Parution : Néo Santé, n°100, mai 2020

Nouvelle parution : “Il y a élevage et élevage”, Néo Santé, mai 2020, n°100, p. 24. Parution dans Néo Santé, ce mois-ci, de la suite de mon dossier sur la viande “nourrie à l’herbe” et des poulets et des porcs “en libre pâturage”. Si l’on veut manger “paleo”, il ne faut pas juste regarder ce qu’on a dans son assiette. Il faut avoir une vision de toute la chaîne alimentaire, c’est en particulier vrai au niveau de la viande. ⠀

L’élevage industriel est problématique pour les écosystèmes, et pour les populations qui vivent à proximité de ces véritables “usines à viande” : ruissellement du lisier jusque dans les rivières, sur-utilisation des antibiotiques, destruction des pâturages, etc. ⠀

Mais un autre modèle émerge, qu’on appelle parfois “agriculture régénérative”, parce qu’elle veille à ne pas appauvrir les ressources nécessaires à l’élevage. Ces fermes pratiquement auto-suffisantes font cohabiter la faune et la flore de la manière la plus efficiente possible. Et cette méthode est en train de démontrer sa rentabilité !⠀
Je vous copie ici l’extrait d’un article paru dans Frontiers in Nutrition (2019) :

“La santé du bétail, la santé des humains et la santé de l’environnement sont liées à la diversité végétale et à la richesse phytochimique des pâturages. La santé est réduite lorsque le bétail se nourrit de monocultures ou de grains. La richesse phytochimique des pâturages améliore la richesse biochimique de leur viande. Elle protège leur viande de l’oxydation des protéines et de la peroxydation des lipides, qui provoque, chez l’humain : inflammation, problèmes cardiovasculaires et cancers.”

Il n’y a donc pas lieu de distinguer ce qui est sain pour l’humain, pour l’animal dont il se nourrit et pour l’environnement dans lequel ils évoluent tout deux. ⠀

Les pesticides, ça nuit d’abord à la santé des agriculteurs et agricultrices

La revue “Environmental Science and Pollution Research” a très récemment publié (novembre 2018) un article faisant le point sur l’impact des pesticides sur la santé des agriculteurs, aux Etats-Unis, en Inde et en Afrique.

Bien sûr les réglementations sont quelque peu différentes dans l’agriculture européenne, mais certains pesticides, ou certains types de pesticides, décrits dans l’étude, sont employés chez nous également, comme ceux de la classe des organophosphates (à lire pour la Belgique, l’avis du Conseil supérieur de la santé n°8717 : https://goo.gl/oXPX9H).

Cet article, très complet, montre surtout que la plupart du temps, les agriculteurs ne sont pas conscients que la hausse des maladies ou des problèmes chroniques parmi eux est due aux pesticides.

(Personnellement, j’ai discuté avec plein d’agriculteurs qui, à pas d’âge, développent des douleurs chroniques, et des inflammations permanentes, qui sont autant de signes de perturbations au niveau du système nerveux, ou des défenses immunitaires).

L’impact sur le système nerveux, ainsi que les liens entre inflammations, douleurs et fonctions cérébrales, sont tels que certaines études font également le lien entre l’utilisation des pesticides et le taux tout à fait anormal de suicides parmi les agriculteurs. Pour info, le taux de suicide chez les agriculteurs français est 20 à 30% supérieur par rapport autres catégories professionnelles. Bien sûr, les conditions de travail, la pression, et l’endettement peuvent expliquer ce taux de suicide. Mais cette étude conclut qu’”il est hautement probable que l’état dépressif dû aux pesticides ait pu les pousser à ce geste extrême“.

Les pesticides agissent au niveau des caspases, des enzymes essentielles dans les phénomènes inflammatoires, dont ils perturbent l’action. Les caspases interviennent entre autres dans l’apoptose, c’est-à-dire la mort programmée des cellules. Une apoptose insuffisante est un des principaux facteurs de développement des tumeurs, ainsi que des maladies auto-immunes. A l’inverse, une trop grande activité à ce niveau-là peut provoquer le développement de la maladie d’Alzheimer. Continue reading Les pesticides, ça nuit d’abord à la santé des agriculteurs et agricultrices

Genappe au fil des âges industriels. Résilience et atouts pour une économie collaborative

Crédit photo : Emmanuel Wanty

Crédit photo : Emmanuel Wanty

Et si l’Histoire de Genappe, du Moyen-Âge à aujourd’hui, était une source d’inspiration pour répondre aux enjeux à venir ? Et si son dynamisme passé constituait la force de sa résilience face aux changements économiques, climatiques et sociaux ?

(Remarque pour le lecteur non-genappois : je crois que le texte peut être relevant par rapport aux enjeux actuels, même si on n’est pas de Genappe)

Lorsque les villages du grand Genappe apparaissent dans l’Histoire (7ème – 8ème siècle pour Vieux-Genappe, 11ème siècle pour Genappe et Baisy), l’économie est celle de l’époque féodale. Les seigneurs sont propriétaires de la plupart des terres, mais la gestion de ces terres est régie par différents systèmes de partage. Existait effectivement un droit collectif sur les biens privés.

Ainsi, le « droit de vaine pâture » permettait aux paysans de faire paître leurs bêtes sur les terres des propriétaires féodaux, entre la moisson et le labour, et sur les terres en jachère.

A côté de cette « vaine pâture » existait la « vive pâture », qui s’exerçait sur les terres qui n’appartenaient à personne, c’est-à-dire à tout le monde : les « communaux ».

Dans un cas comme dans l’autre, les plus pauvres pouvaient donc entretenir quelques bêtes sans posséder de terres. Partout en Europe, explique Rifkin (2014 :50), l’agriculture féodale est structurée sur un mode communautaire : « les paysans unissaient leurs lopins individuels dans des champs ouverts et des pâturages communs qu’ils exploitaient collectivement ».

Genappia - Gramaye

Dans leur travail sur le cadastre de Genappe, Philippot et Detienne (2005 :48-49) montrent que de telles « terres communes » existaient probablement à Genappe jusqu’au 17ème siècle, sous forme de « warichets » ou « warissay ». Ils en décrivent trois : le « warissay du maret » bordant « l’estanshe du vivier du maret », c’est-à-dire au-dessus de l’actuelle rue Emile Vandevandel, le « warichay proche [du] ruisseau à Ronelle » à l’abord de Ways, et le « petit warissay proche de la planche » en bordure de Dyle, probablement entre les rues actuelles Nicolas Lebrun et Château de Lothier.

Toujours selon Rifkin (2014 :50), « les communaux ont impulsé la première pratique primitive de la prise de décision démocratique en Europe. Des conseils paysans étaient chargés de superviser l’activité économique : les semailles et les moissons, la rotation des cultures, l’usage des ressources en bois et en eau, et le nombre d’animaux qui pouvaient paître sur les pâturages communs ».

Si à l’époque, la propriété n’était pas une possession personnelle exclusive, c’est parce que ça correspondait à une vision du monde : tout ce qui était sur Terre était la création de Dieu.

Mais au début du 16ème siècle, tout change ! D’abord dans l’Angleterre de Tudor, puis dans le reste de l’Europe. C’est le « mouvement des enclosures » : les terres détenues en commun commencent à être clôturées, ou du moins délimitées avec des haies. La terre devient une propriété privée qui s’échange sur les marchés. Deux phénomènes en sont la cause : 1. La hausse du prix des denrées alimentaires due à l’augmentation de la population des villes ; 2. L’industrie textile naissante qui fait monter le prix de la laine : très vite, cela devient plus lucratif pour les propriétaires fonciers de clôturer leurs terres et de les réserver exclusivement à l’élevage des moutons (Rifkin, 2014 :52).

C’est cela qui fera dire à Thomas More, dans son « Utopie » (1516), à propos des moutons : « Ces bêtes, si douces, si sobres partout ailleurs, sont chez vous tellement voraces et féroces qu’elles mangent même les hommes, et dépeuplent les campagnes, les maisons et les villages ».

C’est ce mouvement des enclosures qui institue véritablement l’idée moderne de propriété privée, et qui permet la transition d’un système féodal à l’économie de marché moderne. Un système administratif et juridique est également nécessaire, afin d’assurer à qui appartient chaque propriété. C’est donc plus ou moins à la même époque qu’apparaissent les premières formes de « cadastre », tel qu’on l’entend actuellement. A Genappe, nous avons un exemple avec le « Mesurage de la ville et franchise de Genappe », fait par l’arpenteur Guillaume Gilbert en 1633, et présenté par Philippot et Detienne (2005). La fameuse carte Ferraris, de 1777, montre également très distinctement les haies délimitant les parcelles (image ci-dessous). Continue reading Genappe au fil des âges industriels. Résilience et atouts pour une économie collaborative