New Books (4)

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Ca faisait un petit temps que je ne l’avais plus fait : voici les derniers ouvrages que j’ai achetés dans le cadre de ce que j’essaie d’écrire sur “Anti-délégation. Ou la société de l’Empowerment” (nouvelle formulation du titre !). Chacun de ces livres devrait me permettre d’avancer sur quelques points précis…

Bureaucratie“, de David Graeber, auteur du fameux articles “Bullshit Jobs“, dont j’ai parlé ici, ainsi que “Fragments of an Anarchist Anthropology” (PDF). Ce livre devrait prolonger l’ouvrage de Béatrice Hibou, “La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale“, avec en plus un angle anarchiste. Cette phrase du quart de couverture me parle particulièrement : “Comment en sommes-nous arrivés, dans une société dite libérale, à passer une grande partie de notre temps à remplir de plus en plus de formulaires ? Et à quel point nos vies sont-elles gâchées par toute cette paperasserie sans fin ?

Terreur dans l’hexagone. Genèse du djihad français“, de Gilles Kepel. On a pas mal parlé de cet ouvrage dans la presse. J’ai déjà lu beaucoup de choses sur la radicalisation des jeunes, mais ce qui m’intéresse ici, c’est le fil conducteur que tend l’auteur entre les émeutes de 2005 et les attentas récents. Sa dernière partie, qui intègre dans une même analyse radicalisation et montée de l’extrême-droite, m’intéresse aussi. Tout cela rejoint ce que j’ai pu écrire sur la métaphore du bateau qui coule

La décroissance et l’Etat“, Entropia – Revue d’étude théorique et politique de la décroissance. Plusieurs articles m’intéressent particulèrement dans ce numéro : “L’Etat et la révolution (de la décroissance)” (Serge Latouche), “La société décroissante contre l’Etat ?” (Gilles et Jean-Marc Luquet), “Pour une théorie de l’Etat dans la modernité” (Clément Homs), ou encore “Pour une décroissance libertaire” (Jean-Claude Besson Girard). J’espère y trouver quelques éléments intéressants quant au lien entre la crise de l’Etat capitaliste industriel moderne et les mouvements de la décroissance.

L’âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable“, de Philippe Bihouix. J’avais vu l’auteur à l’émission “Ce soir (ou jamais !)“. Ce livre pourrait être un complément intéressant à l’ouvrage “Comment tout peut s’effondrer” de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, paru d’ailleurs chez le même éditeur.

La fin du salariat“, de Jean-Pierre Gaudard. Ce sera probablement l’un des derniers bouquins que je lirai, avant de boucler le (long) chapitre sur le travail, qui s’intitulera probablement “Repenser la notion de ‘Travail’“…

Liberté & Cie. Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises“, d’Isaac Getz et Brian M. Carney. En complément de l’ouvrage précédent (“La fin du salariat“), cet ouvrage de Getz et Carney montre qu’on peut aussi imaginer d’autres formes de salariat, dans lesquelles les travailleurs peuvent reprendre en main leurs conditions de travail.

Qu’est-ce qu’un peuple ?“, un ouvrage collectif avec des articles de Badiou, Bourdieu, Butler, Didi-Huberman, Khiari et Rancière. Celui-là, c’est pour le côté plus “intellectuel” avec des considérations philosophico-théoriques sur “le peuple” 🙂 Mais quelques-unes pourraient me servir pour un chapitre sur “le peuple” dans la société actuelle. Y a-t-il encore un sens à parler de “peuple” ? Et si oui, qui seraient ceux qui se revendiqueraient encore du peuple ?

Voilà donc ce sur quoi je travaillerai les prochaines semaines. Si vous avez lu certains de ces ouvrages, que vous voulez partager vos impressions, vos questions, n’hésitez pas ! J’ai, depuis le début, conçu la rédaction de mon livre comme un travail collectif, se nourrissant de toutes les discussions que je pouvais avoir (et que souvent, les réseaux sociaux permettent).

Je remarque aussi que ce sont souvent les mêmes éditeurs qui publient les ouvrages qui sont dans la même veine que mes travaux : “LLL – Les Liens qui Libèrent” (qui ont publié Graeber et Rifkin, par exemple) et les éditions du Seuil, collection “Anthropocène” (qui ont publié les ouvrages de Bihoux et Servigne & Stevens). Peut-être que c’est chez eux que je devrai me diriger prioritairement pour la publication ? Si vous avez des conseils, n’hésitez pas non plus ! 😉

Bonne lecture !

Et si nous refusions d’être au service de l’industrie alimentaire ?

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Je voudrais faire sortir l’industrie du soda de la médecine du sport !” C’est ce qu’à récemment déclaré Coach Glassman, le fondateur du CrossFit, dans ce qui ressemble à une croisade de CrossFit Inc. contre Coca-Cola ou Gatorade. Il y a quelques jours, CrossFit Journal publiait “Sugar Bombs“, un article expliquant en quoi les “boissons sportives” (“sports drinks“) étaient trop chargées en sucre, et pouvaient affecter la performance sportive et la santé.

Plus largement, ce à quoi s’attaque Glassman est l’intrusion de l’industrie alimentaire, et en particulier des marques comme Coca-Cola ou Pepsi dans le sponsoring d’associations médicales et d’organisations liées à la santé ou au sport. Ainsi, Coca-Cola vient de créer le “Global Energy Balance Network” qui vise à promouvoir un bon équilibre entre l’énergie Capture d’écran 2015-08-19 à 08.45.53dépensée (par l’activité physique) et l’énergie ingérée (par l’alimentation) pour lutter contre l’obésité….

Via son “Beverage Institute for Health and Wellness“, Coca-Cola a également fondé l’initiative “Exercise is Medicine“, dirigée par l’American College of Sports Medicine (ACSM). L’idée, qu’on va retrouver assez souvent, est d’être en meilleure santé par le sport… Comprenons-nous bien : je ne conteste pas l’idée qu’il faille faire du sport – au contraire ! Je voudrais juste mettre en doute l’importance mise par l’industrie alimentaire sur le sport, par rapport à l’alimentation, lorsqu’il est question de surpoids, d’obésité, et plus largement de santé.

La théorie du calorie “in” / calorie “out” est, à ce niveau, particulièrement utile pour l’industrie alimentaire : “vous pouvez continuer à consommer, voire sur-consommer nos produits hyper-caloriques, du moment que vous vous dépensez en suffisance !”. Dans cette optique, le problème de l’obésité serait principalement dû à un manque d’activité physique, pas à une alimentation trop calorique, trop chargée en sucre. En gros, ce n’est pas de la faute de l’industrie alimentaire, c’est de votre faute : vous ne faites pas assez de sport. Heureusement, Coca-Cola va promouvoir le sport… pour lutter contre l’obésité.

Le problème, c’est que pour lutter contre le surpoids, l’alimentation est plus importante que l’activité physique. C’est pourquoi la théorie CrossFit place l’alimentation à la base de sa hiérarchie du développement d’un athlète. L’alimentation est plus importante que la pratique sportive. Sinon, comment expliquer, comme le montrait le documentaire Fed Up, que sur la période 1980-2000, l’inscription dans les clubs de sport a doublé aux Etats-Unis, mais que sur cette même période, le taux d’obésité a également doublé !

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Fuck this shit !! I’m gonna eat my own food !!

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Conseil de lecture : Essayons quelque chose de nouveau. Si vous avez un compte Spotify, je vous invite à écouter cette playlist en lisant l’article ci-dessous. Vous comprendrez très vite en quoi l’une est liée à l’autre…

Dans l’introduction à “Empowerment ou la société de l’anti-délégation“, j’ai écrit que la bande-son de la révolution en cours était une playlist composée de Hip-Hop et de Hardcore Punk (chap.3). Que l’on ait baigné dans ces cultures urbaines ou pas, le fait est que le Hip-Hop et le Hardcore portent ce message de reprise en main de sa destinée, individuelle et collective, qui caractérise, à mon sens, les mouvements sociaux émergents. Cela est bien documenté par les travaux de Stoute (2011) pour le Hip-Hop et les travaux de Hein (2012) et Haenfler (2004) pour le Hardcore Punk.

Un reportage récent, que l’on peut voir sur Youtube, “Under the Influence : New-York Hardcore” m’a permis de prendre conscience de ce qui est probablement au fondement de la démarche de beaucoup de trentenaires (et plus jeunes) en matière d’alimentation. Deux choses : le refus et le Do It Yourself ! Resistance & DIY : So hardcore !!

J’ai baigné, via mes parents, dans un univers où on choisit des produits bios, où on se soigne naturellement, et où on est plutôt écolo. C’est sûr. Mais ce qui fonde mon rapport à l’alimentation, et probablement à tout un ensemble d’autres choses, est beaucoup plus proche du :

FUCK YOU !! I don’t want to eat your shit !!!

Fuck you, industry ! Fuck you, market ! Fuck you, supermarkets ! I’m gonna eat… my own food !!

C’est hardcore dans l’attitude. C’est légèrement arrogant. Et ça se crie plus que ça se dit. Vous vous rappelez certainement de cette phrase “Fuck You ! I won’t do what you tell 2d093fe7a70ef489984fe39f495e26e4me !” du célèbre “Killing in the name” de Rage Against The Machine ? Et bien, on est en plein dedans !

Si l’on analyse un peu ce qui est au fondement du Hardcore Punk, on trouve le refus : refus de la société qu’ “on nous a conçue”, refus de ses normes, de ses dogmes, de ses évidences. Le mouvement Hardcore Punk est une sous-culture, et en cela constitue une forme de résistance à la culture dominante ou à la société “hégémonique”, pour parler comme Gramsci. La “résistance” a toujours été le point central des sous-cultures, comme en témoignent les recherches du célèbre Centre for Contemporary Cultural Studies (CCCS) de l’Université de Birmingham, pour les connaisseurs (Haenfler, 2004 : 407).

Mais là où se distingue l’attitude proprement Hardcore, c’est dans le fait que ce refus n’amène pas l’individu à sombrer dans un chaos autodestructeur, dans une attitude d’abandon nihiliste comme on l’a souvent vu dans les sous-cultures punk rock, hippie ou skinheads. Abandon du combat pour rentrer dans le système, ou abandon dans les pratiques autodestructrices : drogue, alcool, suicide, etc. Continue reading Fuck this shit !! I’m gonna eat my own food !!

La fin de leur monde

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Photo : Emmanuel Rosario

Un an après le début de la publication de textes sur la notion d’Empowerment, et ce que j’ai appelé l’ « anti-délégation », voici un texte qui synthétise là où j’en suis actuellement. Durant cette année, j’ai continué à écrire, à lire (surtout) et j’ai essayé de mettre tout cela en pratique, en créant – avec trois autres – notre entreprise, et en vivant de ma passion. 

J’ai discuté. Beaucoup. Avec plein de gens. Je n’ai pas su répondre à tout le monde. J’ai eu des contacts avec des maisons d’édition intéressées. Mais je n’en suis pas encore là. Il y a encore beaucoup à écrire.

Ce texte, c’est l’état actuel de ma réflexion sur les mouvements d’Empowerment dans la société actuelle. Et j’ai décidé de l’intituler « la fin de leur monde ». Temps de lecture : 15 minutes (cliquez ici pour la version PDF).

La fin de leur monde, c’est ce que j’essaie de décrire. C’est le sentiment qu’on vit dans un monde de plus en plus absurde. Un monde auquel on n’arrive plus à trouver un sens.

La fin de leur monde, c’est la fin de leurs institutions, auxquelles nous étions censés déléguer de pans entiers de notre existence, mais auxquelles on ne croit plus.

C’est la fin de leur Etat, dont on ne voit plus en quoi il est l’émanation de la souveraineté du peuple, en quoi il nous protège, nous assure l’égalité, l’émancipation, et l’accès aux moyens de subsistance.

C’est la fin de leur économie, de leurs marchés, de leurs échanges mondialisés. C’est la fin de leur système qui fait parcourir des milliers de kilomètres aux tomates qui arrivent dans nos assiettes, les chargeant en substances chimiques nocives pour notre santé, et les appauvrissant en micronutriments utiles à notre alimentation, tandis que notre voisin, producteur local de fruits et légumes, est acculé sous les charges, les règlements, les interdictions, les entraves au développement.

Et tout se mélange lorsqu’on nous dit que « notre » Etat doit sauver leurs banques. C’est le sentiment que c’est notre argent qui est utilisé pour sauver ceux qui ont tout perdu, en jouant avec… notre argent.  Ou lorsqu’on nous dit qu’il faut sauver leur industrie, pour sauver nos emplois, même si c’est au détriment de notre planète.

En réalité, c’est la fin de leur emploi, de leur Travail, des carrières qu’ils ont conçues pour nous (à la police, à l’armée, à la fonction publique, à la banque, à l’usine ou dans telle grande entreprise), des emplois stables, de l’épanouissement par le travail, des parcours d’insertion professionnelle pour chercheurs d’emploi. Et c’est la fin de leurs délégations syndicales, à qui on déléguait la défense de nos emplois. C’est la fin de leurs grèves…

C’est la fin de leur école, dans laquelle nous semblons tous perdus : enseignants, élèves, parents. Dans laquelle nous sommes pris entre la nostalgie des uns, dont les rappels à l’ordre et aux valeurs semblent obsolètes, et les volontés de réforme des autres, dont les innovations pédagogiques semblent désuètes. C’est le sentiment que ceux qui ont élaboré les programmes n’ont jamais enseigné dans nos écoles, à nos élèves ou à nos enfants.

Et c’est en vrac, la fin de leur médecine à laquelle on ne sait plus si on peut croire, tant elle paraît éloignée de nos maux, et de nos remèdes, de leurs médias, de leurs élections, de leurs conflits religieux, de leurs administrations.

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C’est en vrac le sentiment qu’on manque constamment de temps, qu’on court sans arrêt, sans savoir après quoi ; le sentiment que tout nous échappe ; qu’on nous en demande toujours plus, sans nous en rendre ; qu’on ne sait plus à quoi ou à qui se fier ; c’est le sentiment qu’on n’est plus les « Sujets » de nos vies, lorsqu’on est constamment l’ « objet » des réformes, des sondages, des mesures, et des dispositifs mis en place pour nous. Continue reading La fin de leur monde

Ne laissons pas la défense des petits indépendants à la droite réactionnaire (et raciste)…

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Je voulais réagir à un article qui fait son petit buzz sur les réseaux sociaux, en ce moment, en Belgique : “L’Etat a tué mon resto préféré“. Le titre résonne évidemment avec ce que j’ai pu écrire sur l’Etat bureaucratique dans le cadre de l’ “Empowerment ou la société de l’anti-délégation“.

Le restaurant dont il s’agit, c’est “Bleu de Toi”, à Bruxelles, qui a dû fermer récemment. Le premier paragraphe nous dit que “la courageuse restauratrice met la clef sous le paillasson après 22 ans. Encore un exemple de gâchis extraordinaire parce que nos politiciens n’ont pas compris que les petits indépendants sont ceux qui créent le plus d’emplois, qui dynamisent notre économie. Or, ils doivent, plus que d’autres supporter une fiscalité écrasante.”

Evidemment, en tant qu’indépendant moi-même, chef de très (petite) entreprise, je ne peux que confirmer la situation difficile de l’entrepreneuriat en Belgique (mais j’imagine que ce n’est pas tellement différent en France). Tout se passe comme si l’Etat n’était là que pour empêcher le développement de toute activité économique indépendante. Une liste infinie de réglementations, de taxations plus ou moins justifiées, d’entraves, de “bâtons dans les roues”, rend, comme le dit l’article, “la vie d’indépendant en Belgique extrêmement périlleuse“. Chaque semaine, on parle dans la presse d’une enseigne qui doit fermer, submergée par les entraves administratives, comme cette boucherie de près de 100 ans, à Pépinster , en Belgique. Continue reading Ne laissons pas la défense des petits indépendants à la droite réactionnaire (et raciste)…

Pour rebondir sur le dossier “Economie collaborative” de Socialter

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J’aimerais conseiller le dernier numéro de la revue “Socialter“, et son dossier sur l’économie collaborative. Si vous pouvez vous procurer la revue, foncez !

De nombreux éléments composants ce dossier rejoignent ce que j’ai pu écrire sur la notion d’Empowerment et ce que j’ai appelé la société de l'”anti-délégation”. Pour celles et ceux qui arriveraient pour la première fois sur ce blog, les bases de ce projet se trouvent dans cette introduction “Empowerment ou la société de l’anti-délégation“. Deux chapitres “en construction” ont été publiés : un chapitre sur l’Etat, la bureaucratie et le travail (“6. La crise de la délégation“) et un chapitre sur l’alimentation (“7.1. Reprendre en main son alimentation et sa santé“). Un chapitre paraîtra très prochainement sur les nouvelles formes de contestation : Occupy, les Indignés, etc.

(Toutes les références (n° de page, etc.) renvoie au numéro 6 de la revue Socialter, août-septembre 2014.)

DONC, en lisant le dossier de Socialter, j’ai apprécié l’impression que “j’étais dans le bon” avec mon analyse des mouvements sociaux et culturels actuels. Uber, Airbnb, les groupements d’achats collectifs, la Ruche Qui dit Oui, le co-voiturage, Wikipedia, etc… Tout cela relève bien d’une même dynamique. (J’avais déjà fait référence à la Ruche qui dit Oui, à partir d’un article de Socialter, dans cet article…).

MAIS je pense que le coeur de cette dynamique, le point central de ces évolutions, n’est pas en soi le partage ou la collaboration. Je pense que c’est autre chose, même si ces deux dimensions en sont constitutives. Je dirais que le partage et la collaboration sont des caractéristiques descriptives des évolutions actuelles, mais qu’elles n’en sont pas des caractéristiques définitionnelles. D’où la difficulté, qu’on ressent, me semble-t-il, dans le dossier de Socialter, pour définir si l’économie collaborative est toujours de la marchandisation ou si c’est du partage, si c’est libéral ou du “communisme à la cool” (p.31). Ce genre de questions est, selon moi, inutile parce que l’économie collaborative et les logiques de partage relèvent d’un mouvement plus large, qui rend l’opposition gauche-droite obsolète, comme je l’ai expliqué ici : “2.1. Au-delà de l’opposition gauche-droite.

Pourtant, ce mouvement plus large est plusieurs fois esquissé dans le dossier. Je pense que sa caractéristique définitionnelle est : le fait de reprendre le pouvoir sur soir-même et de ne plus déléguer à des institutions ou des intermédiaires, ce que l’on peut faire soi-même. Dans l’échange et le partage de particuliers à particuliers (peer-to-peer), je crois que c’est la dimension “particuliers à particuliers” qui est la plus importante, plus que l’échange ou le partage en soi. Continue reading Pour rebondir sur le dossier “Economie collaborative” de Socialter

6. La crise de la délégation

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Ce texte est le chapitre 6 de l’ouvrage en cours d’écriture “Empowerment ou la société de l’anti-délégation“. Toutes les infos et l’introduction à cette réflexion se trouvent ici (il est préférable de lire l’intro avant ce texte, pour bien en comprendre tout le sens, mais vous pouvez aussi vous contenter de ce texte, si seules ces questions vous intéressent… et peut-être que cela vous donnera envie d’aller voir dans quelle réflexion plus large ce texte s’inscrit ?) 😉

Vous pouvez télécharger ce chapitre 6 (Version juillet 2014) en PDF (23 pages)

Un autre chapitre, plus concret, a déjà été publié : “7.1. Reprendre en main son alimentation et sa santé

(J’en profite pour remercier les très nombreuses personnes qui m’ont envoyé des remarques, des commentaires, des suggestions. Je n’ai pas eu le temps de répondre à tout le monde. Certaines de mes réponses sont encore “en attente”, parce que je souhaite “bien” répondre à celles et ceux qui ont pris le temps de lire les premières parties et de m’envoyer des remarques intéressantes. J’ai en tout cas intégré de nombreuses remarques dans la réflexion. Merci à vous !)

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Chapitre 6 : La crise de la délégation

J’ai dit, dans l’introduction, que le mouvement de l’anti-délégation s’inscrivait dans une crise des piliers de la modernité, comme l’Etat, l’économie, le travail, la rationalité. Attention, je ne pense pas que la notion de « travail » soit en crise, ou que les plus jeunes générations ne veuillent plus travailler, ni que les avancées de la science fascinent moins, ni qu’il faille abandonner toute idée de construire une collectivité en partie institutionnalisée.

Je pense que le modèle « moderne » du travail, de l’Etat, de l’économie capitaliste est en crise. C’est-à-dire cette forme d’Etat, ces modes de travail, ces modalités de l’économie, qui relèvent de la bureaucratie, de la technocratie, de l’industrie, etc. Nous reviendrons sur ces dimensions. Ce dont il s’agit, c’est d’une « crise du modèle culturel de la société industrielle », comme l’avaient très bien vu Bajoit et Franssen dès 1995.  Et pour moi, ce qui caractérisait ce modèle, c’était que l’individu était appelé à déléguer une partie de sa destinée aux piliers de la société moderne.

6.1. Etatisme et capitalisme

Au cœur de la société de la délégation, en crise, se trouve l’Etat bureaucratique, moderne, et libéral.

Pour Max Weber, dont nous avons déjà parlé, l’Etat moderne et le capitalisme se sont développés ensemble. L’Etat moderne est effectivement le garant du droit rationnel, « prévisible ». En cela, il constitue la condition de l’épanouissement du capitalisme (Colliot-Thélène, 1992 :12)

C’est relativement facile à comprendre : lorsqu’on se limitait à des échanges simples, à du commerce traditionnel, local, proche du troc, c’était des règles traditionnelles (code d’honneur, etc.) qui pouvaient régir l’échange. Mais lorsqu’on échange des biens sur des marchés, avec une multitude d’intervenants, il est nécessaire qu’une instance garantisse la validité de l’échange. Continue reading 6. La crise de la délégation

Parution : “Relire aujourd’hui les classiques des années 60”

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Nouvelle parution : “Relire aujourd’hui les classiques des années 60”, La Libre Belgique, sam.-dim. 28-29/12/2013, pp. 52-53. Qu’avons-nous fait des auteurs critiques des années 60 ? De Marcuse, de Debord, de Fanon, pour ne citer qu’eux… Alors qu’émerge une critique nouvelle à la fois de la société de consommation et des instances étatiques et supra-étatiques, sous les formes variées de préoccupations écologiques, de développement durable, de décroissance, de simplicité volontaire, de revendications sur les conditions de travail, des “Indignés”, de mouvements citoyens, des printemps arabes, érables, etc., les auteurs qui avaient mené cette critique dans les années 60 semblent être passés à la trappe… lire la suite.

Cet article a été écrit en août 2013, donc avant que je commence à mettre sur papier les réflexions sur l’Empowerment et la société de l’anti-délégation, dont j’ai publié l’article introductif il y a quelques jours. Mais très clairement, Marcuse, Debord et Fanon sont des auteurs qui m’ont amené à développer cette réflexion. L’article paru aujourd’hui dans La Libre Belgique fait donc tout à fait partie de la même réflexion…

De la Préhistoire à aujourd’hui : une augmentation des inégalités hommes-femmes

Emile_DurkheimA l’occasion d’une relecture d’un des classiques de la sociologie, datant de 1930 : “De la division du travail social“, d’Emile Durkheim (pour un article dont je vous ferai bientôt part), je suis tombé sur un passage intéressant. 

Dans son explication de ce qu’il appelle la “division du travail sexuel”, Durkheim rappelle que la différence entre la force de l’homme et de la femme était beaucoup plus petite à la Préhistoire qu’elle n’est aujourd’hui. “Le femme de ces temps reculés, écrit-il (p.20), n’était pas du tout la faible créature qu’elle est devenue avec le progrès de la moralité” (c’est-à-dire avec le développement de la société).

Durkheim fait référence aux recherches de Paul Topinard (1830-1911), médecin et anthropologue français. Celui-ci avait remarqué que les différences entre hommes et femmes augmentaient avec la civilisation ! C’est-à-dire que des squelettes de l’ancienne Egypte, par exemple, montreraient moins de différences entre hommes et femmes que des squelettes plus récents.

On ne peut donc absolument pas justifier les différences hommes-femmes, en matière de rôles sociaux, par des différences anthropologiques qui remonteraient à la Préhistoire. Durkheim cite également Theodor Waitz (1821-1864), anthropologue et psychologue allemand, qui, dans “Die Anthropologie der Naturvölker”, avait remarqué que dans des sociétés primitives comme les Iroquois, les Natchez (Hawaï), ou dans des sociétés de peuples de Nouvelle-Zélande, les fonctions masculines et féminines étaient très similaires : “les deux sexes mènent à peu près la même existence“.

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(man and woman, native american)

Il cite enfin Herbert Spencer (autre auteur classique des sciences sociales, 1820-1903), qui notait qu’à Cuba, les femmes étaient aussi guerrières que les hommes et qu’elles se battaient à côté d’eux. “Un des attributs aujourd’hui distinctifs de la femme, la douceur, conclut Durkheim, ne paraît pas lui avoir appartenu primitivement“.

Dans un article devenu classique, de 1987, “The Worst Mistake in the History of the Human Race“, Jared Diamond, de la Los Angeles Medical School, avait quand à lui expliqué que la révolution agricole avait encouragé les inégalités entre les sexes : dans une société où les rôles sociaux se différencient de plus en plus (certains produisent l’alimentation pour tout le monde, d’autres peuvent alors s’occuper des fonctions politiques, religieuses, guerrières, etc.), les femmes deviennent de plus en plus confinées à un rôle de production agricole, alors que dans la période pré-agricole, c’est-à-dire paléolithique, elles occupaient des fonctions plus ou moins similaires aux hommes et aux femmes.

C’est précisément cette division du travail qui constitue le questionnement principal de Durkheim…

Cela veut aussi dire que de nombreuses hypothèses sur le “cerveau archaïque” ont surtout tendance à “naturaliser” des différences entre hommes et femmes qui sont bien plus culturelles – et relativement récentes – que réellement naturelles… Au temps archaïque, les différences hommes / femmes étaient moins importantes que maintenant… Et non, pour les chasseurs-cueilleurs du paléolithique, la chasse n’était pas exclusivement masculine et la cueillette féminine. C’est d’ailleurs le fait que les femmes participaient aux chasses, qui pouvaient être très longues, puisqu’il fallait parfois pister un animal durant de longues heures, qui explique que sur de longues distances (ultra-marathons), les capacités des hommes et des femmes ne diffèrent pas tellement…

Pour rester dans le domaine sportif, vous remarquerez que cette égalité hommes-femmes est prônée dans le CrossFit, en ce sens que les deux sexes font exactement la même chose. Et si, lors des compétitions, les charges sont généralement différentes, les entraînements publiés tous les jours sur CrossFit.com ne proposent jamais de poids différents pour les hommes et les femmes. C’est voulu de la part de CrossFit HQ : dans n’importe quelle salle, il arrive que des femmes soient capables de porter plus lourd que les hommes. Nul besoin de limiter les femmes à un poids inférieur aux hommes…

New Books (2) !

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Nouvelle commande Amazon… entre entrepreneuriat et contestation politique !

Shankman K. 2013. Nice Companies Finish First. Why Cutthroat Management Is Over – and Collaboration Is In, NY : Palgrave MacMillan.

Martin, A.J. 2012. Renegades Write The Rules. How the Digital Royalty Use Social media to Innovate, San Francisco : Jossey-Bass.

Honneth, A. 2013. Un monde de déchirements. Théorie critique, psychanalyse, sociologie, Paris : La découverte.

Hibou, B. 2012. La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris : La découverte.