Climat, démocratie et participation. Pour rebondir sur une chronique de Marius Gilbert

Si vous n’avez pas lu la chronique récente de Marius Gilbert, intitulée “Après l’orage : les trois piliers du changement“, et parue dans Le Soir, je vous conseille vivement d’y jeter un coup d’œil. L’épidémiologiste y défend un modèle triangulaire, associant experts, décideurs publics, et citoyens. Lors de la pandémie, ce modèle a, par moments, fait défaut. Les décideurs politiques étant tantôt tentés de ménager l’opinion publique, quitte à faire fi de l’avis des scientifiques ; tantôt contraints de prendre des mesures, validées par le corps scientifique, mais mal comprises par l’opinion publique.

Le parallèle que fait Marius Gilbert avec la question climatique a tout son sens : comment faire travailler ensemble experts, pouvoir politique et citoyens ? C’était d’ailleurs l’objectif premier des “Nuits climatiques” organisées place Schuman, fin 2022, et dans le cadre desquelles j’avais rencontré Marius Gilbert, qui en était un des organisateurs : faire débattre scientifiques, citoyens et représentants de la société civile, des grands enjeux liés au changement climatique.

Je rejoins évidemment tout à fait ce modèle triangulaire. Celles et ceux avec qui j’ai déjà travaillé sur des dispositifs participatifs, au niveau local, savent que je répète souvent que l’enjeu principal de la participation est de mettre autour de la table trois formes d’expertise : 1) l’expertise politico-institutionnelle, 2) l’expertise technique, 3) l’expertise d’usage, c’est-à-dire, pour cette dernière, l’expertise des citoyens et citoyennes, de celles et ceux qui possèdent une connaissance légitime parce qu’ils sont usagers d’un lieu, d’un service public, d’une institution.

La souveraineté du débat

Il est important de comprendre que ce n’est pas quelque chose de nouveau. Loin d’être une innovation en matière de démocratie, ce pari de l’intelligence collective est au fondement de la démocratie. Et l’exemple de la pandémie est intéressant. Certains, certaines, diront toujours que les décisions politiques sont aujourd’hui plus “techniques” que celles de nos ancêtres athéniens. Et il est évident qu’ils n’avaient pas à discuter des dangers de la 5G ou de la fiscalité en matière de panneaux photovoltaïques. Mais les pandémies, ils connaissaient !

En fait, la tristement célèbre peste d’Athènes (de – 430 à – 426 av. J.C) a été contemporaine de certains des plus grands moments de la démocratie athénienne. On est effectivement en pleine Guerre du Péloponnèse. Thucydide relate d’ailleurs dans son “Histoire de la Guerre du Péloponnèse” (Livre II) comment le grand stratège et orateur, Périclès — qui périra, peu après, de cette peste — se défend devant l’assemblée des citoyens qui lui reprochent les malheurs de la guerre additionnés à ceux de la pandémie. Périclès les exhorte à réfléchir à l’intérêt public, et leur rappelle que les décisions ont été prises collectivement, c’est-à-dire avec eux. C’est la même année que Périclès prononcera sa fameuse oraison funèbre, en l’honneur des soldats athéniens morts au combat. Il y décrira ce qui distingue la démocratie athénienne des autres régimes politiques, d’une manière si illustre qu’elle reste une référence aujourd’hui : le pari de l’intelligence collective, la félicité du peuple, l’importance du débat avant l’action, etc.

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Modèles climatiques et mesures de précaution – Traduction d’un article de “Issues in Science and Technology”

Je publie ici – avec l’autorisation de Nassim Nicholas Taleb et de Joe Norman – la traduction en Français d’un court article publié dans la revue “Issues in Science and Technology” (2015: 31[4]), intitulé : “Climate Models and Precautionary Measures“.

Le “principe de précaution” est souvent mal compris, en particulier en matière de changements climatiques. Les auteurs (Taleb, Norman, Bar-Yam & Read), spécialistes, à différents titres, des systèmes complexes et de la gestion du risque, rappellent que :

  • S’il y a de l’incertitude dans les modèles (et qu’il n’y a pas de “preuves”).
  • Et si les conséquences sont à grande échelle (la planète) et irréversibles (nous n’avons qu’une planète),

Alors, il relève de la Science de ne pas prendre de risques.

S’il y a un risque de déstabiliser le climat (même avec une probabilité très faible), il faut réduire les émissions de dioxyde de carbone, même indépendamment de ce que disent les modèles climatiques.

Mais ce résumé ne rend pas compte de l’intérêt de ce court texte. Je vous invite à le lire ci-dessous (ce n’est qu’une page) ⬇️⬇️⬇️ ET À LE PARTAGER AU MAXIMUM !!

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Texte “Modèles climatiques et mesures de précaution”
Norman, J., Bar-Yam, Y., Read, R., Taleb, N. (2015). Climate Models and Precautionary Measures. (comment). Issues in Science and Technology, 31(4).

Le débat politique sur le changement climatique anthropique, abordé par Saltelli et ses collègues, tourne généralement autour de la précision des modèles. Les personnes qui affirment que les modèles font des prévisions précises plaident en faveur de politiques spécifiques pour enrayer les effets dommageables du changement climatique prévus par ces modèles ; ceux qui doutent de l’exactitude de ces modèles invoquent, quant à eux, l’absence de preuves fiables de préjudice pouvant justifier une action politique.

Ces deux alternatives ne sont pas exhaustives. On peut éviter le “scepticisme” de ceux qui remettent en question les modèles climatiques existants, en définissant le risque de la manière la plus simple possible, à l’échelle mondiale. Autrement dit, nous devrions nous demander quelle serait la bonne politique si nous n’avions pas de modèles fiables ?

Les humains n’ont qu’une seule planète. Ce fait limite radicalement les types de risques qu’il convient de prendre à grande échelle. Même un risque avec une probabilité très faible devient inacceptable lorsqu’il nous concerne tous – à cette échelle, il n’y a pas de possibilités de revenir sur une erreur. Continue reading Modèles climatiques et mesures de précaution – Traduction d’un article de “Issues in Science and Technology”

Dans cette image : une révolution copernicienne

On comprend l’importance du moment quand on réalise que Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, est relégué au 3ème rang, et obligé de se mettre sur la pointe des pieds pour écouter, par la voix d’une enfant, ce que les dirigeants auraient dû faire depuis 20 ans…

Symboliquement, dans cette image, et dans ce discours de Greta Thunberg, on assiste à une véritable révolution copernicienne, à un renversement de notre représentation du monde : entre qui parle et qui écoute, entre qui agit et qui attend, entre qui est responsable et qui est irresponsable, entre qui se comporte comme un.e adulte et qui se comporte comme un.e enfant.

Entre le réalisme de l’action et l’utopie de l’inaction.

Ce qu’elle exprime, c’est ce qu’une part de plus en plus grande de la population exprime depuis… 20 ans (30 ans ?), sous des formes très variées :

  • Il est urgent de repenser notre modèle de société.
  • Si celles et ceux qui dirigent n’agissent pas de manière responsable (entre autres par leur inaction), ce sont les “dirigés” qui doivent reprendre les choses en main.

Sa phrase de conclusion :

“We have decided to take action.
We have started to clean up your mess,
And we will not stop until we are done”.

Cette phrase résume à mon sens TOUS les mouvements sociaux de ces dernières décennies.

S’il faut une phrase pour résumer la notion d’empowerment, c’est celle-là !

Vidéo complète ici : https://youtu.be/CWQPDsHJ0gc

Brève réflexion sur l’influence : l’exemple de la lutte pour le climat

L’air du moment semble être à la recherche de “qui mène le meilleur combat ?”… C’est au niveau de la lutte pour le climat que ça se voit le plus : qui mène le combat le plus légitime ? Les jeunes dans la rue ? Celles et ceux qu’on a élus pour cela ? Les mouvements citoyens ? Les ONG et associations ? Les entreprises ?

… et la question inverse : Qui fait de la récupération ? Qui fait du “green washing” ? Qui fait du lobbying ?

C’est passer à côté d’un facteur essentiel lorsqu’il s’agit de changement social (ici le changement vers une société moins émettrice de gaz à effet de serre) : c’est la multiplicité d’avis convergents qui pousse à s’y conformer.

Les études les plus classiques sur l’influence sont certainement celles de Solomon Asch. Dans ces fameuses expériences de 1955, il testait la probabilité qu’un sujet se conforme à l’avis du reste du groupe. Le dispositif était poussé jusqu’à l’extrême, puisqu’il s’agissait d’un test pour lequel les participants devaient répondre à voix haute. Le sujet avait la bonne réponse et les autres participants étaient en fait des complices qui donnaient de mauvaises réponses. L’expérience testait dans quelle mesure le sujet allait abandonner sa réponse qu’il savait correcte, pour se conformer au groupe et donner une mauvaise réponse.

Si un seul complice donnait une mauvaise réponse : pas d’influence. Deux complices : à peine plus. Mais à partir de 3 complices, l’influence devenait bien plus grande (Gerard, & al. 1868). Plus de personnes donnent le même avis, plus ça nous influence.

Autre exemple : vous marchez en rue, une personne est statique et regarde vers le ciel. Vous vous arrêtez pour regarder avec elle ? Peut-être. Pas sûr… Même exemple, mais elles sont 5 à regarder en l’air ? Vous vous arrêtez et regardez ! 🙂 (Leyens & Yzerbet, 1997).

Et ça n’aurait pas de sens de chercher à savoir laquelle de ces 5 personnes vous a le plus influencé. C’est le fait qu’elles étaient 5 qui vous a influencé.

C’est le fait qu’un collègue vous parle de quelque chose ET que votre belle-soeur vous en parle également ET que vous avez vu un reportage au JT sur cette même chose ET qu’il y avait des pubs sur le sujet dans le métro qui vous influencera sur quelque chose, et non pas juste votre collègue, votre belle-soeur, le JT ou la pub… C’est la répétition qui donne du poids. Continue reading Brève réflexion sur l’influence : l’exemple de la lutte pour le climat

Energie, alimentation, participation citoyenne : Et si la transition était principalement une question d’échelle ?

Commençons avec l’exemple de l’énergie. Le modèle de production énergétique que nous avons connu depuis la fin du 19ème siècle est un modèle extrêmement centralisateur : une petite minorité qui produit de l’énergie pour une grande population.

Ce sont les énergies fossiles qui impliquent cela : les ressources fossiles sont localisées à certains endroits spécifiques du globe et leur transformation en énergie implique d’immenses moyens à mettre en œuvre : mines, puits de forage, pipelines, centrales, etc. Cela nécessite, comme l’explique Rifkin (2014), des compagnies intégrées verticalement, et gérées de façon extrêmement centralisées, pour pouvoir contrôler l’ensemble des opérations. Au final, quelques pays exportateurs de pétrole et quelques grosses multinationales produisent l’énergie que des milliards d’êtres humains consomment.

Notre modèle alimentaire n’est pas tellement différent. Le 20ème siècle a été une longue centralisation de la production alimentaire dans les mains d’une minorité toujours plus petite. Il suffit de regarder les statistiques liées à l’agriculture : toujours moins d’exploitations agricoles, mais des exploitations de plus en plus grandes. Cela se confirme, aux Etats-Unis, comme en France, en Belgique ou partout en Europe. Aujourd’hui, une grande partie de ce qu’on mange est produit dans d’immenses exploitations agricoles. Ainsi, la province d’Alméria, en Espagne, est devenue, avec ses 30.000 hectares de serres, “le potager de l’Europe” (selon une formule du Monde, 25.06.2007). Continue reading Energie, alimentation, participation citoyenne : Et si la transition était principalement une question d’échelle ?