
Comment est-ce possible que les co-dĂ©tenus de Benjamin Herman, auteur de la tuerie Ă LiĂšge, le jugeaient violent et dangereux, mais que le Ministre de la Justice affirme quâil entrait dans les conditions de congĂ© pĂ©nitentiaire, et quâil soit “normal” que la prison le lui ait accordé⊠alors que quelques heures aprĂšs, il tuait 2 policiĂšres et 1 jeune homme, en criant Allahu Akbar !
Ces propos du Ministre tĂ©moignent dâune naĂŻvetĂ© “scientiste” et du plus haut fĂ©tichisme bureaucratique !
Je mâexpliqueâŠ
InterrogĂ© sur Radio PremiĂšre, Koen Geens (Ministre de la Justice) explique que le tueur “entrait vraiment dans les conditions” (dâoctroi dâun congĂ© pĂ©nitentiaire). Ce Ă quoi on devrait rĂ©pondre, de maniĂšre trĂšs sensĂ©e, “Ca, on sâen fout” ! Peut-ĂȘtre que dans la grille dâĂ©valuation qui a Ă©tĂ© créée pour juger les demandes de congĂ© pĂ©nitentiaire, Benjamin Herman remplissait tous les critĂšres, dont celui de ne pas “risquer de commettre de nouvelles infractions graves”. Sauf que dans la rĂ©alitĂ©, il a bel et bien commis de nouvelles infractions graves.
Alors, certains diront Ă©videmment que les critĂšres dâĂ©valuation du risque ne doivent pas ĂȘtre bons, et quâil faut affiner ces critĂšres. Mais personne ne remettra en cause le fait de juger la rĂ©alitĂ© Ă partir dâune grille dâĂ©valuation, de critĂšres standardisĂ©s, etc. Et pourtant, je pense que le problĂšme est bien lĂ .
Voici un exemple – beaucoup moins tragique. Lorsque jâĂ©tais enseignant, je coordonnais les stages, et donc les dĂ©fenses de stage, dans ma section. Mes collĂšgues et moi Ă©tions censĂ©s Ă©valuer la prĂ©sentation de chaque Ă©lĂšve. Et pour cela – dans le but dâĂȘtre “objectifs”, nous avions des “critĂšres”. Bien sĂ»r, chaque annĂ©e, dâun enseignant Ă lâautre, les notes pouvaient varier Ă©normĂ©ment. Sur le mĂȘme critĂšre, lâun mettait une cote de 9/10, alors que lâautre mettait 2/10. Comment Ă©tait-ce possible, alors que nous jugions la mĂȘme prĂ©sentation ? Peut-ĂȘtre que les critĂšres Ă©taient mal dĂ©finis ? Ou que certains Ă©taient trop “subjectifs” ? Dans un cas comme dans lâautre, nous nous disions chaque annĂ©e quâil faudrait “revoir nos critĂšres”. AprĂšs tout, si nous divisions davantage les critĂšres, nous aboutirions bien Ă quelque chose de “vraiment objectif”, non ? Par exemple, au lieu dâavoir un critĂšre “prĂ©sentation gĂ©nĂ©rale” sur 6 points, nous divisions en 3 critĂšres :
- Tenue vestimentaire : 2 points
- Introduction (A-t-il dit bonjour ? EtcâŠ) : 2 points
- Langage : 2 points
⊠Sauf que ça nâallait toujours pas, des divergences persistaient. Alors, on se disait : “Divisons encore plus les critĂšres ! âPrĂ©sentation gĂ©nĂ©raleâ, câest trop subjectif”. Et on divisait :
- Cravate (pour un homme) : Il a une cravate -> 1 point. Il nâa pas de cravate -> 0 point
- Se tenir droit : Oui -> 1 point. Non -> 0 point
Et ainsi de suite. Avec cette illusion tout Ă fait bureaucratique quâĂ un moment, nous pourrions juger comme des “automates” : OUI/NON. Et quoi de plus objectif et rationnel quâun automate ?
⊠Sauf quâun problĂšme Ă©mergeait souvent : un Ă©lĂšve pouvait remplir tous les critĂšres (il portait une cravate, il parlait comme il fallait, il avait citĂ© tous les points importants, son powerpoint Ă©tait comme demandĂ©, etc.)⊠et pourtant, lâimpression gĂ©nĂ©rale Ă©tait que sa prĂ©sentation Ă©tait⊠nulle. Si nous avions Ă©tĂ© des employeurs et avions dĂ» lâembaucher, personne ne lâaurait pris. Et pourtant, il remplissait tous les critĂšres “objectifs” de notre grille dâĂ©valuation “objective”.
Inversement, il arrivait quâun Ă©lĂšve nous ait laissĂ© une trĂšs bonne impression gĂ©nĂ©rale⊠alors quâobjectivement, critĂšre par critĂšre, il fallait bien avouer quâil avait oubliĂ© sa cravate, quâil ne sâĂ©tait pas prĂ©sentĂ© avec les formules de politesse convenues en commençant, etc. Si nous avions Ă©tĂ© employeurs, nous lâaurions engagĂ© sur le champ⊠mais nous devions lui mettre de mauvaises notesâŠ
⊠et nous dĂ©cidions donc de revoir nos critĂšres pour les dĂ©fenses de stage de lâannĂ©e suivante.
Sans comprendre que :
- Le “tout” est plus que la somme des parties ( = lâimage quâon a de quelquâun ne peut pas se rĂ©duire Ă une somme de critĂšres)
- Il y a une diffĂ©rence entre un jugement pur, dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ© et sans consĂ©quences (Ă©valuer parce quâil faut Ă©valuer) et un jugement pratique, qui aura des consĂ©quences (juger qui on va engager dans notre entreprise, juger Ă qui on va confier nos enfants pour une soirĂ©e, etc.)
La question est celle du “skin in the game” et de la responsabilitĂ© dans un cadre bureaucratique.
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