Parmi les plus belles pages d’humanisme : la conclusion de “Peau noire, masques blancs” de Frantz Fanon

J’avais envie de vous partager certaines des plus belles pages d’humanisme que j’ai eu l’occasion de lire. Et que j’ai lues et relues depuis des années. Il s’agit de la conclusion de Frantz Fanon à un de ses livres majeurs « Peau noire, masques blancs » (1952).

Je vous invite à lire ces pages vous-mêmes, parce que c’est admirablement bien écrit. Mais en voici une sorte de synthèse (toutes les parties entre guillemets sont des extraits). Et vous allez voir que c’est un discours aux antithèses des discours identitaires actuels.

En huit pages magnifiques, Frantz Fanon construit, selon ses mots, les “conditions d’existence idéales d’un monde humain”, dans lequel ni les Blancs, ni les Noirs, ne sont renvoyés à leur couleur de peau, et en particulier au passé de la domination de l’un sur l’autre.

Il débute sa conclusion sur une distinction entre l’aliénation vécue par les intellectuels (comme lui : il parle d’un “docteur en médecine d’origine guadeloupéenne”), et l’aliénation vécue par les ouvriers noirs du port d’Abidjan.

Les quelques camarades ouvriers que j’ai eu l’occasion de rencontrer à Paris, écrit-il, ne se sont jamais posé le problème de la décou­verte d’un passé nègre. Ils savaient qu’ils étaient noirs, mais (…) cela ne change rien à rien.” Et il rajoute : “En quoi ils avaient fichtrement raison“.

Par là, et avec plusieurs autres exemples, il critique les tentations d’aller chercher dans l’Histoire des preuves de l’humanité des peuples de peau noire :

La découverte de l’existence d’une civilisation nègre au XVe siècle ne me décerne pas un brevet d’humanité. Qu’on le veuille ou non, le passé ne peut en aucune façon me guider dans l’actualité.

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Les humanités classiques et la démocratie participative. Un enjeu éducatif.

En quoi les auteurs “classiques”, qu’on n’apprend plus que dans les cours de Latin et de Grec, sont-ils aussi importants pour construire une société plus démocratique demain ? 

La grande innovation des Grecs et des Romains, dans l’Antiquité, est d’avoir conçu un système dans lequel tout citoyen peut participer au pouvoir. Telle est le promesse de la démocratie : le simple fait de faire partie du “dêmos” (le peuple réuni en assemblée) permet de participer au “kratos” (le pouvoir). 

Or, aujourd’hui, combien de fois les citoyens et citoyennes qui désirent prendre part à une décision politique ne se voient-ils pas répondre que le dossier est trop “complexe”, et qu’il faut laisser la gestion de la Chose publique aux “professionnels” de la politique ? 

C’était pourtant là, traditionnellement, le rôle des “humanités” : nous préparer à être des citoyens dans la Cité. Et mettons bien l’accent là-dessus : pour ceux qui ont inventé la démocratie, l’être humain est, “par nature”, un “animal politique”. Et ils voulaient dire par là que nous ne pouvons pas faire autrement que vivre au milieu d’autres êtres humains. Il faut donc être capable d’interagir avec eux, et de décider tous ensemble. Ca doit donc s’apprendre dès le plus jeune âge.

En ce sens, la citoyenneté n’est pas perçue comme quelque chose qu’on apprend “en plus” (1 heure par semaine dans un cours de citoyenneté ou de morale), pour pouvoir, une fois adulte, voter tous les 4 ou 5 ans, ou participer à une réunion ou l’autre, à l’occasion, après ses heures de travail. Être un adulte, libre, de plein de droit, dans une société, c’est pouvoir à tout moment participer aux décisions qui nous concernent. 

Ce qu’on appelle “les humanités”, dans l’enseignement, visent précisément à cela. 

Je vais faire un bref historique, pour qu’on comprenne bien, mais il y aura beaucoup de raccourcis. Pour celles et ceux que ça intéresse, je renverrai vers des ouvrages en fin de texte.

Les “humanités” remontent aux “arts libéraux” antiques, ce modèle de formation fixé par Isocrate au IVè siècle av. J-C. Trois disciplines en constituaient la base : la grammaire, la dialectique et la rhétorique. L’enfant grec apprend par coeur les poèmes homériques, et se forme, par la rhétorique, à l’éloquence de la tribune (Compère & Chervel, 1997 : 5).

Les Romains héritent de ce modèle. A partir du grec “Paideia” [παιδεία] (“éducation”, et plus généralement le fait d’élever un enfant), Cicéron (106-63 av. J.-C) propose “humanitas” : l’éducation est conçue comme la préparation de l’individu à son rôle d’homme dans toute la plénitude de son sens. (Ibid.), dont, de manière centrale, son rôle de citoyen.

Dans les mots de Quintilien, pédagogue latin du 1er siècle après J.-C. :

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Et si on devait construire un mouvement politique…

Il y a quelques jours, j’ai partagé sur les réseaux sociaux ce qui, selon moi, devrait constituer la colonne vertébrale d’un nouveau mouvement politique. J’ai eu plein de retours positifs et c’est très cool ! ❤️

Heureux de voir qu’on est nombreux et nombreuses à vouloir créer quelque chose. 👊

Mais cela nécessite pas mal d’explications et de précisions. C’est vers cela qu’est en train d’évoluer le bouquin sur la question d’empowerment, sur lequel je bosse depuis des années, ce qui est logique puisque ça en est un peu le terreau… Mais en attendant, voici quelques précisions…

LA MOTIVATION ?

Pour l’expliquer, je pourrais reprendre les mots de KERY JAMES :

“À qui la faute ? J’n’essaye pas d’nier les problèmes
Je n’compte pas sur l’État, moi, j’compte sur nous-mêmes
À qui la faute ? Cette question appartient au passé
J’n’ai qu’une interrogation moi : ‘Qu’est-ce qu’on fait ?’”

> > > Qu’est-ce qu’on fait ? On essaie de construire quelque chose ⤵️

LA RÉCEPTION ?

A 40 ans, je ne ressens plus le besoin de me rattacher à des courants ou des idéologies. Et je vous invite à faire de même. Je pense qu’un projet politique doit émerger sur ces 7 éléments. Si quelqu’un qui se dit “de gauche” est d’accord avec moi, je ne vais pas me dire “Merde ! Quelqu’un de gauche est d’accord avec moi, il faut que je modifie mes propos !” Ca vaut aussi pour des gens “de droite”. Je propose ici ce en quoi je crois, je ne vais pas changer quoi que ce soit selon les étiquettes portées par celles et ceux qui seraient d’accord ou pas avec moi. Les arguments de chacun et chacune m’intéressent, pas les étiquettes qu’ils et elles se sont collées sur le front…

POURQUOI CES 7 ÉLÉMENTS-LÀ ?

Ils composent 2 “trios”, qui s’articulent autour de l’idée de démocratie, qui est par conséquent centrale.

Les 3 premiers éléments constituent une échelle, allant de l’humain à la famille puis au niveau local.

1) Tout projet politique doit mettre [L’HUMAIN] au centre.

Ou, dit autrement, l’humain comme mesure de toutes choses, pour paraphraser Protagoras. Je pourrais aussi citer Cicéron “aux yeux de l’homme, rien ne doit avoir plus de prix qu’un homme”. Volontairement, je n’ai pas utilisé le mot “Individu” qui est trop restrictif. Ce n’est pas un projet individualiste. Parler d’humain permet de considérer l’individu, d’une part sans sa dimension “sociale” (au sens d’Aristote : nous sommes des animaux sociaux ou politiques), et d’autre part dans son évolution (nous sommes le fruit de plusieurs millions d’années d’évolution). Ce dernier point a beaucoup d’importance en matière de santé et d’écologie par exemple… ou encore d’alimentation 😉 Mais aussi en matière de mobilité et d’urbanisme : celles et ceux qui pensent la ville devraient se rappeler que celles et ceux qui y vivent, y travaillent et y commercent sont des êtres en moyenne de 1,60m, 60 kg, et qui en règle générale ont 2 jambes, et se déplacent à 5km/h (et pas des êtres d’une tonne, avec un moteur et se déplaçant à 50 km/h).

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Polarisation de la société : Interview sur BX1 (Bruxelles)

Suite à ma carte blanche intitulée “Notre société est-elle en train de dangereusement se polariser ?“ dans La Libre Belgique, j’ai été interviewé sur BX1 ! 

> > > https://bx1.be/radio-chronique/linvite-societe-yves-patte

En 10 minutes, à propos de la polarisation de la société, on a rapidement parlé :

  • d’alimentation vegan v/s carnivore,
  • de port du voile,
  • de mobilité et aménagement du territoire,
  • du rôle des médias traditionnels,
  • des réseaux sociaux et de leur biais de confirmation.

Et on a terminé sur le LOCALISME. Je suis convaincu que ramener les décisions à une échelle locale, avec les personnes directement impactées par ces décisions, est la meilleure manière d’éviter ces polarisations et l’éclatement de la société.

Je pense que dans les années à venir, on va beaucoup parler de LOCALISME, et ce n’est actuellement porté par AUCUN parti politique…

Parution de ma carte blanche sur une écologie “humaniste” (La Libre Belgique)

Parution de ma carte blanche sur le site de La Libre Belgique : “Le cœur d’une écologie “authentique” n’est pas la technologie, c’est l’Humain“.

Je ne pense pas qu’il y aura de transition écologique sans que l’Humain puisse être au centre du processus.

Entre les approches “technolâtres” se projetant (à mon sens un peu naïvement) dans le futur et les approches “technophobes” qui ressassent le passé, il y a une voie qui est celle de l’Humanisme, replaçant l’être humain dans son présent, dans les choix que nous pouvons faire ensemble, démocratiquement, ici, localement et maintenant.

Dans ce texte, je réponds à Damien Ernst et Corentin de Salle, et à leur carte blanche parue il y a quelques semaines (à lire ici). 

Je me réfère à 2 grands humanistes, que j’apprécie beaucoup : Claude Levi-Srauss et Karl Popper, et à un localiste : Kirkpatrick Sale. Trois auteurs à lire plus que jamais !

Et vous, vous en pensez quoi ?

(le texte est court, il se lit vite) 😉