Les “Devoirs” de Cicéron (6): Le copinage politique et les intérêts privés au sein de l’Etat comme formes d’injustice

6ème volet de ma petite série sur “Les Devoirs” de Cicéron, un ouvrage que je trouve plein de bon sens, et très utile à notre époque.

Pour résumer très rapidement les 5 volets précédents, rappelons que pour Cicéron :

  • ce n’est pas la connaissance en soi qui prime, mais la Phronèsis, qu’on pourrait traduire par “sagesse pratique” ou par “prudence dans la prise de décision”
  • la vertu réside donc dans le fait de poser des actes, dans l’action.
  • cette action doit amener à la justice où brille le plus haut éclat de la vertu.
  • le comble de l’injustice est l’exagération réglementaire ! Plus il y a de lois, moins il y a de justice !
  • ne pas réagir à une injustice, c’est en commettre une !

Cicéron poursuit dans son analyse de la justice (et de l’injustice), et rajoute un élément important : la pire des injustices est celle commise par la ruse.

[#41] Il y a deux façons, la force ou la ruse, de commettre l’injustice : la ruse paraît en quelque sorte la manière du renard, et la force, celle du lion, et les deux sont choses tout à fait indignes de l’homme, mais la ruse est plus haïssable encore. Et, de tout ce qui porte le nom d’injustice, aucune n’est plus criminelle que l’injustice de ceux qui, au moment même où ils trompent le plus, le font de telle sorte qu’ils paraissent être gens de bien.

Le lion commet l’injustice par la force; le renard, lui, la commet par la ruse. Et concrètement, cette ruse, c’est pour Cicéron, de tromper tout le monde tout en se faisant passer pour quelqu’un de bien

Alors, on imagine tout de suite l’homme ou la femme politique qui détourne de l’argent, tout en faisant semblant d’oeuvrer pour le bien public.

Mais Cicéron rajoute une précision importante, qui sonne comme une condamnation du copinage politique :

[#42] quant à ceux qui font tort aux uns pour se montrer généreux à l’égard des autres, leur injustice est la même que s’ils détournaient le bien d’autrui à leur profit.

Rien de pire, donc, en matière d’injustice, que d’enrichir ses petits amis :

[#43] (…) il y a beaucoup de gens, à vrai dire des passionnés de magnificence et de gloire, qui enlèvent aux uns pour prodiguer aux autres; et ces gens pensent qu’ils paraîtront bienfaisants à l’égard de leurs amis, s’ils les enrichissent, qu’importent les moyens. Or il y a si loin de cela au devoir, que rien ne ne saurait y être plus opposé.

Condamnation du copinage, du favoritisme, des petits arrangements dans ce qu’on appelle aujourd’hui le “capitalisme de connivence“, ou “Crony capitalism” en anglais. Selon Cicéron, celles et ceux qui gouvernent l’Etat doivent suivre deux préceptes de Platon :

[#85] le premier veut qu’ils veillent sur l’intérêt des citoyens de telle sorte que, quoi qu’ils fassent, ils le rapportent à cet intérêt, en oubliant leurs propres avantages; le second, qu’ils aient soin de tout le corps de l’Etat en se gardant, tandis qu’ils veillent sur une partie, d’abandonner les autres.

Ni défendre son intérêt personnel, ni défendre l’intérêt de ses amis… mais défendre l’intérêt de l’ensemble des citoyens !

Et Cicéron de terminer ce point sur ce rappel qui paraît intemporel :

[#85] l’administration de l’Etat doit être exécutée dans l’intérêt de ceux qui lui ont été confiés et non pas de ceux à qui elle a été confiée.

Celle-là, elle mériterait probablement d’être inscrite à l’entrée de tout lieu de pouvoir !

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