bas, par le niveau local

Cela peut paraître un peu dingue, mais après plus d’un an sans gouvernement, et vu l’impasse dans laquelle la Belgique est enfoncée, je pense qu’il y a une piste qui reste inexplorée, et pourtant à la fois au fondement de la démocratie ET au fondement de la Belgique : c’est celle qui consisterait à donner la main aux ASSEMBLÉES LOCALES, et par là, j’entends les conseils communaux, les conseils provinciaux et toutes les expériences démocratiques récentes sous forme d’assemblées citoyennes. 

Tout est expliqué longuement dans la lette, mais en résumé : 

– Une nation – et à plus forte raison un nation démocratique – se construit du bas vers le haut. Et ça a été le cas pour la Belgique. Ce pays est avant tout une union de provinces (Cfr la Déclaration d’indépendance et la Constitution, jusqu’au régionalisme). 

– Les provinces ont toujours participé à un mouvement centripète d’union nationale; alors que les communautés et régions ont répondu à une logique centrifuge, de division nationale. 

– On ne crée pas une fédération avec un nombre aussi limité que 3 entités fédérées (régions ou communautés). Surtout, dans un état fédéral, aucune entité fédérée ne devrait être assez grande pour défier l’autorité fédérale. Là réside tout le mal belge. Le modèle suisse, avec 26 cantons, pour un territoire à peine plus grand que la Belgique, est bien mieux pensé. 

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Le canton de Neuchâtel décide de faire passer toutes ses exploitations agricoles en bio !

[Retour sur une info d’il y a quelques semaines] :

Le canton de Neuchâtel, en Suisse, a décidé de faire passer toutes ses exploitations agricoles en bio !

Article à lire ici…

Déclaration d’un des auteurs de cette motion :

“Au moment où l’impact néfaste des produits phytosanitaires sur la faune, la flore et les humains n’est plus à démontrer, il convient d’agir et l’État doit jouer un rôle modèle dans ce domaine”.

Ce qui est intéressant, c’est que cette démarche part d’en bas (“bottom-up”), puis que ça a démarré l’année passée, avec la ville de Neuchâtel qui, elle seule, avait déjà décidé que toutes ses terres devaient être cultivées en bio. Le Grand conseil cantonal vient donc d’élargir la mesure à tout le canton.

Le canton de Neuchâtel détient plus ou moins 1000 hectares de terres agricoles réparties sur 300 parcelles exploitées par 145 agriculteurs.

Je trouve que ça montre une chose : “relocaliser l’agriculture” – ce dont on parle tout le temps – ce n’est pas juste recréer des exploitations agricoles là où il n’y en a plus, c’est aussi retrouver du POUVOIR DE DECISION sur l’agriculture au niveau LOCAL. On peut décider de choses à un niveau local qu’on ne peut pas décider à un niveau beaucoup plus global.

Le canton de Neuchâtel compte un peu moins de 180.000 habitants. En comparaison avec la Belgique, ça représente donc un niveau de pouvoir entre nos communes et nos provinces. Et c’est un niveau de pouvoir qui a beaucoup plus de pouvoir (donc de compétences) que nos communes et nos provinces. Continue reading Le canton de Neuchâtel décide de faire passer toutes ses exploitations agricoles en bio !

La démocratie participative, le lien avec le territoire. Et pourquoi il est important, en Belgique, de garder les provinces.

Les demandes de participation citoyenne et de démocratie plus délibérative n’ont de sens que si elles s’accompagnent d’une réflexion sur l’ÉCHELLE de la décision, c’est-à-dire sur le territoire, sa structuration et la répartition des compétences. (Ouïe ! Sujet “touchy” en Belgique)

Creusons un peu : ce n’est pas un hasard si l’origine du mot “citoyen” est “civitas” en latin, c’est-à-dire la “Cité”, et plus particulièrement la “Cité-État”, comme en Grèce (en particulier dans la période hellénistique) et dans l’Empire romain. La “Cité” ne peut pas se réduire à un territoire, mais y est quand même relativement liée. Plutarque* voyait d’ailleurs l’acte fondateur de la démocratie athénienne dans un mot très rarement mentionné : le “synœcisme”, c’est-à-dire la réunion de plusieurs villages en une Cité.

La démocratie se construit mieux du bas vers le haut, selon le principe de subsidiarité, c’est-à-dire en donnant la responsabilité d’une action publique à l’entité la plus proche de celles et ceux qui sont directement concernés par cette action. (Wiki : https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_subsidiarit%C3%A9) Et si on ne peut pas régler un problème à cette échelle, on passe alors à l’échelle supérieure. Du bas vers le haut.

En ce sens, je crois que celles et ceux qui veulent la disparition des provinces se trompent. Les communes belges comptent en moyenne 19.000 habitants (médiane = 12.000 habitants). Sans les provinces, l’échelle supérieure aux communes (c’est-à-dire les régions) compte soit 3,6 millions d’habitants (Région wallonne), soit 6,5 millions d’habitants (Région Flamande). Le saut d’échelle est beaucoup trop grand. Ca veut dire que si une problématique dépasse le territoire d’une commune, on est obligé de faire un saut vers l’échelle régionale, et on crée inévitablement un gap entre celles et ceux qui vont décider et celles et ceux qui sont concernés.

Chaque saut d’échelle constitue un risque démocratique. “More is different” : on ne décide pas à 3 ou à 6 millions comme on décide à 20.000. On ne peut pas réfléchir aux dispositifs de participation citoyenne sans aborder les questions d’échelle.

Les Provinces

Et à bien des égards, les provinces présentent une grande “robustesse” historique (“Effet Lindy”), avec des découpages peu changés depuis les anciennes provinces, les départements français, les principautés, les comtés, et les “civitates” de l’Empire romain. En fait, les Provinces présentent une réalité historique (et géographique) plus grande que les Régions, qui sont surtout le fruit du 19ème siècle industriel (et dans une moindre mesure des deux guerres mondiales). L’histoire de la Région wallonne en particulier, est celle du mouvement ouvrier, du patronat, et des concertations sociales.

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