Brève réflexion sur l’AFSCA, les scandales alimentaires et la gestion du risque

“On ne peut plus être aussi oppressant pour les petits artisans et petites PME alors que le système était laxiste pour la grande industrie” – Ministre René Collin (CDH) à propos de l’AFSCA.
 

A quelques mois d’intervalle, l’Agence fédérale (belge) pour la sécurité de la chaîne alimentaire (#AFSCA) a montré, à l’occasion de deux scandales, son incapacité à assurer la sécurité de la chaîne alimentaire.

Je le répète, comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois : ce n’est pas tant un problème organisationnel (un inspecteur qui aurait failli dans sa mission de contrôle), qu’un réel problème structurel : on ne sécurise pas la chaîne alimentaire en favorisant l’alimentation industrielle et en pénalisant l’alimentation artisanale.

Il y a une distinction fondamentale qui doit être faite en matière de gestion du risque : entre un producteur qui produit 40.000 tonnes de viande par an, et 1000 producteurs qui produisent 40 tonnes, le risque d’intoxication n’est pas le même.
 
C’est un peu cette vieille idée qu’on peut tromper 1 fois mille personnes, mais on ne peut pas tromper 1000 fois 1 personne (tout le monde se rappelle de La Cité de la peur ?) 😀 Un petit producteur ne pourra provoquer une intoxication qu’à un petit nombre de consommateurs, et il ne le fera qu’une fois. Il sera ensuite probablement obligé de fermer (il ne pourra pas recommencer à intoxiquer ses consommateurs plusieurs fois de suite).
 
Les ministres Denis Ducarme (MR – Mouvement Réformateur) et Collin (CDH – Centre Démocrate Humaniste) et le député wallon Dimitri Fourny (CDH) demandent un audit, une reforme, une refonte complète de l’AFSCA (à mon sens, c’est un démantèlement complet qui serait nécessaire, mais bon…). Je leur propose de réfléchir à ceci, dans leur réforme :
 
Il y a une différence entre la “probabilité d’ensemble” et la “probabilité de temps” : 1 personne qui lance 100 fois un dé, et 100 personnes qui lancent 1 fois un dé, ce n’est pas tout à fait la même chose. Blaise Pascal et Pierre de Fermat se prenaient déjà la tête là-dessus au 17ème siècle dans leurs correspondances. Alors que la probabilité de tomber sur un 6 est toujours de 1/6, quels que soient les résultats précédents, la probabilité que le lanceur unique tombe sur un 6 sur ses 100 lancers de dé est évidemment bien supérieure à 1/6.
 
La logique de l’AFSCA est celle du contrôle. Du coup, ça paraît logique de favoriser la centralisation de la production (on favorise les gros acteurs alimentaires et on pénalise les petits producteurs) : il est plus facile de contrôler un producteur que de contrôler 1000 producteurs… Mais ce faisant, on soumet la chaîne alimentaire à un risque bien plus grand. Toute intoxication, peut-être moins fréquente qu’avec des petits producteurs, touchera par contre davantage de consommateurs (ici en l’occurence 30% de la viande en magasin).
 
Au final, le bilan, c’est une fragilisation de la chaîne alimentaire et non une sécurisation (tout comme un territoire, où tout l’emploi serait centralisé chez un seul gros employeur, serait bien fragile si cet employeur licenciait ou délocalisait).
 
Dans La Libre Belgique, Francis Van de Woestyne appelle une réponse citoyenne. La voici : les citoyens veulent une alimentation à échelle humaine, locale et décentralisée. C’est aussi la meilleure manière de gérer le risque, parce que celui-ci est réparti sur un ensemble de producteurs (d’où la probabilité d’ensemble), et non sur un seul producteur parce que cela augmente le risque au fur et à mesure du temps (d’où la probabilité de temps). En fait, le sens commun comprend bien cette idée que les institutions ne comprennent pas : “on ne met pas tous ses oeufs dans le même panier”… et on ne joue pas à la roulette russe 6 fois de suite avec le même révolver… 😉

Brève réflexion sur la contamination des oeufs et le rôle de l’AFSCA

Illustration : Les Humeurs d’Oli

Dans un article de L’Echo, Philippe Baret, professeur à la faculté des bio ingénieurs de l’UCL explique : “L’Afsca (…) va avoir tendance à venir contrôler un petit producteur et à faire confiance a priori aux acteurs historiques de l’agro-industrie.

De fait :

  • l’AFSCA déverse du détergent sur des tartes faites par les habitants d’un village lors d’une fête locale… parce qu’il y a “de la poussière et des araignées”.
  • l’AFSCA fait couper une haie d’aubépines quasi centenaire pour “un risque potentiel de feu bactérien pour les vergers voisins”.
  • l’AFSCA fait interdire l’utilisation de petits fruits sauvages par une maraichère bio, parce qu’ils ne sont pas “traçables”.
  • l’AFSCA fait fermer un frigo solidaire à Namur.
  • l’AFSCA interdit à des cuisiniers de boire de l’eau en cuisine en pleine canicule.

… Mais l’AFSCA ferme les yeux sur la contamination au Fipronil, un insecticide interdit !

Observation #1 : La meilleure manière de diminuer les risques alimentaires est de favoriser une alimentation décentralisée, locale, bio, à petite échelle et ancestrale.
-> Fournir des oeufs à 100 personnes génère moins de risques que de fournir des oeufs à 100.000 personnes.
-> On a survécu des millions d’années avec des araignées, de la poussière, et des fruits non-traçables. On connaît par contre peu l’impact du Fibronil sur la santé à long terme.
-> l’AFSCA favorise le modèle alimentaire le plus risqué.

Observation #2 : l’AFSCA fait partie de ces institutions “iatrogènes”. En voulant éliminer tout risque alimentaire à coups de réglementation, l’institution favorise les grosses industries qui ont les moyens financiers et humains de répondre à toutes ces réglementations, alors même que ces grosses industries vendent majoritairement des produits de moins bonne qualité nutritionnelle, lorsqu’ils ne sont pas carrément néfastes pour la santé, et à la base de tout un ensemble de troubles de santé hautement plus dangereux : diabète, hyperinsulinémie, hypertension, athérosclérose, inflammation chronique, certaines formes de cancer, etc. Au final, Mac Do et Coca-Cola ont beaucoup moins de chances d’être pénalisés par l’AFSCA qu’un petit maraîcher bio.

La solution n’est pas dans un changement de fonctionnement de l’AFSCA. La solution est dans un nouveau modèle de société.

Article de L’Echo : http://www.lecho.be/dossier/choixredac/Philippe-Baret-UCL-L-Afsca-se-cache-derriere-ses-controles/9921482

Un lien : le groupe Facebook Protégeons nos produits artisanaux de l’AFSCA

6. La crise de la délégation

Ben Horton_TheHunter&

Ce texte est le chapitre 6 de l’ouvrage en cours d’écriture “Empowerment ou la société de l’anti-délégation“. Toutes les infos et l’introduction à cette réflexion se trouvent ici (il est préférable de lire l’intro avant ce texte, pour bien en comprendre tout le sens, mais vous pouvez aussi vous contenter de ce texte, si seules ces questions vous intéressent… et peut-être que cela vous donnera envie d’aller voir dans quelle réflexion plus large ce texte s’inscrit ?) 😉

Vous pouvez télécharger ce chapitre 6 (Version juillet 2014) en PDF (23 pages)

Un autre chapitre, plus concret, a déjà été publié : “7.1. Reprendre en main son alimentation et sa santé

(J’en profite pour remercier les très nombreuses personnes qui m’ont envoyé des remarques, des commentaires, des suggestions. Je n’ai pas eu le temps de répondre à tout le monde. Certaines de mes réponses sont encore “en attente”, parce que je souhaite “bien” répondre à celles et ceux qui ont pris le temps de lire les premières parties et de m’envoyer des remarques intéressantes. J’ai en tout cas intégré de nombreuses remarques dans la réflexion. Merci à vous !)

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Chapitre 6 : La crise de la délégation

J’ai dit, dans l’introduction, que le mouvement de l’anti-délégation s’inscrivait dans une crise des piliers de la modernité, comme l’Etat, l’économie, le travail, la rationalité. Attention, je ne pense pas que la notion de « travail » soit en crise, ou que les plus jeunes générations ne veuillent plus travailler, ni que les avancées de la science fascinent moins, ni qu’il faille abandonner toute idée de construire une collectivité en partie institutionnalisée.

Je pense que le modèle « moderne » du travail, de l’Etat, de l’économie capitaliste est en crise. C’est-à-dire cette forme d’Etat, ces modes de travail, ces modalités de l’économie, qui relèvent de la bureaucratie, de la technocratie, de l’industrie, etc. Nous reviendrons sur ces dimensions. Ce dont il s’agit, c’est d’une « crise du modèle culturel de la société industrielle », comme l’avaient très bien vu Bajoit et Franssen dès 1995.  Et pour moi, ce qui caractérisait ce modèle, c’était que l’individu était appelé à déléguer une partie de sa destinée aux piliers de la société moderne.

6.1. Etatisme et capitalisme

Au cœur de la société de la délégation, en crise, se trouve l’Etat bureaucratique, moderne, et libéral.

Pour Max Weber, dont nous avons déjà parlé, l’Etat moderne et le capitalisme se sont développés ensemble. L’Etat moderne est effectivement le garant du droit rationnel, « prévisible ». En cela, il constitue la condition de l’épanouissement du capitalisme (Colliot-Thélène, 1992 :12)

C’est relativement facile à comprendre : lorsqu’on se limitait à des échanges simples, à du commerce traditionnel, local, proche du troc, c’était des règles traditionnelles (code d’honneur, etc.) qui pouvaient régir l’échange. Mais lorsqu’on échange des biens sur des marchés, avec une multitude d’intervenants, il est nécessaire qu’une instance garantisse la validité de l’échange. Continue reading 6. La crise de la délégation