Réflexion sur les médias [1/3]* : Méfiance et complotisme

Avec la mobilisation des gilets jaunes, beaucoup de journalistes semblent découvrir la méfiance que les médias traditionnels suscitent auprès d’une part importante de la population, et la dimension “complotiste” que cette méfiance peut prendre.
 
S’étonner de cette méfiance, c’est, je crois, rester dans un biais qu’on pourrait appeler “objectiviste” (ou “journaliciste”), qui consiste, à l’instar de Saussure à propos de la langue, à percevoir l’information comme “un objet autonome et irréductible à ses actualisations concrètes”**. Autrement dit, tout comme le linguiste aurait tort de penser que toute personne qui parle perçoit le langage comme un linguiste, le journaliste aurait tort de penser que toute personne qui s’informe perçoit l’information comme un journaliste (ou un analyste des médias).
 
“In real life”, les gens “normaux” ne jugent pas une information selon des critères journalistiques (tels qu’on les enseigne dans les écoles de journalisme ou dans la pratique au sein d’une rédaction), mais en termes de “confiance / méfiance”. Et le couple confiance / méfiance a ceci de particulier qu’il est totalement asymétrique, c’est-à-dire qu’il suffit d’une fois (un fait, un acte, etc.) pour qu’une confiance soit trahie.
 
Prenez cet exemple : si vous trompez un jour votre conjoint ou votre conjointe, ça ne servira probablement à rien de dire que “ce n’est qu’une fois en 10 ans, soit un jour sur 3650, soit seulement 0,02% du temps… que par conséquent vous avez été fidèle 99,98% du temps, et qu’il n’y a donc pas de raison de ne plus vous faire confiance”… 🙂 Une seule fois suffit pour créer la méfiance.
 
Ok, l’exemple est cocasse, mais il en va de même pour un partenaire commercial qui vous trahirait ou pour un ou une collègue qui vous ferait faux-bond quand vous avez le plus besoin de son aide.
 
Mais revenons au lien entre information et couple “confiance / méfiance” : feriez-vous confiance à un cueilleur de champignons qui ne se trompe pas 95% du temps sur leur dangerosité ? Est-ce que vous mangeriez les champignons qu’il vous propose ? Feriez-vous confiance à l’information qu’il vous donne ? “In real life”, se baser sur une information erronée peut être catastrophique (et on pourrait prendre des milliers d’exemples). Mieux vaut donc être (naturellement) méfiant, a fortiori lorsque la personne ou l’institution qui émet cette information a déjà fait preuve d’inexactitudes.

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Ceux “qui disent” et ceux “à qui on dit”…

Aujourd’hui, une des lignes de fracture de la société (ou peut-être “LA” ligne de fracture) est celle qui oppose celles et ceux “qui disent” et celles et ceux “à qui on dit”.

Les amoureux du verbe auront remarqué que cette ligne de fracture oppose une forme “active” (ceux qui disent), et une forme “passive” (ceux à qui on dit). Ce serait la même chose en anglais entre “those who tell” et “those who are told”…

Celles et ceux à qui “on dit” sont de loin les plus nombreux. On leur a dit d’acheter des voitures Diesel, puis on leur a dit que l’essence était moins polluante. On leur a dit d’utiliser tels ou tels produits phytosanitaires, puis on leur a dit que c’était dangereux pour la santé et la planète. On leur a dit de se former pour bosser dans tel secteur, puis on leur a dit que ce secteur n’avait aucun avenir. On leur a dit d’enseigner de telle manière, puis on leur a dit qu’on allait réformer l’enseignement. On leur a dit de manger des céréales à chaque repas, puis on leur a dit que leurs troubles de santé étaient dus au gluten. On leur a dit d’épargner, puis on leur a dit que l’épargne ne rapportait rien. On leur a dit d’attendre leur retraite, puis on leur a dit que leur retraite n’était pas tout à fait assurée… Je continue ? 

Vous l’avez compris, ce sont celles et ceux qui subissent les décisions qui viennent d’en haut, des “experts”, des “dirigeants”. En grammaire, dans la forme passive, le sujet subit toujours l’action… Celles et ceux “à qui on dit” subissent les nouvelles réglementations, les nouvelles directives, les nouvelles circulaires, les nouvelles consignes… qui viennent de celles et ceux qui ont le pouvoir, le “pouvoir de dire”. De dire ce qui est “Bien”, ce qui est “Mal”, ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire.

Réacquérir du pouvoir d’agir, c’est redevenir “actif” au sens grammatical du terme, c’est être à nouveau le “sujet de l’action”. C’est retrouver de la capacité d’agir, c’est de l’encapacitation, de l’Empowerment en anglais.

La démocratie participative, ça passe par le fait qu’il n’y ait pas de différence entre celles et ceux qui disent et celles et ceux qui subissent : les enseignants doivent pouvoir décider de l’enseignement, les agriculteurs de l’agriculture, les travailleurs du travail, les usagers de la route de l’usage de la route, les mangeurs de ce qu’ils mangent, les médecins de la médecine, etc., etc., etc…

La participation, c’est permettre aux gens de se mêler de ce qui les regarde !

Brève réflexion sur l’économie collaborative et “l’Emploi”

Chère Nathalie (prénom d’emprunt)…. Comment t’expliquer ?

Les messages ci-dessus sont extraits d’une discussion à propos de l’épicerie collaborative (et en vrac) Les P’tits Pots, à Genappe (j’ai juste changé le prénom). Pour comprendre le contexte, il s’agit d’une initiative citoyenne, issue de Genappe en Transition, et construite actuellement sur le modèle d’un GAC (Groupement d’achats collectifs). C’est un ensemble de familles qui se rassemblent pour acheter ensemble des aliments sains, locaux et en vrac, et pour assurer des permanences durant lesquelles chacun peut venir chercher, en vrac, les aliments qu’il souhaite. Tout est assuré par les membres (les “coopérateurs”) : des commandes à la vente “en magasin”, en passant par la comptabilité ou la communication.

Dans ce modèle participatif, les marges peuvent être très faibles, puisqu’elles ne servent qu’à financer des petits frais de fonctionnement, et du petit matériel. Il n’y a pas d’emplois à rémunérer au sein de l’épicerie. Et c’est bien cela que Nathalie nous reproche.

Alors, est-ce que les modèles d’économie collaborative détruisent l’emploi ? (Et je pense que la question se pose souvent dans les initiatives en transition)

1. On ne crée pas de l’emploi sur une volonté, mais bien sur un besoin. Il ne suffit pas de dire “il faut créer de l’emploi”, pour que des emplois se créent (probablement que seuls un syndicaliste ou un Ministre de l’Emploi peut encore penser ça). Et si un emploi peut être remplacé par des “bobos qui jouent au magasin“, comme le dit Nathalie, c’est que cet emploi ne servait à rien

Un emploi est financé par la plus-value créée sur le produit ou le service. Ca implique que cet emploi apporte bel et bien une plus-value. Une valeur ajoutée, quoi. Sinon, pourquoi payer pour ce qu’on peut faire aussi bien soi-même ?  Ca n’aurait aucun sens.

Et à bien des égards, la “transition”, c’est un peu ça. C’est “réapprendre” à faire certaines choses soi-même. Et c’est pour cela que l’esprit Do It Yourself y est si présent. Ca consiste à :

  • faire pousser ses légumes (et élever ses poules ?)
  • cuisiner soi-même
  • faire ses conserves, son pain, ses jus…

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Brève réflexion sur les débats politiques et la participation citoyenne

Ce lundi, j’ai eu la chance de modérer le débat préélectoral à Genappe (pour cause de désistement à la dernière minute du journaliste qui devait modérer).

L’expérience a été intéressante et je remercie les organisateurs de m’avoir proposé cette modération.

J’ai envie de donner mon “point de vue”, qui est forcément celui de quelqu’un qui voyait le public de face, puisque j’étais sur scène avec les candidats, pour modérer.

Je me suis demandé, à plusieurs reprises, à quoi pouvait bien servir ce genre de débat. Ca peut paraître bizarre de dire ça – et je ne veux pas du tout cracher dans la soupe ! Je m’explique : en connaissant pas mal de monde à Genappe, j’avais l’impression de pouvoir identifier clairement les groupes politiques dans le public. Pas mal de #CréonsDemain, dispersés en 2 groupes principaux, les PluS au fond, les MR-CDH au milieu (et quelques-uns debout derrière), et Ensemble devant. Et puis quelques citoyens engagés, qui ne sont pas rattachés explicitement à une formation politique, mais qui, par leur engagement dans la commune, sont bien au fait de tout ce qu’il se passe.

Du coup, ma question est : est-ce qu’il y a vraiment beaucoup d’habitants qui sont venus s’informer lors de ce débat ? Alors, j’en ai déjà discuté avec certains, et il semble que oui, il y avait des habitants qui étaient venus pour s’informer. Mais j’ai l’impression qu’ils étaient très minoritaires. Quand les candidats, qui étaient à côté de moi, parlaient, je voyais les réactions dans la salle, et donc je voyais les groupes politiques opiner du chef lorsque leur candidat parlait, et grincer des dents (ou rigoler) lorsque les autres candidats prenaient la parole. Bref, ça donnait l’impression que le public était davantage là pour “supporter” un candidat que pour s’informer.

Je pense que c’est la limite de ce genre de dispositif. En même temps, on ne peut pas se passer de ce genre de débat, parce que la démocratie, c’est débattre, c’est confronter les idées, etc. Mais est-ce que ce type de dispositif permet cela ? Et si pas, quel serait le bon dispositif pour permettre un réel échange d’idées ? Continue reading Brève réflexion sur les débats politiques et la participation citoyenne

Brève réflexion sur les partis “citoyens” (en réponse à un article du Soir)

J’avais envie de réagir à l’article du journal Le Soir intitulé “Les listes citoyennes: des listes ‘déguisées’?” … Je crois que le journaliste passe à côté de l’essentiel : ce n’est pas en regardant QUI est sur une liste qu’on peut dire si elle est “citoyenne” ou pas.
 
1. Parce que ça amène à des discussions interminables sur la définition de “citoyen”. Qui sont les “citoyens” ? Et par conséquent, qui ne l’est pas (ou ne l’est plus) ? Quelqu’un qui a déjà un mandat est-il encore un citoyen ? Oui, non, pourquoi ? Bref, aborder la question sous cet angle-là, c’est transformer la citoyenneté en une identité : certains le seraient, d’autres ne le seraient pas. Et c’est la course à la liste qui compte le plus de “citoyens”…
 
2. Parce qu’aux élections communales, les partis, même les plus traditionnels, doivent toujours remplir leur liste avec des personnes qui sont tout à fait nouvelles en politique. Soyons honnêtes, au quotidien, dans certaines communes, les locales des partis (même du PS, du MR, du CDH ou d’Ecolo, et d’autant plus s’ils sont dans l’opposition) ne comptent pas plus de 7 à 10 personnes actives, qui participent aux réunions, préparent les conseils communaux, alimentent le site et la page Facebook de la locale, etc. Du coup, s’ils doivent constituer une liste complète, ces partis doivent y intégrer de nombreux habitants de la commune, tout à fait novices en politique qui, pour beaucoup, ne faisaient pas partie du parti quelques mois auparavant. Ca a toujours été comme ça. Ca n’en fait pas une liste “citoyenne”. Ca s’appelle juste “trouver assez de personnes pour proposer une liste complète”…
 
NON, à mon sens, et c’est ce que j’ai essayé d’expliquer dans cette carte blanche, dans Lalibre.be, “Les partis ‘citoyens’ sont-ils bien sincères?“, un parti est “citoyen” s’il permet à l’ensemble de la population d’exercer son rôle de citoyen.
 
C’est-à-dire : ce n’est pas parce qu’il y a 5, 10 ou 15 “citoyens” au sens de “personnes qui n’ont jamais fait de politique” sur la liste, que c’est un parti “citoyen”. C’est un parti “citoyen”, si ce parti permet à 100% des habitants de la commune de jouer leur rôle de citoyens…
 
Donc, les questions à se poser sont : comment ce parti propose-t-il de gouverner ? Que met-il en place (avant même les élections !) en matière de participation citoyenne ? Comment propose-t-il de consulter la population ? A quelle fréquence ? Quels sont les dispositifs de participation citoyenne qui sont mis en place : ateliers urbains, budget participatif, conseils consultatifs, comités d’accompagnement, commissions de rénovation, comités de quartiers, maisons de la participation, échevins de la participation, etc….
 
Demandez-vous : qui va décider après les élections dans votre commune ?
 
▪️ le collège tout seul ? 👉 ce n’est pas un parti citoyen.
 
▪️ les ministres régionaux et fédéraux du même parti que la majorité ? 👉 ce n’est pas un parti citoyen.
 
▪️ le président du parti de la majorité ? 👉 ce n’est pas un parti citoyen.
 
▪️ l’ensemble des habitants de la commune ? 👉 Bingo ! Il y a des chances que ce soit un parti citoyen !
 
En somme, c’est dans la mesure où un parti s’engage à permettre à l’ensemble des habitants de reprendre en main les commandes de leur commune, grâce à des processus participatifs au quotidien, que ce parti peut réellement mettre en avant l’aspect “citoyen” de sa démarche…

Au coeur de la démocratie : le tirage au sort !

En pleine période électorale (en Belgique), il est intéressant de se rappeler que l’élection n’est, à la base, pas un procédé démocratique. Aristote, comme Montesquieu ou Rousseau, percevaient l’élection comme typique de l’oligarchie (Aristote) ou de l’aristocratie (Montesquieu).

Ces grands penseurs de la démocratie faisaient reposer celle-ci sur le principe du tirage au sort. De fait, cette manière de faire était au fondement de la démocratie, puisque c’était déjà utilisé sous Solon (640-558 av. JC.), à qui on attribue (à tort ou à raison) l’instauration de la démocratie athénienne.

Pourquoi le tirage au sort ?

1. Parce que la démocratie postule que tout le monde a la capacité de participer à la gestion de la Cité. La démocratie ne demande pas de compétences spéciales.

2. Parce qu’il faut une alternance entre les gouvernés et les gouvernants. L’élection pourrait induire le fait qu’on réélise toujours les mêmes (sans blague ??). Aristote l’expliquait très bien…

[Extrait  “Tous les citoyens doivent être électeurs et éligibles. Tous doivent commander à chacun, et chacun à tous, alternativement. Toutes les charges doivent y être données au sort, ou du moins toutes celles qui n’exigent ni expérience ni talent spécial. (…) Nul ne doit exercer deux fois la même charge, ou du moins fort rarement, et seulement pour les moins importantes, excepté toutefois les fonctions militaires. Les emplois doivent être de courte durée, sinon tous, du moins tous ceux qui peuvent être soumis à cette condition.”

Bref, le tirage au sort permet une alternance des dirigeants.

3. On ne peut pas prévoir à l’avance si quelqu’un va être un bon dirigeant ou pas. Donc, autant laisser le sort choisir. MAIS par contre, ce dirigeant tiré au sort sera jugé sur sa gestion, tout au long de son mandat.

Très clairement, si Aristote, Montesquieu et Rousseau observaient notre système actuel, ils ne le percevraient pas comme “démocratique” :

  • On est plus dans une “technocratie” (qui est une forme d’oligarchie) très peu participative, dans laquelle la population est désappropriée de son pouvoir de décision au profit d’une classe d’experts et de “professionnels de la politique”.
  • Il y a très peu d’alternance au pouvoir.
  • L’élection implique un choix “a priori” sur base d’un programme ou d’une bonne tête. Par contre, une fois élu, le mandataire jouit d’une immunité formelle et informelle, qui fait qu’il est très difficilement éjectable (sous prétexte précisément qu’il a été élu).

Aux prochaines élections communales, la liste Kayoux-OLLN utilise pleinement ce principe du tirage au sort. Je ne peux qu’espérer que d’autres partis (citoyens) s’en inspireront !

Brève réflexion : Écologie et capitalisme sont-ils incompatibles?

Une petite réflexion suite à la démission de Nicolas Hulot en France, et aux discussions qui ont suivi en Belgique, dont le débat entre Philippe Lamberts (Ecolo) et Charlie Le Paige (PTB) dans l’émission “CQFD” sur La Première – RTBF (https://goo.gl/5JZjm9)

Le fait qu’on n’arrive pas à penser la protection de notre environnement hors du cadre capitalisme v/s socialisme, gauche v/s droite, marché v/s Etat, etc., explique en soi l’inefficacité des partis écologistes / verts, malgré l’urgence écologique…

Un véritable projet écologique devrait être au centre d’un nouveau modèle de société, construit entre autres sur la notion de “communs”, et sur la bonne échelle pour que chacun puisse participer aux décisions qui le concernent. C’est l’idée d’une gestion participative des biens qu’on a “en commun”.

Il n’y a rien qui ressemble à un capitalisme vert, pas plus qu’il n’a existé un communisme vert*. Et ON S’EN FOUT. La seule chose qu’on a à faire, c’est d’arriver à vivre sans détruire l’environnement qui nous permette de vivre, de nous reproduire et d’y laisser vivre les générations futures.

… On l’a fait durant +/- 2,5 millions d’années… en fait précisément jusqu’à l’apparition du socialisme et du capitalisme, deux produits du modèle industriel.

Se demander si l’écologie est de gauche ou de droite, c’est comme se demander si lutter contre le diabète ou l’hypertension, c’est être capitaliste ou socialiste. Ca n’a aucun sens… et c’est inefficace.

* Pour info, dans les années 80, l’URSS générait 1,5 fois plus de pollution que les Etats-unis, par unité de PNB. Source : Global Environmental Change, Volume 4, Issue 3, September 1994, Pages 201-227.

Photo : St. Petersburg, URSS, 1935.

Brève réflexion : partis populistes / partis traditionnels : trop vite ou trop lent ?

Je pense qu’il y a une différence entre les partis dits “populistes” et les partis “traditionnels”, qui n’est pas souvent abordée : c’est la RAPIDITÉ avec laquelle les partis “populistes” passent à l’action v/s la LENTEUR des partis “traditionnels”.

Un bon exemple à propos de l’enseignement : on apprend aujourd’hui, en Belgique, que le Pacte d’excellence, ce pacte pour la rénovation de l’enseignement, est finalement reporté à la prochaine législature (2019), durant laquelle la Ministre Marie-Martine SCHYNS (CDH – Centre Démocrate Humaniste) qui a porté ce pacte n’est pas assurée d’être toujours au pouvoir, et encore moins ministre de l’éducation. (article : https://goo.gl/GN5Bi2)

Pour rappel, les travaux autour de ce pacte d’excellence ont débuté en 2015. La seule mise en place d’une nouvelle grille-horaire dans l’enseignement primaire est prévue pour 2020. C’est 2024 pour l’enseignement secondaire. La fin du processus de réforme est prévu pour 2028.

13 ans de travaux ! Les parents qui ont été convié à participer (puisque le pacte d’excellence prévoyait une dimension participative) ont toutes les chances de n’avoir plus aucun enfant dans l’enseignement lorsque le fruit de leurs travaux seront mis en oeuvre.

Il est intéressant de comparer avec la Pologne️ qui connaît actuellement une réforme de son enseignement : une modification complète de la structure des études qui passe d’un système avec 6 ans en Primaires, puis 3 ans en “Junior High School”, et 3 ans en “High School”, à un système avec 8 ans en Primaires, puis 4 ans en “High School”.

… Tout ça en 10 mois ! 10 MOIS !

Cette réforme est portée par le parti “Droit et Justice”, des frères Kaczynski, au pouvoir depuis 2015. Un parti classé comme conservateur, euro-sceptique, de “droite populiste”. Par là, ce parti a répondu à la demande de son électorat de revenir à un système que la Pologne connaissait avant 2009. (article : https://goo.gl/fdxcus) Continue reading Brève réflexion : partis populistes / partis traditionnels : trop vite ou trop lent ?

Monsanto : quand 12 citoyens font ce qu’aucun organisme public n’est arrivé à faire

Il n’est jamais facile de proposer une analyse d’un fait d’actualité, surtout d’un procès qui va encore connaître des recours et autres rebondissements.

Je voudrais juste extraire un élément qui me semble important : c’est un tribunal composé de citoyens qui a fait ce qu’aucun organisme public n’avait été capable de faire.

La décision de ce tribunal de San Francisco, condamnant Monsanto à payer 289 millions de dollars, suite à la reconnaissance du rôle du glyphosate dans le cancer de Dewayne Johnson, constitue la reconnaissance par une jury composé de citoyens, qu’une entreprise ne peut porter atteinte à notre santé et tromper l’opinion publique impunément. Ce jury a d’ailleurs accordé 39 millions de dollars au plaignant pour les dommages occasionnés, et 250 millions de dollars de “punition” à Monsanto pour avoir volontairement caché les dangers de son produit.

Rappelons quelques points importants :

1. L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence

Je l’ai déjà répété plusieurs fois. Cette phrase devrait clignoter à l’entrée des bâtiments de tous les organismes publics de protection de la santé ou de l’environnement : l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence.

Si on a testé 1000 cas, on ne peut produire une affirmation scientifiquement valable que sur ces 1000 cas. Pas sur le 1001ème. Encore moins sur les 100.000 autres cas qui suivent. On peut supposer, on peut faire des hypothèses, on peut proposer des probabilités, mais on ne peut pas dire qu’un événement n’arrivera jamais.

J’avais déjà utilisé cet exemple ici : Mettons 999 boules noires dans un sac, et 1 boule blanche. Je tire, une à une, 500 boules. Elles sont toutes noires. Si à partir de mes observations, j’en induis que toutes les boules du sac sont noires, je me trompe !

Probablement que chaque nouveau tirage d’une boule noire renforcera ma certitude : “vous voyez, toutes les boules sont noires”… jusqu’à ce que la boule blanche apparaisse, venant définitivement me donner tort ! Cette boule blanche, ça peut être un jardinier atteint d’un cancer parmi 1000 jardiniers.

La science peut tester ce qui est, ce qui a été (et c’est déjà assez compliqué comme ça de la faire valablement), elle ne peut pas tester ce qui va arriver. L’induction (généraliser à partir des faits singuliers) n’amène aucune certitude scientifique.

L’esprit scientifique, l’empirisme, le scepticisme, etc., se sont construits sur cette critique de l’induction. Dès le 2ème siècle, dans ses “Hypotyposes” (Livre II), Sextus Empiricus, philosophe sceptique et médecin de l’école de médecine antique “empirique”, écrivait : Continue reading Monsanto : quand 12 citoyens font ce qu’aucun organisme public n’est arrivé à faire

Brève réflexion sur la “responsabilité” quand on laisse sortir un terroriste

Comment est-ce possible que les co-détenus de Benjamin Herman, auteur de la tuerie à Liège, le jugeaient violent et dangereux, mais que le Ministre de la Justice affirme qu’il entrait dans les conditions de congé pénitentiaire, et qu’il soit “normal” que la prison le lui ait accordé… alors que quelques heures après, il tuait 2 policières et 1 jeune homme, en criant Allahu Akbar !

Ces propos du Ministre témoignent d’une naïveté “scientiste” et du plus haut fétichisme bureaucratique !

Je m’explique…

Interrogé sur Radio Première, Koen Geens (Ministre de la Justice) explique que le tueur “entrait vraiment dans les conditions” (d’octroi d’un congé pénitentiaire). Ce à quoi on devrait répondre, de manière très sensée, “Ca, on s’en fout” ! Peut-être que dans la grille d’évaluation qui a été créée pour juger les demandes de congé pénitentiaire, Benjamin Herman remplissait tous les critères, dont celui de ne pas “risquer de commettre de nouvelles infractions graves”. Sauf que dans la réalité, il a bel et bien commis de nouvelles infractions graves.

Alors, certains diront évidemment que les critères d’évaluation du risque ne doivent pas être bons, et qu’il faut affiner ces critères. Mais personne ne remettra en cause le fait de juger la réalité à partir d’une grille d’évaluation, de critères standardisés, etc. Et pourtant, je pense que le problème est bien là.

Voici un exemple – beaucoup moins tragique. Lorsque j’étais enseignant, je coordonnais les stages, et donc les défenses de stage, dans ma section. Mes collègues et moi étions censés évaluer la présentation de chaque élève. Et pour cela – dans le but d’être “objectifs”, nous avions des “critères”. Bien sûr, chaque année, d’un enseignant à l’autre, les notes pouvaient varier énormément. Sur le même critère, l’un mettait une cote de 9/10, alors que l’autre mettait 2/10. Comment était-ce possible, alors que nous jugions la même présentation ? Peut-être que les critères étaient mal définis ? Ou que certains étaient trop “subjectifs” ? Dans un cas comme dans l’autre, nous nous disions chaque année qu’il faudrait “revoir nos critères”. Après tout, si nous divisions davantage les critères, nous aboutirions bien à quelque chose de “vraiment objectif”, non ? Par exemple, au lieu d’avoir un critère “présentation générale” sur 6 points, nous divisions en 3 critères :

  • Tenue vestimentaire : 2 points
  • Introduction (A-t-il dit bonjour ? Etc…) : 2 points
  • Langage : 2 points

… Sauf que ça n’allait toujours pas, des divergences persistaient. Alors, on se disait : “Divisons encore plus les critères ! ‘Présentation générale’, c’est trop subjectif”. Et on divisait :

  • Cravate (pour un homme) : Il a une cravate -> 1 point. Il n’a pas de cravate -> 0 point
  • Se tenir droit : Oui -> 1 point. Non -> 0 point

Et ainsi de suite. Avec cette illusion tout à fait bureaucratique qu’à un moment, nous pourrions juger comme des “automates” : OUI/NON. Et quoi de plus objectif et rationnel qu’un automate ?

… Sauf qu’un problème émergeait souvent : un élève pouvait remplir tous les critères (il portait une cravate, il parlait comme il fallait, il avait cité tous les points importants, son powerpoint était comme demandé, etc.)… et pourtant, l’impression générale était que sa présentation était… nulle. Si nous avions été des employeurs et avions dû l’embaucher, personne ne l’aurait pris. Et pourtant, il remplissait tous les critères “objectifs” de notre grille d’évaluation “objective”.

Inversement, il arrivait qu’un élève nous ait laissé une très bonne impression générale… alors qu’objectivement, critère par critère, il fallait bien avouer qu’il avait oublié sa cravate, qu’il ne s’était pas présenté avec les formules de politesse convenues en commençant, etc. Si nous avions été employeurs, nous l’aurions engagé sur le champ… mais nous devions lui mettre de mauvaises notes…

… et nous décidions donc de revoir nos critères pour les défenses de stage de l’année suivante.

Sans comprendre que :

  1. Le “tout” est plus que la somme des parties ( = l’image qu’on a de quelqu’un ne peut pas se réduire à une somme de critères)
  2. Il y a une différence entre un jugement pur, déconnecté de la réalité et sans conséquences (évaluer parce qu’il faut évaluer) et un jugement pratique, qui aura des conséquences (juger qui on va engager dans notre entreprise, juger à qui on va confier nos enfants pour une soirée, etc.)

La question est celle du “skin in the game” et de la responsabilité dans un cadre bureaucratique.

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