Empowerment et délégation : les définitions (Chapitre 1)

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Ca fera bientôt deux ans que j’ai publié “Empowerment, ou la société de l’anti-délégation“, en guise d’introduction aux réflexions que je mène sur les processus de reprise en main de notre capacité à agir et à décider par nous-mêmes. Mais je n’avais pas encore fait ce travail définitionnel sur les concepts d’empowerment et de délégation

Pour celles et ceux qui suivent la rédaction progressive du bouquin que j’espère publier sur la question, le texte qui suit est une nouvelle formulation du 1er chapitre…

Chapitre 1 : “Empowerment, délégation… définitions”

Dès le début du raisonnement, il est nécessaire de définir les termes utilisés. D’autant plus que le terme “empowerment” fait l’objet d’une littérature abondante, dans des domaines aussi variés, voire antinomiques, que les luttes d’émancipation, ou la gestion d’entreprise.

Le but, ici, ne sera pas d’effectuer un long “passage en revue de la littérature”, mais plutôt de clarifier les notions d’empowerment et de délégation, non pas par plaisir de la définition, mais afin qu’ils puissent être utilisés pour approcher le réel.

Je définis la “délégation” comme le fait de laisser à des structures institutionnelles ou privées, ou à des individus mandatés par ces structures, le pouvoir, le rôle, la capacité, d’agir ou de décider à notre place. La délégation se comprend donc ici au sens très bourdieusien (1984 :52) du terme, c’est-à-dire l’acte par lequel “une personne donne pouvoir (…) à une autre personne, le transfert de pouvoir par lequel un mandant autorise un mandataire à signer à sa place, à agir à sa place, à parler à sa place, (à) agir pour lui”.

A l’inverse, je définis l’ “anti-délégation” comme le fait de reprendre en main ce pouvoir, ce rôle, cette capacité d’action et de décision, au niveau individuel ET au niveau collectif. Ce processus de reprise en main est un processus d’”empowerment”.

Soyons tout de suite concret : si je ne laisse ni à l’industrie agro-alimentaire, ni à l’Etat, le rôle de me nourrir, cela signifie que je reprends en main mon alimentation. Cela peut amener à cesser d’acheter ce que l’industrie nous dit d’acheter dans les grandes surfaces, à faire son potager (seul chez soi, ou ensemble dans des potagers collectifs), à acheter des produits locaux, naturels, seuls ou sous forme des groupements d’achats collectifs qui apparaissent un peu partout, à se remettre à cuisiner au lieu d’acheter des plats préparés, etc. En un mot, être maître de ce que l’on mange, c’est ne plus “déléguer” cela à quelqu’un d’autre.

Si je décide d’isoler ma maison, c’est très bien pour la planète, mais ça me permet aussi d’être moins “dépendant” des hausses des prix du mazout ou de toute autre forme d’énergie. Si je produis moi-même mon énergie, je gagne encore en indépendance, puisque je ne “délègue” plus à une industrie pétrolière ou nucléaire, le rôle de me fournir de l’énergie pour chauffer ma maison. Si une collectivité locale décide de produire son énergie (par un système de coopérative, par exemple), c’est collectivement, au niveau local, que l’on gagne en indépendance.

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Si je décide de développer ma propre activité professionnelle, je ne délègue plus à quelqu’un d’autre (un patron, l’Etat…), la capacité de décider ce que je fais de mes journées, ce que je gagne comme argent, ce que je vaux sur le marché du travail. Je reprends ma capacité d’action et de décision. Si un ensemble de travailleurs reprennent en leurs mains cette capacité d’action, ils s’émancipent par rapport au patronat et à l’Etat. De passif par rapport à mon parcours professionnel, je deviens alors actif. D’objets passifs sur le marché du travail, les travailleurs deviennent alors collectivement acteurs de la production et de l’échange des produits, des services, des idées, etc.

Si je décide de m’engager dans des projets citoyens pour faire changer les choses, c’est que je refuse de simplement “déléguer” cela à d’autres, via le vote par exemple. Je refuse de (juste) donner ma voix. Si des individus décident de se constituer en collectif pour défendre leurs droits, pour pouvoir décider – ou du moins prendre part au processus décisionnel – lorsque la décision les concerne, on est dans un processus d’empowerment, dont les Afro-américains représentent un des exemples les plus marquants de l’Histoire moderne.

1.1. Depuis une situation de “powerlessness

Comme on le voit, l’opposition délégation/empowerment peut recouvrir tout un ensemble d’oppositions caractéristiques : dépendance/indépendance, passif/actif, non-pouvoir/pouvoir, etc.

Certains auteurs inscrivent d’ailleurs leur théorie de l’empowerment dans une transition du “powerlessness”, que l’on devrait traduire par “le fait de ne pas avoir de pouvoir”, vers l’empowerment, c’est-à-dire l’acquisition ou la ré-acquisition de ce pouvoir.

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Et si nous refusions d’être au service de l’industrie alimentaire ?

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Je voudrais faire sortir l’industrie du soda de la médecine du sport !” C’est ce qu’à récemment déclaré Coach Glassman, le fondateur du CrossFit, dans ce qui ressemble à une croisade de CrossFit Inc. contre Coca-Cola ou Gatorade. Il y a quelques jours, CrossFit Journal publiait “Sugar Bombs“, un article expliquant en quoi les “boissons sportives” (“sports drinks“) étaient trop chargées en sucre, et pouvaient affecter la performance sportive et la santé.

Plus largement, ce à quoi s’attaque Glassman est l’intrusion de l’industrie alimentaire, et en particulier des marques comme Coca-Cola ou Pepsi dans le sponsoring d’associations médicales et d’organisations liées à la santé ou au sport. Ainsi, Coca-Cola vient de créer le “Global Energy Balance Network” qui vise à promouvoir un bon équilibre entre l’énergie Capture d’écran 2015-08-19 à 08.45.53dépensée (par l’activité physique) et l’énergie ingérée (par l’alimentation) pour lutter contre l’obésité….

Via son “Beverage Institute for Health and Wellness“, Coca-Cola a également fondé l’initiative “Exercise is Medicine“, dirigée par l’American College of Sports Medicine (ACSM). L’idée, qu’on va retrouver assez souvent, est d’être en meilleure santé par le sport… Comprenons-nous bien : je ne conteste pas l’idée qu’il faille faire du sport – au contraire ! Je voudrais juste mettre en doute l’importance mise par l’industrie alimentaire sur le sport, par rapport à l’alimentation, lorsqu’il est question de surpoids, d’obésité, et plus largement de santé.

La théorie du calorie “in” / calorie “out” est, à ce niveau, particulièrement utile pour l’industrie alimentaire : “vous pouvez continuer à consommer, voire sur-consommer nos produits hyper-caloriques, du moment que vous vous dépensez en suffisance !”. Dans cette optique, le problème de l’obésité serait principalement dû à un manque d’activité physique, pas à une alimentation trop calorique, trop chargée en sucre. En gros, ce n’est pas de la faute de l’industrie alimentaire, c’est de votre faute : vous ne faites pas assez de sport. Heureusement, Coca-Cola va promouvoir le sport… pour lutter contre l’obésité.

Le problème, c’est que pour lutter contre le surpoids, l’alimentation est plus importante que l’activité physique. C’est pourquoi la théorie CrossFit place l’alimentation à la base de sa hiérarchie du développement d’un athlète. L’alimentation est plus importante que la pratique sportive. Sinon, comment expliquer, comme le montrait le documentaire Fed Up, que sur la période 1980-2000, l’inscription dans les clubs de sport a doublé aux Etats-Unis, mais que sur cette même période, le taux d’obésité a également doublé !

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Fuck this shit !! I’m gonna eat my own food !!

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Conseil de lecture : Essayons quelque chose de nouveau. Si vous avez un compte Spotify, je vous invite à écouter cette playlist en lisant l’article ci-dessous. Vous comprendrez très vite en quoi l’une est liée à l’autre…

Dans l’introduction à “Empowerment ou la société de l’anti-délégation“, j’ai écrit que la bande-son de la révolution en cours était une playlist composée de Hip-Hop et de Hardcore Punk (chap.3). Que l’on ait baigné dans ces cultures urbaines ou pas, le fait est que le Hip-Hop et le Hardcore portent ce message de reprise en main de sa destinée, individuelle et collective, qui caractérise, à mon sens, les mouvements sociaux émergents. Cela est bien documenté par les travaux de Stoute (2011) pour le Hip-Hop et les travaux de Hein (2012) et Haenfler (2004) pour le Hardcore Punk.

Un reportage récent, que l’on peut voir sur Youtube, “Under the Influence : New-York Hardcore” m’a permis de prendre conscience de ce qui est probablement au fondement de la démarche de beaucoup de trentenaires (et plus jeunes) en matière d’alimentation. Deux choses : le refus et le Do It Yourself ! Resistance & DIY : So hardcore !!

J’ai baigné, via mes parents, dans un univers où on choisit des produits bios, où on se soigne naturellement, et où on est plutôt écolo. C’est sûr. Mais ce qui fonde mon rapport à l’alimentation, et probablement à tout un ensemble d’autres choses, est beaucoup plus proche du :

FUCK YOU !! I don’t want to eat your shit !!!

Fuck you, industry ! Fuck you, market ! Fuck you, supermarkets ! I’m gonna eat… my own food !!

C’est hardcore dans l’attitude. C’est légèrement arrogant. Et ça se crie plus que ça se dit. Vous vous rappelez certainement de cette phrase “Fuck You ! I won’t do what you tell 2d093fe7a70ef489984fe39f495e26e4me !” du célèbre “Killing in the name” de Rage Against The Machine ? Et bien, on est en plein dedans !

Si l’on analyse un peu ce qui est au fondement du Hardcore Punk, on trouve le refus : refus de la société qu’ “on nous a conçue”, refus de ses normes, de ses dogmes, de ses évidences. Le mouvement Hardcore Punk est une sous-culture, et en cela constitue une forme de résistance à la culture dominante ou à la société “hégémonique”, pour parler comme Gramsci. La “résistance” a toujours été le point central des sous-cultures, comme en témoignent les recherches du célèbre Centre for Contemporary Cultural Studies (CCCS) de l’Université de Birmingham, pour les connaisseurs (Haenfler, 2004 : 407).

Mais là où se distingue l’attitude proprement Hardcore, c’est dans le fait que ce refus n’amène pas l’individu à sombrer dans un chaos autodestructeur, dans une attitude d’abandon nihiliste comme on l’a souvent vu dans les sous-cultures punk rock, hippie ou skinheads. Abandon du combat pour rentrer dans le système, ou abandon dans les pratiques autodestructrices : drogue, alcool, suicide, etc. Continue reading Fuck this shit !! I’m gonna eat my own food !!

La fin de leur monde

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Photo : Emmanuel Rosario

Un an après le début de la publication de textes sur la notion d’Empowerment, et ce que j’ai appelé l’ « anti-délégation », voici un texte qui synthétise là où j’en suis actuellement. Durant cette année, j’ai continué à écrire, à lire (surtout) et j’ai essayé de mettre tout cela en pratique, en créant – avec trois autres – notre entreprise, et en vivant de ma passion. 

J’ai discuté. Beaucoup. Avec plein de gens. Je n’ai pas su répondre à tout le monde. J’ai eu des contacts avec des maisons d’édition intéressées. Mais je n’en suis pas encore là. Il y a encore beaucoup à écrire.

Ce texte, c’est l’état actuel de ma réflexion sur les mouvements d’Empowerment dans la société actuelle. Et j’ai décidé de l’intituler « la fin de leur monde ». Temps de lecture : 15 minutes (cliquez ici pour la version PDF).

La fin de leur monde, c’est ce que j’essaie de décrire. C’est le sentiment qu’on vit dans un monde de plus en plus absurde. Un monde auquel on n’arrive plus à trouver un sens.

La fin de leur monde, c’est la fin de leurs institutions, auxquelles nous étions censés déléguer de pans entiers de notre existence, mais auxquelles on ne croit plus.

C’est la fin de leur Etat, dont on ne voit plus en quoi il est l’émanation de la souveraineté du peuple, en quoi il nous protège, nous assure l’égalité, l’émancipation, et l’accès aux moyens de subsistance.

C’est la fin de leur économie, de leurs marchés, de leurs échanges mondialisés. C’est la fin de leur système qui fait parcourir des milliers de kilomètres aux tomates qui arrivent dans nos assiettes, les chargeant en substances chimiques nocives pour notre santé, et les appauvrissant en micronutriments utiles à notre alimentation, tandis que notre voisin, producteur local de fruits et légumes, est acculé sous les charges, les règlements, les interdictions, les entraves au développement.

Et tout se mélange lorsqu’on nous dit que « notre » Etat doit sauver leurs banques. C’est le sentiment que c’est notre argent qui est utilisé pour sauver ceux qui ont tout perdu, en jouant avec… notre argent.  Ou lorsqu’on nous dit qu’il faut sauver leur industrie, pour sauver nos emplois, même si c’est au détriment de notre planète.

En réalité, c’est la fin de leur emploi, de leur Travail, des carrières qu’ils ont conçues pour nous (à la police, à l’armée, à la fonction publique, à la banque, à l’usine ou dans telle grande entreprise), des emplois stables, de l’épanouissement par le travail, des parcours d’insertion professionnelle pour chercheurs d’emploi. Et c’est la fin de leurs délégations syndicales, à qui on déléguait la défense de nos emplois. C’est la fin de leurs grèves…

C’est la fin de leur école, dans laquelle nous semblons tous perdus : enseignants, élèves, parents. Dans laquelle nous sommes pris entre la nostalgie des uns, dont les rappels à l’ordre et aux valeurs semblent obsolètes, et les volontés de réforme des autres, dont les innovations pédagogiques semblent désuètes. C’est le sentiment que ceux qui ont élaboré les programmes n’ont jamais enseigné dans nos écoles, à nos élèves ou à nos enfants.

Et c’est en vrac, la fin de leur médecine à laquelle on ne sait plus si on peut croire, tant elle paraît éloignée de nos maux, et de nos remèdes, de leurs médias, de leurs élections, de leurs conflits religieux, de leurs administrations.

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C’est en vrac le sentiment qu’on manque constamment de temps, qu’on court sans arrêt, sans savoir après quoi ; le sentiment que tout nous échappe ; qu’on nous en demande toujours plus, sans nous en rendre ; qu’on ne sait plus à quoi ou à qui se fier ; c’est le sentiment qu’on n’est plus les « Sujets » de nos vies, lorsqu’on est constamment l’ « objet » des réformes, des sondages, des mesures, et des dispositifs mis en place pour nous. Continue reading La fin de leur monde

New Books (3)

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Nouvelle commande arrivée ce matin. Je serais assez heureux d’avoir votre avis sur ces différents ouvrages/auteurs, si vous les avez lus…

Comité invisible. 2007. L’insurrection qui vient. Paris : La Fabrique Editions.

Comité invisible. 2014. A nos amis. Paris : La Fabrique Editions.

Hazan, E., & Kamo. 2013. Premières mesures révolutionnaires. Paris : La Fabrique Editions.

Astruc, L. 2012. (R)évolutions. Pour une politique en actes. Actes Sud.

Dardot, P. & Laval, C. 2010. La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale. Paris : La Découverte.

Rifkin, J. 2014. La nouvelle société du coût marginal zéro. L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Les Editions qui libèrent.

Tous ces ouvrages ont, à mon sens, un lien avec ce que j’écris sur l’Empowerment ou la société de l’anti-délégation, mais ce sera à confirmer avec leur lecture…

Ne laissons pas la défense des petits indépendants à la droite réactionnaire (et raciste)…

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Je voulais réagir à un article qui fait son petit buzz sur les réseaux sociaux, en ce moment, en Belgique : “L’Etat a tué mon resto préféré“. Le titre résonne évidemment avec ce que j’ai pu écrire sur l’Etat bureaucratique dans le cadre de l’ “Empowerment ou la société de l’anti-délégation“.

Le restaurant dont il s’agit, c’est “Bleu de Toi”, à Bruxelles, qui a dû fermer récemment. Le premier paragraphe nous dit que “la courageuse restauratrice met la clef sous le paillasson après 22 ans. Encore un exemple de gâchis extraordinaire parce que nos politiciens n’ont pas compris que les petits indépendants sont ceux qui créent le plus d’emplois, qui dynamisent notre économie. Or, ils doivent, plus que d’autres supporter une fiscalité écrasante.”

Evidemment, en tant qu’indépendant moi-même, chef de très (petite) entreprise, je ne peux que confirmer la situation difficile de l’entrepreneuriat en Belgique (mais j’imagine que ce n’est pas tellement différent en France). Tout se passe comme si l’Etat n’était là que pour empêcher le développement de toute activité économique indépendante. Une liste infinie de réglementations, de taxations plus ou moins justifiées, d’entraves, de “bâtons dans les roues”, rend, comme le dit l’article, “la vie d’indépendant en Belgique extrêmement périlleuse“. Chaque semaine, on parle dans la presse d’une enseigne qui doit fermer, submergée par les entraves administratives, comme cette boucherie de près de 100 ans, à Pépinster , en Belgique. Continue reading Ne laissons pas la défense des petits indépendants à la droite réactionnaire (et raciste)…

6. La crise de la délégation

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Ce texte est le chapitre 6 de l’ouvrage en cours d’écriture “Empowerment ou la société de l’anti-délégation“. Toutes les infos et l’introduction à cette réflexion se trouvent ici (il est préférable de lire l’intro avant ce texte, pour bien en comprendre tout le sens, mais vous pouvez aussi vous contenter de ce texte, si seules ces questions vous intéressent… et peut-être que cela vous donnera envie d’aller voir dans quelle réflexion plus large ce texte s’inscrit ?) 😉

Vous pouvez télécharger ce chapitre 6 (Version juillet 2014) en PDF (23 pages)

Un autre chapitre, plus concret, a déjà été publié : “7.1. Reprendre en main son alimentation et sa santé

(J’en profite pour remercier les très nombreuses personnes qui m’ont envoyé des remarques, des commentaires, des suggestions. Je n’ai pas eu le temps de répondre à tout le monde. Certaines de mes réponses sont encore “en attente”, parce que je souhaite “bien” répondre à celles et ceux qui ont pris le temps de lire les premières parties et de m’envoyer des remarques intéressantes. J’ai en tout cas intégré de nombreuses remarques dans la réflexion. Merci à vous !)

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Chapitre 6 : La crise de la délégation

J’ai dit, dans l’introduction, que le mouvement de l’anti-délégation s’inscrivait dans une crise des piliers de la modernité, comme l’Etat, l’économie, le travail, la rationalité. Attention, je ne pense pas que la notion de « travail » soit en crise, ou que les plus jeunes générations ne veuillent plus travailler, ni que les avancées de la science fascinent moins, ni qu’il faille abandonner toute idée de construire une collectivité en partie institutionnalisée.

Je pense que le modèle « moderne » du travail, de l’Etat, de l’économie capitaliste est en crise. C’est-à-dire cette forme d’Etat, ces modes de travail, ces modalités de l’économie, qui relèvent de la bureaucratie, de la technocratie, de l’industrie, etc. Nous reviendrons sur ces dimensions. Ce dont il s’agit, c’est d’une « crise du modèle culturel de la société industrielle », comme l’avaient très bien vu Bajoit et Franssen dès 1995.  Et pour moi, ce qui caractérisait ce modèle, c’était que l’individu était appelé à déléguer une partie de sa destinée aux piliers de la société moderne.

6.1. Etatisme et capitalisme

Au cœur de la société de la délégation, en crise, se trouve l’Etat bureaucratique, moderne, et libéral.

Pour Max Weber, dont nous avons déjà parlé, l’Etat moderne et le capitalisme se sont développés ensemble. L’Etat moderne est effectivement le garant du droit rationnel, « prévisible ». En cela, il constitue la condition de l’épanouissement du capitalisme (Colliot-Thélène, 1992 :12)

C’est relativement facile à comprendre : lorsqu’on se limitait à des échanges simples, à du commerce traditionnel, local, proche du troc, c’était des règles traditionnelles (code d’honneur, etc.) qui pouvaient régir l’échange. Mais lorsqu’on échange des biens sur des marchés, avec une multitude d’intervenants, il est nécessaire qu’une instance garantisse la validité de l’échange. Continue reading 6. La crise de la délégation

Parution : “Relire aujourd’hui les classiques des années 60”

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Nouvelle parution : “Relire aujourd’hui les classiques des années 60”, La Libre Belgique, sam.-dim. 28-29/12/2013, pp. 52-53. Qu’avons-nous fait des auteurs critiques des années 60 ? De Marcuse, de Debord, de Fanon, pour ne citer qu’eux… Alors qu’émerge une critique nouvelle à la fois de la société de consommation et des instances étatiques et supra-étatiques, sous les formes variées de préoccupations écologiques, de développement durable, de décroissance, de simplicité volontaire, de revendications sur les conditions de travail, des “Indignés”, de mouvements citoyens, des printemps arabes, érables, etc., les auteurs qui avaient mené cette critique dans les années 60 semblent être passés à la trappe… lire la suite.

Cet article a été écrit en août 2013, donc avant que je commence à mettre sur papier les réflexions sur l’Empowerment et la société de l’anti-délégation, dont j’ai publié l’article introductif il y a quelques jours. Mais très clairement, Marcuse, Debord et Fanon sont des auteurs qui m’ont amené à développer cette réflexion. L’article paru aujourd’hui dans La Libre Belgique fait donc tout à fait partie de la même réflexion…

INTRO : “Empowerment, ou la société de l’anti-délégation”

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Cet article s’annonce, au moins dans ma tête, comme le premier d’une longue série. C’est en quelque sorte la première diffusion d’une pensée politique, au sens large, que je mature depuis des années… Je dirais même que cela fait tellement longtemps que je ne pourrais plus dire si j’ai produit cette pensée, ou si c’est, en réalité, elle qui m’a fait, tant elle m’a accompagné et s’est élaborée au fil des activités que j’ai pu faire depuis mon adolescence, jusqu’à aujourd’hui.

Tout part d’une hypothèse : l’hypothèse que l’on pourrait décrire la situation actuelle comme une période de « crise de la délégation », et de manière concomitante comme une opportunité, pour la population, le peuple, les gens… vous et moi, Nous, de reprendre en main notre capacité d’action. Je reviendrai sur ces concepts, qui s’inscrivent dans un processus généralement qualifié d’ « empowerment ».

A ma connaissance, aucun sociologue ou philosophe n’a abordé la situation sociale actuelle d’une telle manière. Ils sont nombreux à en être assez proches, à apporter des éclairages très intéressants, qui sont autant de sources d’inspiration. Mais aucun ne m’a apporté ce que je voulais lire. Alors, en mode « Do It Yourself » (« Fais-le toi-même ») – qui fait précisément partie de la démarche que je propose – je m’autorise à produire moi-même cette description de la réalité qui, à mon sens, manque. Et je me permets de vous la communiquer, via cet espace de diffusion que je me suis autoproduit, mon blog…

Comment je compte procéder ? 

  • Mon but est de publier ce texte, au fur et à mesure sur ce blog, en espérant recevoir un maximum de retours, critiques, avis, etc…
  • Au fur et à mesure, j’essaierai d’intégrer ces retours dans le texte complet, que je tenterai de faire publier sous forme de livre…
  • De temps à autre, je proposerai une version pdf du livre en cours d’écriture, pour celles et ceux qui voudraient une vision plus complète de la réflexion en cours… (allez voir à la fin de l’article, la table des matières provisoire…)
  • Vous pouvez déjà télécharger ce premier texte en PDF.
  • La réflexion vous intéresse ? Partagez-la avec toute personne intéressée ! Merci !!

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CHAPITRE 1 : Empowerment, délégation… définitions

Je définis la « délégation » comme le fait de laisser à des structures institutionnelles ou privées, ou à des individus mandatés par ses structures, le pouvoir, le rôle, la capacité, d’agir ou de décider à notre place.

A l’inverse, je définis l’ « anti-délégation » comme le fait de reprendre en main ce pouvoir, ce rôle, cette capacité d’action et de décision, au niveau individuel ET au niveau collectif. Ce processus de reprise en main est un processus d’ « empowerment ».

Soyons tout de suite concret : si je ne laisse ni à l’industrie agro-alimentaire, ni à l’Etat, le rôle de me nourrir, cela signifie que je reprends en main mon alimentation. Cela peut amener à cesser d’acheter ce que l’industrie nous dit d’acheter dans les grandes surfaces, à faire son potager (seul chez soi, ou ensemble dans des potagers collectifs), à acheter des produits locaux, naturels, seuls ou sous forme des groupements d’achats collectifs qui apparaissent un peu partout, à se remettre à cuisiner au lieu d’acheter des plats préparés, etc. En un mot, être maître de ce que l’on mange, c’est ne plus « déléguer » cela à quelqu’un d’autre.

Si je décide d’isoler ma maison, c’est très bien pour la planète, mais ça me permet aussi d’être moins « dépendant » des hausses des prix du mazout ou de toute autre forme d’énergie. Si je produis moi-même mon énergie, je gagne encore en indépendance, puisque je ne « délègue » plus à une industrie pétrolière ou nucléaire, le rôle de me fournir de l’énergie pour chauffer ma maison. Si une collectivité locale décide de produire son énergie (par un système de coopérative, par exemple), c’est collectivement, au niveau local, que l’on gagne en indépendance.

Si je décide de développer ma propre activité professionnelle, je ne délègue plus à quelqu’un d’autre (un patron, l’Etat…), la capacité de décider ce que je fais de mes journées, ce que je gagne comme argent, ce que je vaux sur le marché du travail. Je reprends ma capacité d’action et de décision. Si un ensemble de travailleurs reprennent en leurs mains cette capacité d’action, ils s’émancipent par rapport au patronat et à l’Etat. De passif par rapport à mon parcours professionnel, je deviens alors actif. D’objets passifs sur le marché du travail, les travailleurs deviennent alors collectivement acteurs de la production et de l’échange des produits, des services, des idées, etc.

Si je décide de m’engager dans des projets citoyens pour faire changer les choses, c’est que je refuse de simplement « déléguer » cela à d’autres, via le vote par exemple. Je refuse de (juste) donner ma voix. Si des individus décident de se constituer en collectif pour défendre leurs droits, pour pouvoir décider – ou du moins prendre part au processus décisionnel – lorsque la décision les concerne, on est dans un processus d’ « empowerment », dont les Afro-américains représentent un des exemples les plus marquants de l’Histoire moderne.

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CHAPITRE 2 : Le constat général : la crise de la modernité est une opportunité

Si vous avez bien compris ce qu’est la « délégation », vous comprendrez que je fais l’hypothèse que cette « délégation » est en crise. Ce que l’on appelle la « crise des institutions » n’est, pour moi, qu’une dimension, de cette crise plus large de la délégation. Perte de la foi dans l’Etat, dans l’école, dans les institutions ; perte de sens au travail, absentéisme, burn-out ; perte de la confiance dans l’industrie agro-alimentaire ; repli communautaire, abstentionnisme, montée en puissance des populismes, etc.

Et tout comme en Chinois le symbole représentant la « crise » signifie également « opportunité », je suis convaincu que cette crise est une opportunité de reprise en main, par la population, de sa capacité d’action et de décision, de sa souveraineté. Je fais l’hypothèse que les évolutions sociales les plus récentes sont marquées par une volonté d’autonomie, d’auto-détermination, d’indépendance. Reprise en main de sa santé (alimentation et médecine naturelles, formes de fitness fonctionnelles…), autoproduction locale d’énergie, nouvelle génération d’entrepreneurs (Generation Flux, Free Agent Nation,…) nouvelles formes de contestation politique (Anonymous, Indignés, révolutions arabes), etc.

Continue reading INTRO : “Empowerment, ou la société de l’anti-délégation”

New Books (2) !

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Nouvelle commande Amazon… entre entrepreneuriat et contestation politique !

Shankman K. 2013. Nice Companies Finish First. Why Cutthroat Management Is Over – and Collaboration Is In, NY : Palgrave MacMillan.

Martin, A.J. 2012. Renegades Write The Rules. How the Digital Royalty Use Social media to Innovate, San Francisco : Jossey-Bass.

Honneth, A. 2013. Un monde de déchirements. Théorie critique, psychanalyse, sociologie, Paris : La découverte.

Hibou, B. 2012. La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris : La découverte.